#MeToo : pourquoi je n’ai pas porté plainte après le viol

#MeToo : pourquoi je n’ai pas porté plainte après mon viol
Par Une madmoiZelle | 18 octobre 2017
Cette madmoiZelle a été victime de viol il y quelques années. Elle n’a pas porté plainte, et souhaite aujourd’hui expliquer pourquoi elle n’entamera pas cette démarche.
Cette semaine, suite aux hashtags #balancetonporc et #MeToo, de nombreuses personnes ont réagi aux histoires de victimes de viol en se demandant, avec plus ou moins de virulence, « mais pourquoi ces personnes n’ont-elles pas porté plainte ? ».

Je suis moi-même une victime de viol (je commence tout juste à le dire, je dois avouer que ça fait bizarre de l’écrire) et je n’ai pas porté plainte. J’aimerais, dans ce témoignage, expliquer les raisons.

La sidération psychique, ou l’incapacité du corps à réagir lors d’une agression

Il y a de ça trois ans, un « ami » m’a violée. Je ne raconterai pas comment cela s’est passé – l’histoire est beaucoup trop longue et ce n’est pas le propos – mais c’est arrivé plusieurs fois dans l’année.
Et je dois avouer que cette année-là, je n’ai pas vraiment réalisé ce qui m’arrivait. Ceci est la première raison pour laquelle je n’ai pas porté plainte.
Au début, j’ai seulement dit à une amie que l’on avait eu des relations sexuelles, « que mon corps était consentant mais pas ma tête ». Autant dire que je partais de loin !
Cette personne entretenait une relation toxique avec mon groupe d’ami, et, jusqu’à ce que nous ayons décidé de couper les ponts avec lui, je n’ai parlé à personne de ce qui m’était arrivé.

Cette expression, « mon corps était consentant mais pas ma tête », traduit ce qui se produit chez de nombreuses victimes lors d’un viol : un état de sidération psychique.
Le cerveau, pour se protéger, opère une dissociation : la victime se voit souvent hors de son corps, incapable de réagir physiquement. Ce phénomène psychologique est observable sur des IRM chez les victimes et les témoins de violences.

Briser le déni du viol, un processus long et complexe

Ce qui m’amène à la deuxième raison : je ne comprenais pas ce qui m’était arrivé. Il m’a fallu plus d’un an pour utiliser le mot « viol » et plus de deux avant de dire, clairement, « j’ai été violée ».
Dans cette situation, on peut donc comprendre que tant que je ne disais pas clairement ça, ce n’était pas clair dans ma tête, je ne voyais donc pas de raison de porter plainte.

Y compris chez des personnes sensibilisées à la culture du viol, aux violences sexistes et sexuelles, prendre conscience de l’agression que  l’on a subie peut être un processus compliqué.
Cette part de culpabilité est un produit de la culture du viol, qui fait peser sur la victime un sentiment de responsabilité : « et si je l’avais cherché ? », « je n’ai pas été assez claire », « j’étais saoule, mais il a peut-être cru que j’étais d’accord, il ne savait pas… », « après tout, c’est moins grave que ce qui est arrivé à X »
Briser ce déni peut être long et compliqué.

Pourquoi je n’ai pas porté plainte après le viol

Mes amis, qui sont au courant de ce qui s’est passé, ont osé, il y a peu de temps, me poser la question : pourquoi je ne suis pas allée voir la police, pourquoi je ne tente pas un procès ?

En m’assurant que si je décidais de le faire, ils seraient là pour me soutenir, même témoigner s’il le fallait. Je leur ai donc exposé les raisons suivantes, que je partage afin que celles et ceux qui se posent la même question puissent y voir plus clair.

1. Mes parents, ma famille de manière générale ne sont pas au courant de ce qui m’est arrivé. Intenter un procès n’est pas quelque chose de banal, je me sentirais dans l’obligation de les mettre au courant et, ça peut paraitre stupide, mais je ne veux pas les inquiéter ou les rendre triste.

Je sais qu’ils se mettraient dans des états pas possibles, et je refuse qu’ils s’en rendent malade, tout comme je refuse de subir leurs inquiétudes ainsi que leurs questionnements. J’ai aussi peur du regard qu’ils pourraient porter sur moi, que quelque chose change.

2. C’est arrivé il y a trois ans, et même si les faits ne sont pas encore prescrits, plus rien ne peut prouver ce qu’il s’est passé. Ce serait sa parole contre la mienne, autrement dit, presque perdu d’avance.

3. Suite aux nombreux témoignages que j’ai pu lire, je sais que la procédure est longue, fatigante et difficile à supporter psychologiquement. Je me suis remise en grande partie du choc psychologique dû au viol, mais tout de même après deux dépressions. Je ne me pense pas assez forte pour supporter cette épreuve.

4. Il y a de forte « chances » pour que je doive revoir l’agresseur. Étant donné que la seule fois que je l’ai aperçu depuis les faits j’ai fait une sévère crise de panique, je préfère éviter cette éventualité.

5. Il y a peu de chance pour qu’il soit reconnu coupable et dans le cas contraire, peu de chance pour qu’il écope d’une grosse peine, ce serait pour moi un véritable échec que je ne veux pas subir.

6. Je n’ai pas besoin de ça pour me reconstruire et comme je l’ai dit dans les points précédents, je risque même de faire un gros pas en arrière. Le fait de porter plainte est pour moi une montagne énorme à gravir, après en avoir déjà franchit une tout aussi immense. Cela me parait risqué et je ne m’en sens pas la force.

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« Si un individu s’expose avec sincérité, tout le monde, plus ou moins, se trouve mis en jeu. Impossible de faire la lumière sur sa vie sans éclairer, ici ou là, celles des autres »
Simone de Beauvoir – La force de l’âge

Ce livre est disponible à la bibliothèque Marguerite Durand

Catalogue de l’exposition du 19 mars 2016

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