L’artiste Joana Choumali recoud les blessures ivoiriennes
Publié le 01/12/2017
Avec sa série de photographies brodées intitulée “Ça va aller”, l’artiste Joana Choumali exprime la difficulté des habitants de Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, à affronter leur souffrance psychologique après l’attentat terroriste de mars 2016. Son travail fait partie des oeuvres exposées aux Rencontres de Bamako, au Mali, qui se déroulent du 2 décembre au 31 janvier 2018.
Pourquoi avoir intitulé cette série d’œuvres Ça va aller ?
“Ça va aller” est une expression couramment utilisée en Côte d’Ivoire. Elle traduit très bien la mentalité des habitants, avec cette force de l’optimisme. Nous pouvons parler de choses traumatisantes [le pays a connu une longue crise politico-militaire de 1999 à 2011], mais nous concluons nos conversations d’un “Cessons d’en parler, ça va aller”. C’est une bonne chose pour réussir à survivre, mais c’est aussi une mauvaise chose de nier ce qui est arrivé.
C’est ce qui s’est passé avec l’attentat perpétré par Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) sur la plage de Grand-Bassam, près d’Abidjan, qui a fait 19 morts le 13 mars 2016 ?
Cette attaque a été un choc pour moi. Je suis rentrée de l’étranger pour me rendre sur place. Je voulais interviewer des victimes pour un documentaire, mais je ne trouvais personne. Des psychologues étaient venus pour aider les habitants à se remettre du choc traumatique, mais très peu de personnes sont venues. Chacun avait repris sa vie quotidienne comme si rien ne s’était passé. Pourtant, ces spécialistes m’ont expliqué que, même s’il n’y avait pas blessures physiques, il fallait soigner les blessures psychologiques, souvent plus profondes. Mais chez nous, parler des blessures intérieures est perçu comme une faiblesse. Alors on n’en parle pas.
Comment avez-vous eu l’idée de faire ce projet ?
J’avais pris plein de photos avec mon téléphone portable dans la ville et sur la plage. Et en les regardant, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de personnes seules ou de qui marchaient tête baissée. Ces photos se parlaient entre elles en exprimant des non-dits. Je les ai imprimées en 27 × 24 centimètres, et j’ai décidé de broder directement dessus, à la main, avec des fils de couleurs. Je voulais coudre comme pour réparer une blessure, une déchirure, et en ajoutant sur ces clichés des pensées, des utopies avec cette nouvelle couche. Pour moi aussi, cela a été un exercice cathartique, car voir Bassam frappé de cette façon était une blessure. C’est un endroit où je vais souvent en famille. Je trouvais aussi intéressant le décalage entre l’instantanéité de la photo et la lenteur de la broderie. Je ne pensais pas exposer ce travail, qui compte une quarantaine d’œuvres pour le moment. C’était un travail personnel pour exorciser une angoisse, mais il a suscité un intérêt.
Vous vouliez aussi dénoncer la différence de traitement médiatique entre un attentat en Afrique et un attentat en Occident ?
L’attentat de Grand-Bassam a vite été éclipsé dans les médias occidentaux par ceux de Bruxelles qui se sont produits quelques jours plus tard [ils ont fait 32 morts le 22 mars 2016]. Je le dis sans rancœur, mais personne, où qu’il soit dans le monde, n’est habitué à souffrir. C’est une souffrance universelle. Pour autant, j’ai choisi de ne pas avoir peur d’éventuelles nouvelles attaques terroristes en Côte d’Ivoire. Avoir peur, ce serait leur donner raison. Mais la vie continue, la vie gagne toujours.
Propos recueillis par Courrier international
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