Art-thérapie et créativité

Art-thérapie et créativité
N°27 – décembre 2017/ janvier-février 2018

Éditorial

On n’arrivait pas à trouver la bonne couverture. Comment illustrer convenablement l’art-thérapie et la créativité ? Diverses options se présentaient : une femme bondissant avec frénésie dans un costume de clown ; une main qui peinturlure avec un pinceau giclant de partout ; une autre dame allongée sur un tissu multicolore, palette à la main, en plein milieu d’une route américaine… Pas mal, celle-là, mais le décor, franchement, pour un magazine fabriqué à Auxerre… Puis sans prévenir, eurêka ! J’ai risqué une idée qui d’abord a fait rire tout le monde : et si on essayait avec l’image À L’ENVERS ? À 180°… Bingo ! Retournez la couverture, vous aurez la photo d’origine. Remettez-la à l’endroit et même ainsi, en connaissant le stratagème, vous sentirez votre cerveau, désarçonné, mouliner automatiquement dans la semoule pour assimiler à ses perceptions ordinaires cette représentation nimbée d’une inquiétante étrangeté. La créativité s’avère ici un processus collectif impliquant le photographe qui eut l’idée du cliché, mais aussi Marie, notre directrice artistique qui l’a déniché et sélectionné, et votre serviteur, qui s’efforce de trouver des angles inattendus pour les sujets traités dans Le Cercle Psy.

Ça n’est pas infaillible mais, en cas de blocage, j’essaie toujours d’imaginer l’inverse de ce que j’avais prévu. Parfois ça marche. Parfois je suis ridicule. Un article grippe un peu ? Mettons la conclusion au début. J’ai affaire à un abruti ? Entrons dans sa peau pour mieux le comprendre, ne pas trop le juger… et constater, s’il y a lieu, qu’en réalité l’abruti c’est moi. Dirait-on pas des astuces de thérapies cognitives, ou du Palo Alto pur jus ? Et pourtant, bien avant de lire Paul Watzlawick, j’avais appris ça chez Oscar Wilde, expert ès-paradoxes. « La meilleure façon de résister à la tentation, c’est d’y céder » : c’est de la prescription de symptômes, comme dans les thérapies stratégiques ! « Soigner l’âme par le corps, le corps par l’esprit » : combien de psys préconisent aujourd’hui d’échapper à la douleur physique en jouant des mécanismes de l’attention, ou de briser le cercle vicieux des ruminations en pratiquant la méditation ou bien un minimum de sport ?

C’est ça, la créativité au quotidien. Être curieux du monde sens dessus dessous, donner leur chance à toutes les perspectives, surtout à celles qui ne s’imposent pas. Ne pas se prendre pour Prométhée escaladant les nues pour glaner le feu sacré, mais expérimenter, jouer, faire demi-tour, emprunter les chemins de traverse et les impasses. Accepter d’échouer. Ne surtout pas chercher LA bonne idée, mais en sortir le plus possible de mauvaises, sans trop réfléchir : statistiquement, et par accident, on en trouvera bien une excellente qui se sera glissée dans ce fouillis. Qu’on soit artiste ou non, qu’on veuille renouveler son travail ou son couple, changer sa vie de fond en comble ou simplement lui instiller un truc qui pétille ou qui rebique, il s’agit d’avoir « du talent dans son œuvre, mais du génie dans sa vie », comme le préconisait Oscar, là encore. À défaut, citons la formule moins ambitieuse mais déjà fort précieuse de Louis Jouvet :

« Un peu d’art dans sa vie, un peu de vie dans son art… »

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Quand l’art devient thérapie

Quand l’art devient thérapie
Pauline Gravel
27 janvier 2018
L’art-thérapie a désormais gagné ses lettres de noblesse dans la métropole. Le Musée des beaux-arts de Montréal lui consacre un nouvel espace et emploie un art-thérapeute à temps plein, une initiative unique au monde.
Stephen Legari, art-thérapeute au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), accueille régulièrement de jeunes adultes autistes à l’Atelier international d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière du musée. « Comme les autistes ont beaucoup de difficulté à décoder les émotions exprimées par les autres, ainsi qu’à reconnaître et à extérioriser leurs propres émotions, nous les aidons à relever ce défi à l’aide des collections du musée et de la création », précise-t-il. Les séances débutent par le choix d’un thème, le plus souvent deux émotions contraires, comme la peur et la sécurité. On part ensuite dans les galeries du musée à la recherche de cinq oeuvres qui représentent ces deux émotions. Chaque participant doit alors exprimer ce qu’il voit dans ces oeuvres. « Lors d’une séance sur la peur et la sécurité où l’on s’est arrêtés devant des oeuvres inuites illustrant un conte terrifiant dans lequel les doigts coupés deviennent des mammifères, on a amené les participants à parler de leurs propres peurs et à les analyser afin de voir si elles sont réalistes ou non rationnelles », souligne M. Legari. « Le fait de savoir que d’autres personnes éprouvent aussi des peurs contribue souvent à diminuer leurs propres peurs », ajoute-t-il.

Photo : Anna Lupien
Le programme du Musée des beaux-arts de Montréal, en collaboration avec l’Institut Douglas de l’Institut universitaire de santé mentale Douglas, emploie un art-thérapeute à temps plein.

La séance se poursuit par une activité de création où les participants sont invités à représenter l’émotion analysée à l’aide d’une forme d’art adaptée à l’émotion. « Chaque forme d’art offre une possibilité différente pour exprimer l’émotion : le collage est plus cognitif, car c’est comme un casse-tête qu’on forme sur la table ; fluide, la peinture est plus émotionnelle ; l’argile est pour sa part très physique et permet de traduire la colère, par exemple, en la déformant et en la frappant, mais d’une façon sécurisante », explique l’art-thérapeute.
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Recherche scientifique

L’art-thérapie est de plus en plus utilisé pour soigner et aider les personnes ayant des problèmes aussi divers que l’autisme, les troubles de l’alimentation, la schizophrénie, l’anxiété, la dépression, le cancer du sein et la maladie d’Alzheimer. Et les chercheurs sont de plus en plus nombreux à éprouver scientifiquement ses bienfaits. Nathalie Bondil, directrice générale et conservatrice en chef du MBAM, a créé le comité Art et Santé du musée. Présidé par Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec, et composé de 17 experts issus des milieux de la recherche, de la santé, de l’art-thérapie et des arts, ce comité a pour mandat d’évaluer les projets de recherche qui sont proposés.
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La puissance de l’art

La majorité des participantes apprécient de pouvoir oublier toutes leurs préoccupations pendant les quelques heures de la séance. Elles soulignent aussi les bienfaits de rencontrer d’autres personnes qui vivent avec un cancer du sein comme elles et « de redécouvrir leur créativité pour exprimer des choses qui sont parfois très difficiles à nommer ». Ce programme fera bientôt l’objet d’une étude scientifique menée par la psychologue Jacinthe Lambert, qui est professeure coresponsable des programmes d’art-thérapie en milieu muséal à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).
« Les oeuvres d’art suscitent en nous une émotion esthétique, elles communiquent sensiblement avec nos traits biologiques de grands primates. L’art s’adresse à nous en tant qu’êtres humains, dans notre chair, dans notre sang, par nos tripes. Dans un lieu où il y a des oeuvres d’art, nous sommes devant un mode de communication, d’échange et d’émotion qui est très différent de celui que l’on pourrait avoir devant un écran, face à un professeur ou devant une scène, où on se trouve également en situation passive. Face à des oeuvres d’art, nous sommes dans une dynamique qui nous engage et qui nous permet de mieux interagir d’un point de vue social, donc avec les autres, et en même temps de renforcer notre estime de nous. L’art nous fait du bien en société et en tant qu’individus », affirme Nathalie Bondil.

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