J’ai mis toute une vie pour comprendre comment cette nuit là, une partie de moi avait basculé dans l’indicible, la barbarie au sens propre, la folie devant laquelle plus aucun jugement de valeur n’existe.
Je me suis souvent dit que c’était ce que les juifs avaient dû ressentir dans l’antichambre de la mort, face à l’horreur de la situation. La salle de douches qui n’en était pas une. La découverte de la duperie. La mort imminente.
Il m’a fallu aller rechercher cette enfant enfouie dans les décombres. Allongée sur la table de cuisine. Combien d’années exactement ? En fait, 40 ans. J’ai 62 ans. Elle en avait 12 à cette époque.
Du film, elle perçoit la couleur rouge qui envahit tout l’écran. C’est très gore. Une voix dit « tu choisis, c’est elle ou toi ! » et puis, elle entend « tu vois, c’était pas si difficile ».
Elle comprend à présent comment la manipulation a eu lieu. Comment son père et sa mère lui ont fait croire qu’elle était responsable de cet avortement. Non, Dominique. Il faut utiliser les mots justes : l’infanticide.
Comment maintenant ils avaient réussi à la faire glisser dans le rôle de la complice.
Un complice ne parle pas. Un complice a peur d’être découvert et éfface donc tous les indices qui pourraient faire remonter au crime.
Un crime a été commmis et il faut le faire disparaitre.
Qu’est-ce qu’il est devenu le père dans cette histoire ? Il est devenu fou, ou plutôt, il a continué sur sa lancée. Il a fini avec la maladie d’Alzheimer. Papy gâteux bouclé dans un pavillon en HP.
La mère aussi, elle a continué sur sa lancée, la mère « au-dessus de tout soupçon qui a beaucoup souffert parce que sa fille est folle ». Et la fille ? Elle a finalement compris le topo. Elle aura mis le temps. Elle sait qu’elle n’aurait rien pû changer. Qu’elle n’était pas coupable.
Elle est decendue de la table de cuisine et a pris sa petite avec elle, pour aller s’amuser.
Tout est bien. Enfin.
Elle aura mis le temps.