L’hommage à Polanski, malgré tout

L’hommage à Polanski, malgré tout
28/10/2017
Cinéma. En pleine affaire Weinstein, difficile de rendre hommage à Roman Polanski. Pourtant, la Cinémathèque tient bon, avec une rétropectivede ses œuvres à partir de demain, lundi.

« Nous ne décernons ni récompenses ni certificats de bonne conduite. Notre ambition est autre : montrer la totalité des œuvres des cinéastes et les replacer ainsi dans le flux d’une histoire permanente du cinéma », souligne la Cinémathèque alors que la rétrospective doit se dérouler à partir de demain, 30 octobre et jusqu’au 3 décembre.

« De ce point de vue, l’œuvre de Polanski, entre films de genre et confessions douloureuses, raconte rien moins que le XXe siècle, ses innombrables tragédies et leur nécessaire et souvent sublime mise en spectacle. Elle nous paraît donc plus que jamais indispensable », insiste l’établissement culturel.

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J’avais J’avais 14 ans quand mes parents m’ont emmenée voir Chinatown.
J’ai pu réaliser, grâce à ce film, ce que je vivais à la maison et combien mes parents étaient pervers.
Polanski savait de quoi il parlait. Il a vécu un enfance horrible. Nous étions en 1974 en pleine libération sexuelle et tout était permis, voir même encouragé.


CINEMATHEQUE – DU 30 OCTOBRE AU 25 NOVEMBRE 2017
MERCREDI 1 NOVEMBRE 2017, 20H00
SALLE HENRI LANGLOIS
20h00 → 22h05 (122 min)
Ouverture de la rétrospective en présence de Roman Polanski
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Bref, chez Polanski, l’œil voit, mais c’est le corps qui ne répond plus. Ou alors : quand le corps est immobilisé, l’œil se met à voir des choses échappant aux autres sens. C’est ce qui arrive dans le dernier acte du Pianiste, dont le personnage-titre, forcé de se terrer dans des appartements, assiste impuissant à l’insurrection de Varsovie. Puis il découvre une ville en ruines qui est presque aussi fantasmagorique que les mains masculines sortant des murs dans Répulsion, mais qui n’en ressemble pas moins aux images télévisuelles de Grozny ou Alep. Cependant, de la même façon qu’il retourne comme un gant les clichés antisémites sur l’argent, le film inverse l’habituel traitement polanskien du psychisme : c’est quand il est cloîtré que le héros retrouve son identité, d’être humain, de Juif, de pianiste du nom de Szpilman, avec la complicité d’un énigmatique officier de la Wehrmacht.
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Gilles Esposito


Film – Chinatown de Polanski – 1974 – Dialogues révélant l’emprise et les viols par inceste du père sur sa fille

Eva Thomas : en 1986, elle a brisé le silence sur l’inceste

A lire absolument pour comprendre l’évolution de notre société

Eva Thomas 1986 brise le silence sur l’inceste
Eva Thomas : celle qui en 1986 a brisé le silence sur l’inceste
Emilie Brouze Par Emilie BrouzeJournaliste
20 octobre 2017
Pour ma génération, les abus sexuels sur les enfants sont indiscutablement l’un des pires crimes que l’on puisse imaginer, des crimes ignobles, insupportables. Dans les années 1990, l’affaire Dutroux et ses marches blanches ont retenti dans les esprits et angoissé une génération de parents. « Ton corps est ton corps », nous apprenait-on alors à l’école.
Il fut pourtant un temps, pas si lointain, où il en fut autrement. Comme le rappelait un excellent article du « Monde », « notre morale sexuelle a basculé sur la pédophilie ».

Dans les années 1970, dans un contexte de libération sexuelle post-Mai-68, des intellectuels l’ont défendue et leurs idées ont été diffusées dans les colonnes de plusieurs titres de presse (dont « Libération »). Les pro-pédophiles s’appuyaient sur les théories freudiennes en élevant les enfants en figures ultrasexualisées, sans se préoccuper d’un quelconque traumatisme et de l’absence de consentement.

Au milieu des années 1980, la société entame un profond basculement sur ce qui deviendra le symbole du mal absolu. Les violences sexuelles ou abus sont dénoncés dans un discours nouveau.

Une femme courageuse a incarné ce virage : Eva Thomas, qui a désormais 75 ans.

Eva Thomas 1986 brise le silence sur l’inceste

Eva Thomas chez elle à Grenoble, le 6 octobre 2017. (Emilie Brouze)
Elle me reçoit un vendredi d’octobre dans son appartement biscornu, au dernier étage d’un immeuble grenoblois. Il faut écouter son histoire car elle raconte un changement sociétal, l’histoire universelle d’une prise de conscience par la libération de la parole. Eva Thomas est aussi un formidable exemple de combativité et de résilience.

« J’aimerais sortir de la honte »

Le 2 septembre 1986, à 22 heures passées, son visage est apparu sur Antenne 2, dans « les Dossiers de l’écran« . L’émission de débat de société, très populaire, s’attaque ce mardi soir au tabou suprême : l’inceste.
Sur le plateau, trois femmes victimes de pères ou de frères incestueux ont accepté de témoigner. Deux sont filmées de dos, deux silhouettes anonymes. Et une troisième – c’est une première – parle face à la caméra.
« J’ai choisi de témoigner à visage découvert parce que j’aimerais sortir de la honte », affirme sur le plateau celle qui vient de signer un livre dans lequel elle relate le viol commis par son père, quand elle avait 15 ans.

« J’ai envie de dire aux femmes qui ont vécu ça qu’il ne faut pas avoir honte. »

Des cheveux gris entourent son visage animé par ses grands yeux brillants qui oscillent à droite et à gauche. Eva Thomas paraît terriblement émue à l’écran.
Trente-et-un ans plus tard, elle s’en souvient comme d’un moment exaltant mais éprouvant. « J’avais l’impression de me jeter dans le vide », dit-elle dans sa petite cuisine, en buvant un café.

Le saut dans le vide

Quelques jours avant l’émission, Eva Thomas a averti sa famille par écrit de la publication sous pseudo du « Viol du silence » (éd. J’ai lu, 2000), ainsi que de son intervention télévisée devant la France entière. Elle s’interroge. Quels dégâts cela provoquera-t-il ?
On allait bientôt la reconnaître dans la rue, lui envoyer des courriers par piles, l’interviewer partout. Eva Thomas est déterminée quand elle prend la parole sur le plateau, ça s’entend. Elle parle posément, sans retenue.
« Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer après, mais ce n’était pas possible pour moi de ne pas le faire », relate-t-elle aujourd’hui.
Elle avait en tête, avant de prendre la parole, des images d’explosion, comme des vitres qui se brisent ou des petites bombes qui sautent. Elle voulait à tout prix rompre le silence, s’attaquer à « l’attitude hypocrite et lâche de la société face à l’inceste ».

« Rien ne pouvait m’arrêter. »

Aveuglement et surdité

Il y avait, à l’époque, une forme « d’aveuglement et de surdité » face à l’inceste, explique Anne-Claude Ambroise-Rendu, auteure de « Histoire de la pédophilie » (éd. Fayard, 2014). Il est alors considéré comme un micro-phénomène, qu’on pensait cantonné à la France rurale et reculée.
Le mot ne figure pas tel quel dans l’ancien Code pénal et si la loi le condamne, il est aussi implicitement défendu d’en parler.
Par son intervention, Eva Thomas va faire prendre conscience d’un phénomène beaucoup plus courant et massif qu’imaginé. Son ouvrage « a créé les conditions d’un débat ­public », analysait dans « le Monde » Denis Salas, président de l’Association française pour l’histoire de la justice.
La télévision, comme média de masse, a été un puissant vecteur de ce changement sociétal. « Il a permis de voir et d’entendre ces victimes », complète Anne-Claude Ambroise-Rendu. « Il offre la possibilité de l’empathie, de l’émotion et de l’identification. » A ce moment, le visage d’Eva Thomas, en plan serré sur Antenne 2, se suffit à lui-même.
Ce soir de septembre 1986, « une avalanche » d’appels submerge le standard des « Dossiers de l’écran », le « SVP 11-11 ». Beaucoup relatent des récits similaires. Une retraitée citée décrit ainsi « l’enfer d’être violée par son père » :

« Cela me marque encore aujourd’hui. »

« Pas d’inceste heureux »

Et puis, plus tard, le médiateur de l’émission fait entendre d’autres voix, celles de téléspectateurs semblant découvrir que l’inceste relève de l’interdit. Des paroles représentatives de l’état d’esprit d’une partie de la population, que la fin du silence ennuie et qui préfère parler de « l’inceste avec consentement ». Une parole difficilement concevable aujourd’hui.
« Je suis amoureux de ma fille adoptive. Pourquoi semez-vous la zizanie dans les familles ? », dit un médecin. Un agent technique assume aimer caresser sa fille de 10 ans. « J’ai des relations quotidiennes avec ma fille de 13 ans », témoigne aussi un ingénieur.

« Pourquoi empêchez-vous les gens d’être heureux ? »

Pendant que le médiateur lit ces réactions, le visage d’Eva, abasourdie par ce qu’elle entend, est en gros plan sur l’écran. Son expression est plus parlante que des mots. On l’interroge. « Je pense qu’entre un parent et un enfant, il n’y a pas d’inceste heureux », réagit-elle.

« En tout cas, pour l’enfant, ce n’est pas vrai. L’enfant subit une violence. »

Déclencheur

A la fin de l’émission, apparaissent les coordonnées de l’association qu’elle a créée à l’automne 1985 à Grenoble, SOS inceste. Elle croulera sous les appels et les courriers les jours d’après.
Ce numéro des « Dossier de l’écran » fut retentissant. La presse s’en fait largement l’écho. « On parlait partout de l’inceste, c’était assez extraordinaire », se souvient Eva Thomas.
Son témoignage a agi comme un « déclencheur », confirme l’historienne Anne-Claude Ambroise-Rendu. Deux autres émissions dénonçant les abus sexuels sur les enfants ont été importantes – « Médiations » (TF1), en 1989, à laquelle participa Eva Thomas, et un numéro spécial de « Bas les masques », animé par Mireille Dumas, en 1995.
Sur les plateaux comme dans son livre, Eva Thomas parle des dégâts causés par les abus sexuels – ce qui, à l’époque, avait été mis de côté. « Dans les années 1970, les psys que je suis allée consulter m’ont répondu que j’avais le droit de coucher avec mon père », relate la rééducatrice à la retraite. Pour une partie des médecins, les abus n’étaient que le fruit de l’imagination ou de « fantasmes ».

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