Ma mère s’est suicidée

Quelques jours avant Noêl, un coup de téléphone d’un de mes frères.
Il l’a trouvée étendue dans la cuisine (!) Elle avait pris des somnifères, cinq boites. A coté d’elle, Un mot « Ne me réveillez pas » et parait-il, son testament.
Et puis tout de suite mon frère de rajouter de façon très inappropriée mais qui trahissait tellement ses intentions « Ce qui m’ennuie c’est que la maison ne vaut rien »(sic).
Il devait me contacter pour l’incinération, mais silence complet. J’ai téléphoné aux pompes funèbres de Dijon, puis au crématorium ; « la cérémonie a eu lieu ce matin à 9h30. Il y avait du monde, c’est votre frère qui avait tout organisé, il y avait beaucoup d’associations ».
Toute la famille était là-bas, y compris le frère de ma mère, l’ancien chef scout qui a aussi abusé de moi. Des rumeurs sur sa pédophilie ont couru à Dijon, et petit à petit tout est rentré dans l’ordre bien sûr. Sa femme et ses enfants étaient présents.
Entre culpabilité, colère et grand stress face à cet acte très violent, juste avant Noël, j’ai essayé de faire bonne figure et arréter les films auto culpabilisant tels que « Ah, si j’avais renoué avec ma mère, cela ne serait pas arrivé, Ah mon article dans le Nouvel Obs l’a tuée » etc etc…
Et ce matin, mon frère au téléphone à nouveau pour les paperasses. Il m’a révélé qu’à la mort de mon père, ma mère avait eu trois copains sur Meetic. Elle avait rompu avec les deux premiers et connaissait le dernier depuis novembre. Il devait venir passer trois jours chez elle. Et le matin même, elle l’a décommandé, a fermé les volets et a laissé trois notes écrites à la va vite, une destinée à ses enfants, qui m’a choquée par son coté abrupte « Ne me réveillez pas », une indiquant « clé du coffre chambre du haut », contenant les documents de la maison, et une note plus personnelle pour cet « ami » de Meetic « Pardonne-moi, je t’aime », à l’image de son être narcissique.
Ma mère m’avait fait croire que son premier « ami » sur Meetic était mort du cancer et que mon frère était reparti vivre en Argentine. J’avais donc cru un premier temps qu’il me téléphonait de Buenos Air. Ce frère, dont le jumeau est mort auto détruit par l’alcool, est resté handicapé, après une atteinte du système nerveux central. Il m’a persécutée toute ma jeunesse. Après le bla bla sur les frais de notaire et la mise en vente de la maison, je n’ai pu m’empêcher de le confronter sur son silence. Il m’a alors répondu d’une voix sèche : » Je ne te crois pas, tu souffres de ce que les psychanalystes appellent les faux souvenirs. Je n’ai été témoin d’aucun sévice. »

Je pense qu’on pourrait vraiment perdre la raison face à une telle famille. Combien de générations ont été ainsi sacrifiées dans ce contexte.
J’essaie de développer compassion et bienveilllance face à ces êtres toxiques qui sont englués dans le déni et la dissociation et vont continuer à alimenter ces schémas mortifères causés par l’inceste.
Ma mère, qui aura vécu sans le savoir sous l’emprise de son frère et de son mari et qui maintenant je l’espère, va aller vers la lumière. Sans elle, la machine incestueuse n’aurait pas pu continuer. Après que j’aie dénoncé mon père, elle a continué a accueillir ses petits enfants chez elle et les donner en pature à son mari.
Mon jeune frère, sociopathe arriviste, a déja réclamé les albums photos et se targue de faire des recherches généalogiques sur la famille. C’est lui qui a pour charge de redorer le blason familial que j’ai terni. Si seulement il pouvait se pencher sur le transgénérationnel.
Je crois que cet acte que j’ai ressenti d’une violence inouie va m’aider à franchir un nouveau cap, me faire trouver ma voix restée étouffée et ne plus me retourner sur ce passé moribond.

Le choix de Sophie.

J’ai mis toute une vie pour comprendre comment cette nuit là, une partie de moi avait basculé dans l’indicible, la barbarie au sens propre, la folie devant laquelle plus aucun jugement de valeur n’existe.
Je me suis souvent dit que c’était ce que les juifs avaient dû ressentir dans l’antichambre de la mort, face à l’horreur de la situation. La salle de douches qui n’en était pas une. La découverte de la duperie. La mort imminente.
Il m’a fallu aller rechercher cette enfant enfouie dans les décombres. Allongée sur la table de cuisine. Combien d’années exactement ? En fait, 40 ans. J’ai 62 ans. Elle en avait 12 à cette époque.

Du film, elle perçoit la couleur rouge qui envahit tout l’écran. C’est très gore. Une voix dit « tu choisis, c’est elle ou toi !  » et puis, elle entend « tu vois, c’était pas si difficile ».

Elle comprend à présent comment la manipulation a eu lieu. Comment son père et sa mère lui ont fait croire qu’elle était responsable de cet avortement. Non, Dominique. Il faut utiliser les mots justes : l’infanticide.
Comment maintenant ils avaient réussi à la faire glisser dans le rôle de la complice.
Un complice ne parle pas. Un complice a peur d’être découvert et éfface donc tous les indices qui pourraient faire remonter au crime.
Un crime a été commmis et il faut le faire disparaitre.

Qu’est-ce qu’il est devenu le père dans cette histoire ? Il est devenu fou, ou plutôt, il a continué sur sa lancée. Il a fini avec la maladie d’Alzheimer. Papy gâteux bouclé dans un pavillon en HP.
La mère aussi, elle a continué sur sa lancée, la mère « au-dessus de tout soupçon qui a beaucoup souffert parce que sa fille est folle ». Et la fille ? Elle a finalement compris le topo. Elle aura mis le temps. Elle sait qu’elle n’aurait rien pû changer. Qu’elle n’était pas coupable.
Elle est decendue de la table de cuisine et a pris sa petite avec elle, pour aller s’amuser.
Tout est bien. Enfin.
Elle aura mis le temps.