Une séance d’art-thérapie avec les malades psychiatriques de Casablanca

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HuffPost Maroc | Par Anaïs Lefébure
07/08/2016

PSYCHIATRIE – « Ce qui est plus triste qu’une œuvre inachevée, c’est une œuvre jamais commencée ». Cette citation pourrait être le crédo de Boushra Benyezza. Elle est inscrite sur une carte collée au mur de l’atelier d’art-thérapie du centre psychiatrique de l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca.

Boushra Benyezza

Psychothérapeute et artiste, elle a lancé bénévolement, il y a cinq ans, le premier atelier d’art-thérapie du Maroc. Elle a la certitude que l’enfermement ou les traitements médicamenteux ne peuvent pas être l’unique remède pour soigner les schizophrènes, dépressifs, toxicomanes ou bipolaires. Quoi qu’il en soit l’art et la création en général peuvent, aussi, pousser les patients vers la voie de la guérison.

Le décor est planté

Il est un peu plus de onze heures, ce vendredi, quand elle nous ouvre les portes de l’unique hôpital psychiatrique de Casablanca. Celui-ci dispose d’une centaine de lits seulement (pour une ville qui compte plus de 4 millions d’habitants). Il y a aussi quelques pièces d’isolement dans lesquelles sont enfermés les patients les plus dangereux ou les suicidaires. « Ils ont juste droit à des couvertures auxquelles on retire les bords pour éviter qu’ils ne les déchirent et tentent de se tuer avec », nous explique Boushra Benyezza. Derrière la minuscule fenêtre d’un isoloir, un patient nous observe, le regard vitreux. Le décor est planté.

« Combattre la stigmatisation »

La spécialiste a suivi une formation de deux ans en art-thérapie à Tours, en France. Aujourd’hui, elle reçoit quatre nouveaux patients pour son atelier hebdomadaire. Quatre hommes, entre 25 et 50 ans qui, pendant une heure trente environ, vont pouvoir s’exprimer. Ils évoluent librement autour d’une table et d’une tasse de café préparée par ses soins. Après un temps de rédaction, où chacun doit écrire son histoire sur une feuille blanche, vient celui de la présentation. Ensuite, il s’agira de création en s’inspirant d’images distribuées par l’art-thérapeute qu’ils sont libres de copier ou de réinterpréter.

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Interviews L. Bosi, J.-P. Klein : L’art-thérapie a le vent en poupe

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Épousant de nouvelles formes, aidant de nouveaux publics, cette discipline longtemps marginale se diffuse avec force….

Retrouvez l’intégralité de l’interview de J.-P. Klein, écrit par Pascale Senk dans la page SANTE PSYCHOLOGIE du FIGARO du 13 juin 2016

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lundi 13 juin 2016
L E F I G A R O

On peut toujours repartir de zéro, créer à partir du vide et, si on s’est trompé à un moment, faire quelque chose de ses erreurs !

LAURENCE BOSI, FONDATRICE DES MÉDECINS DE L’IMAGINAIRE EN CANCÉROLOGIE

PASCALE SENK CRÉATIVITÉ
Faire un collage pour libérer sa colère, improviser au théâtre à partir d’un souvenir familial, dessiner ce que serait son horizon sans dépression… Il semble bien loin le temps où des artistes du macramé ou de « l’expression libre sur toile » venaient animer des ateliers dans les services de psychiatrie lourde. Désormais, la médiation artistique s’immisce partout :
auprès des personnes atteintes de troubles autistiques, des délinquants, des endeuillés… mais aussi auprès de chacun d’entre nous. L’arrivée massive de « journaux créatifs » et autres « carnets d’expression artistique » chez nos libraires en atteste ; le succès des ateliers « collages » ou « aquarelle » aussi. La créativité, ressource potentielle en chacun de nous et qui ne demanderait qu’à être réveillée, apparaît comme le dernier sésame anticrise.

Pour l’art-thérapeute Laurence Bosi, fondatrice des Médecins de l’imaginaire en cancérologie et du Laura Lab agitateur de créativité -, c’est là le premier effet tangible d’une plongée dans une expression artistique : offrir une bulle à celui qui peut alors sortir de son mal-être. « Nous l’observons bien auprès des malades, notamment les enfants confrontés aux traitements lourds ou à l’hospitalisation : dessiner ou visualiser leur permet d’échapper un instant à leur réalité présente.
Créer, c’est d’abord être dans un état différent. »
Lorsque la personne a trouvé son « truc », cette activité qui la recentre en lui faisant éprouver du plaisir, elle peut même expérimenter le « flow » – ou flux. Théorisé en psychologie positive, cet état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction se caractérise par une absorption totale dans l’occupation.

Anne Orsini de Lyée, qui, à travers ses ateliers de L’Eau rieuse, accueille des personnes endeuillées et leur propose notamment d’explorer des poèmes comme « leviers de vie », le constate :
« Souvent, meurtris par leur chagrin, ils arrivent avec de grandes difficultés de concentration, de mémoire et sans désir , explique l’art-thérapeute. Explorer en groupe l’univers poétique, et notamment des poèmes courts, leur permet de relire, réciter, parfois réécrire en changeant quelques mots… C’est alors une posture d’ouverture à la vie qui est à nouveau rendue possible pour eux. »
L’art-thérapie, parce qu’elle confirme et permet d’appliquer les découvertes récentes en neurosciences, psychologie positive ou mindfulness, retrouve ainsi, en tant que soin de support ou accompagnement au change-ment, de belles couleurs. « Intégrative – même si certaines querelles de chapelle ont pendant longtemps empêché son expansion, estime Laurence Bosi. Elle offre un regard autre que ceux, plus mentaux, de la psychiatrie classique et de la psychanalyste. Elle permet à une sensibilité humaniste de se déployer et de devenir un point d’appui. »

Et de citer en exemple le travail auprès d’enfants agités, sous pression parentale et scolaire permanente, qui peuvent trouver dans un atelier « contes » ou « collages » une liberté devenue rare ; des adultes confrontés toute la journée à l’accélération de la vie, au « multi-tasking » et qui, pen-
dant quelques heures, reprennent souffle en dessinant…
Pour autant, et c’est là son intérêt principal sans doute, cette production artistique explorée en séance ne se limite pas à quelques objets qui finiront sur une étagère. Comme le demandait
le psychiatre américain Rollo May :
« Et si l’imagination et l’art n’étaient pas, comme on le croit trop souvent, une parure superficielle de la vie mais plutôt la source essentielle de toute expérience humaine ? »
Ce qui se vit en séance d’art-thérapie, ce cheminement qui entraîne la personne, dans un cadre précis, à expérimenter sa liberté créatrice a des répercussions tangibles dans sa vie.
« À travers ce parcours artistique, on  réalise que chaque jour est un peu comme
une nouvelle page blanche, affirme Laurence Bosi.
L’art-thérapie est en ce sens une école de la plasticité et de l’adaptation. Elle enseigne, bien mieux que les mots seuls, que la vie est malléable. »
Autre apport majeur : la possibilité de pratiquer en groupe et ainsi rencontrer des pairs, mais toujours singuliers, à un niveau différent du lien social ou affectif habituel. « Souvent, les endeuillés qui souffrent de ressasser leur peine se retrouvent isolés, observe Anne Orsini.
L’exploration collective de la poésie ou du théâtre leur permet de “remettre de l’autre en beauté” dans leur vie. » Une promesse en effet des plus séduisantes à l’heure où ce sont les antagonismes qui triomphent. ■


« C’est comme une médecine douce »

Jean-Pierre Klein est psychiatre et fondateur de l’Inecat (Institut national d’expression, de création, d’art et transformation). Il vient de publier Initiation à l’art-thérapie. Découvrez-vous artiste de votre vie (Éditions Marabout).

LE FIGARO. – Vous êtes l’un des pionniers de l’art-thérapie en France. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette approche ?

Jean-Pierre KLEIN. – Psychiatre pour enfants et adolescents à l’hôpital de Blois, j’avais vite
constaté les limites de la psychothérapie classique, reposant sur l’introspection et le langage
verbal, avec ces patients.
Dans les cas de secrets de famille, d’enfants abusés ou de troubles de la personnalité, je leur demandais plutôt de dessiner « quelque chose »… Pas des dessins figuratifs de leur famille,
mais plutôt inventifs et à partir desquels je leur disais : « Raconte-moi une histoire. »
Peu à peu, je me suis rendu compte qu’on traitait leur problème sans jamais le dire. C’est cela, le propre de l’art-thérapie : elle guérit « mine de rien » et permet de se libérer de ce qu’on ne peut affronter de face. Peu à peu, j’ai élargi ses formes, avec les marionnettes, la photographie et j’ai embauché des artistes dans mon service dès 1973…

Et quel est le rôle de l’art-thérapeute dans ce processus ?

Souvent, l’accompagnement seul suffit, car le patient passe d’une position passive à une intervention active, en inventant à partir de ce qu’il vit de terrible. Il expérimente une rencontre énigmatique avec ses propres productions et on arrive là aux limites de la parole et du témoignage. Mais l’art-thérapeute est celui qui connaît l’art de l’intérieur. Il peut donc aider la personne à aller plus loin dans sa création. Souvent, il est formé à une discipline de choix (peinture, danse, théâtre, musique, écriture…), mais j’encourage ces art-thérapeutes – qui pratiquent en séance individuelle – et ces médiateurs artistiques – dans les collectivités – à connaître plusieurs arts afin de pouvoir croiser ceux-ci, et toujours se mettre en danger d’apprendre de nouvelles techniques.
Ce qui est intéressant, c’est que le transfert, si nécessaire en psychothérapie entre les deux personnes, se déplace ici sur la production artistique : certains patients se mettent à frapper, agresser une pièce d’argile sur laquelle ils travaillaient… Des pulsions qui s’adressent en réalité au thérapeute.

Aujourd’hui, l’art-thérapie semble trouver un nouveau souffle. Qu’en pensez-vous ?

Elle guérit « mine de rien » et permet de se libérer de ce qu’on ne peut affronter de face.

Je trouve formidable que l’art-thérapie, à travers les médiations artistiques, rentre dans les services de soins palliatifs, de malades d’Alzheimer, les prisons, les centres de traitement contre les addictions, les quartiers à violences. Le Théâtre de la Ville et le Musée d’art moderne à Paris, notamment, nous ont demandé des formations autour de l’accueil des personnes autistes… Mais je suis vigilant sur le danger qui plane sur notre démarche : la tendance à vouloir, à partir d’elle, faire de la psychanalyse appliquée. Certains n’hésitent pas à interpréter de « manière sauvage » un dessin, une histoire inventée.
Sous prétexte d’avoir lu Freud, ils se lancent à dire : « Tu n’as pas résolu ton Œdipe avec ta mère » et autres formules définitives qui n’ont rien à voir avec notre approche ; l’art-thérapie n’est jamais du rentre-dedans mais comme de la médecine douce.

Qu’est-ce qui, selon vous, fait la spécificité de cette approche ?

Que la personne devienne pleinement actrice d’un processus de production artistique. Car alors elle sera aussi active dans sa vie. Et libre, car en art-thérapie, on suit un cadre contraignant, avec des consignes précises, qui permettent paradoxalement à chacun de toucher à sa liberté. C’est très
cadré comme exercice ! Mais c’est incroyable comme chacun peut exprimer des formes singulières dans une situation d’improvisation. Ainsi, on peut jouer un rôle pour déjouer ses tourments. ■
PROPOS RECUEILLIS PAR P. S.