Par Cecile Abdesselam
Ses pigments s’appellent cannelle et gingembre, curcuma et paprika. Peindre avec des épices, c’est une façon, pour cette jeune artiste peintre qui expose en marge de la FIAC, de combattre son anorexie mentale. Un bel exemple d’art-thérapie.
Souad a aujourd’hui 36 ans ; elle souffre de troubles du comportement alimentaire (TCA) depuis l’âge de quinze ans. Mais c’est son premier accouchement, en 2009 qui la fait sombrer dans une forme grave d’anorexie.
« Je n’avais jamais eu d’appétit ; mais là je ne prenais carrément plus le temps de manger. De me poser. Petit à petit, j’en suis arrivée à ne plus manger du tout. «
Son premier fils naît avec une fente labio-palatine, qui nécessite plusieurs opérations ; les parents courent de l’hôpital au travail : « Je me suis oubliée », reconnaît Souad. Qui ajoute : « Manger ne me manquait pas ; j’étais dégoûtée de tout, surtout des odeurs ; dès que je sentais, ne serait ce que le parfum d’un croissant en passant devant une boulangerie, j’avais des nausées. » Alors, la jeune femme continue à maigrir sans que personne ne s’en aperçoive : « Mon mari était surtout préoccupé par le bébé… ». Lentement, elle se désociabilise : « Je m’arrangeais pour ne jamais manger avec les gens. Lorsque j’avais des déjeuners de boulot, j’arrivais au moment du café. En fait, on adapte sa vie à son comportement alimentaire… » Jusqu’au jour où elle pèse 36 kilos, et qu’elle n’arrive plus à se lever du tout : « Mes épaules étaient trop lourdes, je ne pouvais plus me porter moi-même » résume-t-elle avec une lucidité toute poétique…Son généraliste l’expédie alors d’urgence à l’hôpital psychiatrique ; ce même généraliste qui va formidablement l’aider, en lui demandant de « trouver ce qui va matérialiser ce dégoût de la nourriture ; et parvenir à le tenir dans sa main. »
Les épices : « la plus petite particule alimentaire »
C’est au mariage de sa petite sœur que Souad trouve l’objet de son défi : lors de cette cérémonie à la marocaine, les femmes utilisent d’énormes sachets d’épices pour préparer leurs plats. « En fait, elles symbolisent tout ce qui me pose problème: les épices donnent de la saveur, mais aussi de l’odeur à un plat, c’est minuscule et pourtant tellement présent ! C’est la plus petite particule alimentaire ». La jeune femme prend d’abord du gingembre et de la cannelle dans sa main ; « Ca n’a l’air de rien, mais c’était très dur pour moi ». Puis elle décide de s’en servir comme des pigments sur une toile. Celle qui n’avait fait que des collages ou des dessins, travaille la matière fine et volatile du gingembre gris, de la rousse cannelle, puis du curcuma à la belle teinte ocre, et du paprika flamboyant. Petit à petit, elle exorcise son dégoût de la nourriture, elle entame une véritable art-thérapie. Elle naît à la fois à l’art et à la vie. « La toile est comme un bébé qu’il faut nourrir; elle est fragile; et les épices périssables… J’ai dû imaginer un film protecteur à la base de gel et de pierre ponce pour protéger mes tableaux. » Souad dirait-elle qu’aujourd’hui elle est soignée ? La jeune femme reste prudente : « Je souffre de TCA depuis toujours ; ce qui est certain, c’est que ça m’oblige à me confronter à mes ennemies, les odeurs…et puis j’ai pris dix kilos en dix ans. Je suis sortie du danger… » Se servir de ses phobies pour créer, l’a aidée. Aujourd’hui, Souad est une artiste reconnue qui expose ses toiles*. Mais la jeune femme ne fait pas de prosélytisme : « L’anorexie , ça ne veut rien dire ; il existe un million d’anorexies différentes ; chaque femme doit chercher son propre moyen de s’en sortir ».
Souad GOJIF (@SouadGojif) | Twitter
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