Trauma – Théorie psychanalytique du traumatisme par René Roussillon

Théorie psychanalytique du traumatisme par René Roussillon
trauma, phsychanalyse
Trauma –Jalons et repères de la théorie psychanalytique du traumatisme psychique

La théorie psychanalytique du trauma a subi un certain nombre d’évolutions depuis la première « neurotica » proposé par Freud vers la fin du 19°siècle. Celle-ci concernait les effets psychiquement traumatiques d’abus sexuels perpétrés sur des enfants immatures sexuellement. Elle concernait les faits eux-mêmes, l’impact désorganisateurs des « faits » de l’abus sexuel, leur rôle dans la naissance de la pathologie psychique.

Freud s’est ensuite avisé que, si les faits de l’abus n’étaient pas négligeables en eux-mêmes, il fallait accorder l’importance la plus grande à leur devenir au sein de la réalité psychique. C’est-à-dire à la manière dont ils avaient été intériorisés par le sujet, intériorisés et liés au reste de sa vie psychique, transformés par celle-ci. Il s’attache à la façon d’ être « métabolisé » ou tenter de l’être au sein de celle-ci,. Il fallait considérer la manière dont ils « revenaient » de l’intérieur au sujet abusé. Certains faits n’avaient en effet pas d’action immédiatement manifeste. Ils ne produisaient celles-ci que dans l’après-coup, et à la suite d’un certain nombre de modifications chez le sujet, la puberté par exemple.

D’autres événements traumatiques dans la théorie du trauma

Plus tard Freud confère un caractère traumatique à d’autres évènements qu’a ceux qui affectent la sexualité à proprement parler. Il inclut alors dans le traumatisme, d’une manière générale, tous les évènements ayant atteints une certaine intensité d’excitation. Ceux ayant provoqué une certaine détresse prenant un caractère crucial pour le sujet à ce moment là de son développement. Il intègre aussi les systèmes relationnels toxiques répétés de nombreuses fois au long du développement du sujet (traumatisme cumulatifs).

La théorie psychanalytique du trauma se trouva ainsi largement élargie par rapport à la conception psychiatrique du traumatisme. Par rapport à celle de la « névrose traumatique », et précisée par rapport à la conception « populaire » de celui-ci. Il réévalue la dialectique des éléments objectifs et subjectifs de celle-ci. Nous verrons au long de cette présentation que la psychanalyse se sépare d’une conception du traumatisme prise « en absolu » . Il se dirige vers une conception « relative » au sujet et à ses caractéristiques propres du moment. Le traumatisme n’existe que « pour un sujet donné » et à un moment particulier de son histoire.

Il m’est impossible de reprendre ici en détail les différents moments de la mise au point de la théorie psychanalytique du traumatisme. Je ne vais pas non plus reprendre l’ensemble des travaux et développements qu’elle a générée. Je m’en tiendrais à quelques aspects essentiels et différentiels d’autres approches.

1. Définitions

La définition la plus simple que l’on puisse donner du trauma est sans doute celle que dégage Freud en 1920 dans « Au-delà du principe du plaisir ».
Il y a traumatisme lorsqu’un sujet est confronté à un excès d’excitation qui déborde ses capacités à endurer et à lier la situation qui se présente à lui. Cette excitation produit une effraction psychique étendue qui est à l’origine d’une douleur psychique.
C’est l’effraction psychique par l’excitation qui, comme on le voit, est caractéristique du trauma. Elle se spécifie par un certain nombre de traits qui confèrent à la douleur psychique sa nature particulière.

Le débordement d’excitation

Le débordement d’excitation produit un état de trauma dans lequel le sujet ne peut véritablement se saisir de ce à quoi il se confronte. Il ne peut véritablement pas le représenter symboliquement, le mettre en sens, ni même le lier d’une manière non-symbolique. Il n’a pas de recours au sein même de la situation pour faire face à la menace et à la blessure que celle-ci représente pour son intégrité psychique (ou somatique).

La sidération

La sidération psychique et le « médusage » (Freud, B Chervet) qui accompagnent le trauma « sidèrent » aussi la temporalité et l’ensemble du système « secondaire » de la psyché. L’expérience paraît durer interminablement, être sans fin ou plutôt hors du temps, hors histoire et hors temporalité historisante.

La menace d’une mort psychique

Douloureuse, sans représentation, sans recours, sans fin, l’expérience traumatique est « immaîtrisable », « insaisissable », non liable par la psyché. Selon la métaphore proposée par Freud, elle reste « indomptable » . C’est pourquoi elle demeure débordante et désorganisatrice. Elle fait alors encourir à la psyché la menace d’une mort psychique, d’un état de mort de la subjectivité (Winnicott) d’effondrement de celle-ci, qui est l’équivalent psychique de la menace de mort impliquée dans les états psychiatriques de « névrose traumatique ».

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Soignants : après la bataille, les blessures

Soignants : après la bataille, les blessures

Ceux qui soignent vont-ils devenir ceux qu’on doit soigner?

Le psychologue Cyril Tarquinio évoque les conséquences de la crise chez ces « nouveaux héros »…
Jérôme Didelot, Cyril Tarquinio
20.04.2020

Nos nouveaux héros doivent-ils s’attendre à des lendemains difficiles ?

Cyril Tarquinio s’est penché sur le cas de tous ces soignants, que nous applaudissons chaque soir ! Ceux qu’on compare à des soldats, ceux qui chaque jour montent au front et risquent leur vie, les médecins, les infirmièr.e.s et les autres soignants. Ils œuvrent chaque jour dans les hôpitaux, les maisons de retraites, les cabinets de consultations et les nouveaux “drives” médicaux improvisés. Ils mettent leur vie en danger pour sauver la nôtre, celle de nos proches et de nos anciens.
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Blessures à retardement

Bien entendu, cela ne sera pas sans conséquences pour tous ces soignants et ces médecins, car la mort est toujours une violence. A plus ou moins long terme, elle laisse des traces dans nos esprits, même chez ceux dont c’est le métier de lutter et de soigner.
On ne s’y habitue jamais vraiment. Les soldats souffrent bien de psychotraumatisme et pourtant ils ont pour métier de faire la guerre. Pour le moment, les soignants ne se plaignent pas, les dispositifs d’écoute (nationaux ou locaux) mis à leur disposition pour dire leurs difficultés ou leurs souffrances sont peu utilisés. Étonnant ? Bien sûr que non, c’est mal connaître la psychologie des guerriers.
Quand on se bat contre un ennemi aussi impitoyable que le coronavirus, on devient aussi impitoyable.

On se bat et c’est tout !

Une patiente infirmière me disait il y a peu :

« pour le moment je ne me pose pas de questions, je suis une machine, je me bats avec mes collègues, on est soudées. C’est quand on commence à se poser des questions que cela ne va pas et que l’on doute. Donc on avance, on va au-delà de nos limites, c’est certain.
Il y a quelque chose en nous qui est conscient qu’on est au bout, mais il y a autre chose qui a pris le contrôle et qui nous fait aller au-delà de toutes nos peurs et de notre épuisement. Je sais pas ce que c’est, peut-être que je le payerai plus tard… mais on verra plus tard ».

Le fait de vivre se définit ici comme une lutte contre la mort

Ce qui se passe pour ces soignants est une expérience très singulière où le fait de vivre se définit ici comme une lutte contre la mort. C’est-à-dire fondamentalement une épreuve de résistance à des forces de destruction.
Dans un tel contexte, les moyens habituels à la disposition des individus sont défaillants ; alors il faut mobiliser des ressources nouvelles qui, par définition, étaient jusque-là absentes. En réalité, une situation telle que les soignants la vivent actuellement se trouve être un creuset de l’expérience humaine où se forge une faculté d’adaptation inédite.

Un mécanisme de survie

Et c’est précisément là que ces derniers découvrent en eux des ressources dont personne ne soupçonnait la puissance. La façon de réagir à cette situation constitue en soi un mécanisme d’adaptation dans la mesure où cela donne lieu à une volonté de se battre et à résister.
Toute adaptation, en tant que mécanisme de survie, est liée à un impératif qui consiste, ici, à sauver la peau de l’autre comme la sienne. En ce sens, la survie des autres et de soi-même apparaît comme un devoir, une responsabilité, qui transcendent l’individu qui lui commandent de vivre et de se battre. Se battre simplement pour la vie, celle du patient qui souffre, pour soi, pour ses proches, pour d’autres qu’on ne connaît pas.

Des ressources pour rester humains

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La vie s’est arrêtée, nous allons bien moins vite et bien moins loin depuis quelques semaines. Il semblerait que cela nous permette de nous rendre compte qu’autour de nous les gens comptent et que, dans notre individualisme acharné, nous avions oublié que nous appartenions à une communauté dans laquelle nous sommes tous interdépendants.
Nous comptons sur eux, comme les autres comptent sur nous, alors qu’il y a de cela quelques semaines encore, nous ne comptions que sur nous-mêmes, ne l’oublions pas.

Enfin ! Nous les entendons

…alors qu’il y a peu, l’infirmière ou l’aide-soignante n’étaient pas forcément un modèle de réussite sociale.
Enfin ! Nous les entendons, alors qu’il y a peu, même le médecin était remis en question.
Que ferions-nous sans eux aujourd’hui ?
Nous nous en remettrions aux esprits ou à Dieu. Je dois dire que j’ai quelques difficultés avec les miracles, surtout si c’était pour moi la seule voie pour sauver ma peau !
Inutile de se dire qu’il y aura des conséquences psychologiques et sur la santé de nos soldats.
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Des réponses thérapeutiques

Il conviendra de mettre sur pied dans de court, moyen et long termes des dispositifs d’accompagnement pour nos soignants. Il sera nécessaire de les aider à digérer autant que se peut les efforts consentis en cette période où on les traite de héros alors qu’il y a peu encore le système les maltraitait.
Des dispositifs susceptibles de prendre en charge le stress, l’usure, le deuil et le traumatisme. Car du traumatisme, il y en a, quand la mort vous vole la vie de vos patients, de vos amis ou de vos collègues. Des dispositifs mobilisables comme eux, 7 jours sur 7, des dispositifs qui ne feront pas qu’apaiser, mais qui pourront aussi guérir et repérer.

La psychothérapie

La psychothérapie de ce siècle sait faire des prouesses, vous savez. Il ne s’agit pas simplement de parler, de raconter, oui, cela fait du bien depuis la nuit des temps. C’est comme allez « pisser » tous les matins, cela fait du bien, mais vous savez comme moi que tous les matins nous remettons ça.
On recommence.
Or, il ne faut pas que ça recommence, il ne faut pas que cela fasse juste du bien. I
l faudra leur proposer des réponses psychothérapeutiques efficaces qui, comme je l’évoquais précédemment, réparent. Nous en disposons !

Conséquences de la crise chez ces « nouveaux héros »

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