Auteure obligatoirement anonyme – Viols par inceste

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Parole

Plus j’avance dans mon histoire, plus j’en parle, moins j’éprouve le besoin d’en parler, mieux je vis. Cette histoire fait peur à chacun d’entre nous, à vous comme à moi. Voici maintenant sept ans que, pour la première fois, j’en ai parlé et depuis la longue et lente marche que j’ai entreprise ne cesse d’écarter les ténèbres de l’angoisse dans lesquelles je vivais.

J’ai l’impression d’avoir été actrice dans une pièce dont je ne connaissais pas le rôle, et maintenant je veux apprendre et comprendre ce rôle qui ne touche pas encore à sa fin. C’est tout au long de ces trois dernières années que j’ai pris conscience de l’importance de parler, de chercher à expliquer, de trouver des réponses à mes questions. J’apporte ici mon témoignage, non seulement sur les faits, mais surtout sur mon cheminement pour que d’autres s’en servent. Je suis persuadée que

“si un individu s’expose avec sincérité tout le monde, plus ou moins, se trouve mis en jeu. Impossible de faire la lumière sur sa vie sans éclairer, ici ou là, celles des autres” [1]

C’était pour Noël 1986 que ma grand-mère m’avait offert le livre d’Eva Thomas[2], et c’est alors que j’ai compris que mon histoire ne m’appartenait pas et que le silence avait quelque part été brisé par ce livre. Pourquoi ce cadeau ? La grand-mère offrant à sa petite fille, en cadeau de Noël, un livre sur les viols par inceste. Avec l’auteure, par ses écrits, sans quelle le sache, j’ai cheminé, lentement. Elle a été ma compagne de souffrance et maintenant je suis assez forte pour réussir à écrire les différences de nos histoires. Elles sont cependant toutes semblables et pourtant toutes différentes, c’est pourquoi il faut toutes les écrire.

Un journal[3], dans un article, a accusé ma mère. La journaliste a gardé de mes propos ce quelle avait été capable de comprendre, c’est-à-dire pas grand-chose d’autant plus qu’elle s’est située du côté de l’opinion publique qui tient à condamner les mères[4]. Je ne veux pas détourner le problème et culpabiliser ma mère. La première réaction est toujours celle de vouloir savoir pourquoi certaines mères ne sont pas intervenues. Attitude pertinente, si l’on respecte la proportion des fautes et que l’on n’oublie surtout pas que le viol a été commis par le père et que la mère ne doit pas porter, une fois de plus, la responsabilité de tout. Depuis la publication de cet article, elle n’a pas voulu me revoir. Je ne l’accuserai jamais. Je constate chaque jour un peu plus qu’elle m’a donné les moyens de développer mes facultés intellectuelles.

Je voudrais, par respect, qu’elle parle elle-même, mais comme elle ne l’a jamais fait, je désespère qu’elle le fasse un jour, je tends à croire qu’elle se sent aussi coupable que je me le suis cru. J’aurais aimé qu’elle me soutienne…

[1]      Simone de Beauvoir, La force de l’âge. p. 10.

[2]      Eva Thomas. Le viol du silence.

[3]      Précision obligatoirement interdite.

[4]      Ce qui n’a pas toujours lieu d’être. Il y a, par exemple, des mères qui sont condamnées pour non présentation de l’enfant au père lors d’une procédure de divorce, alors quelles veulent rompre leur mariage parce que le père viole l’enfant (voir bilan du « Collectif féministe contre le viol. 1990. p. 20-21 ».