Les conséquences psychiatriques de la Covid-19 sont devant nous…

Alors que la pandémie de Covid-19 redémarre en Europe et fait rage aux USA, nous devons tirer les enseignements des précédentes pandémies de Coronavirus et des connaissances actuelles sur la Covid-19 pour estimer les risques pour la santé mentale de la population, aider les décideurs à faire face aux conséquences à venir de l’épidémie de Covid-19 et se préparer aux prochaines pandémies.
L’épidémie de Covid-19 a rendu visibles les fragilités de notre système de soins en santé mentale avec, dans certains de nos hôpitaux ou services psychiatriques, un retard à la distribution des masques et des autres équipements de protection, un manque de matériel de base, comme les thermomètres dans les Centres Médico-Psychologiques, ou encore l’absence de tests diagnostiques pour nos patients (Gaillard, Le Monde, 23 mars 2020). Cette crise a aussi mis en lumière la capacité des équipes de soins françaises à s’adapter avec efficacité et rapidité pour assurer le suivi des files actives à l’aide des nouvelles technologies, à créer des plateformes dédiées pour améliorer l’accès aux soins, à renforcer les liens entre psychiatres et médecins généralistes. Pour éviter que le cycle « panique-immobilisme-oubli » ne se répète une nouvelle fois, nous proposons dans cet éditorial de faire le point sur les leçons à tirer afin de se préparer au mieux à ce qui est devant nous, à savoir une augmentation des besoins en santé mentale, alors que l’offre de soins en psychiatrie est considérée comme le « maillon faible du système de soins français ».

1. « Savoir pour prévoir, afin de pouvoir » (Auguste Comte)
1.1. Les conséquences sociales et psychologiques de la pandémie

La pandémie et ses conséquences morbides, relayées de façon permanente par les médias et les réseaux sociaux, ont contribué à l’apparition ou à l’aggravation de stress, de troubles anxieux et dépressifs dans la population générale, porteuse ou non de toute pathologie psychiatrique. Il est nécessaire de déployer des études épidémiologiques prospectives pour mesurer avec précision les conséquences pour la santé mentale de la pandémie, mais nous disposons déjà de données qui montrent l’importance de l’enjeu. Dès mars 2020, Santé Publique France menait une étude en population générale, montrant que la prévalence de l’anxiété était de 26,7 %, soit deux fois supérieure au taux observé avant la pandémie, tout particulièrement dans des populations spécifiques comme les femmes, les jeunes et les personnes en situation de précarité économique. En février 2020, une étude menée en Chine portant sur 1738 individus observait que 28,8 % et 16,5 % de la population générale respectivement présentait des troubles anxieux et dépressifs modérés à sévères. La population de patients porteurs de maladies mentales avant le début de la pandémie semble avoir été également été très impactée sur le plan psychologique. Une étude chinoise publiée en juillet 2020 rapporte l’augmentation importante des états de stress post-traumatique (30 %), des troubles du sommeil (25 %) et la présence d’idées suicidaires très fréquentes (Hao et al., 2020).

L’inquiétude pour soi et pour ses proches, la pléthore d’informations souvent non concordantes, l’exposition à des situations traumatisantes, les deuils, l’isolement social, les violences conjugales, l’augmentation des addictions survenues pendant le confinement expliquent une partie de ces troubles. Il est fort probable que les difficultés économiques et le chômage à venir augmentent également le risque de développer des troubles anxieux et dépressifs, comme cela a été observé à la suite de la crise économique de 2008. En lien avec les autres acteurs, médecins généralistes et psychologues notamment, les psychiatres ont un rôle clé à jouer pour essayer de réduire ces risques d’apparition ou d’aggravation de pathologies psychiatriques préexistantes en informant sur les possibles conséquences psychologiques en période de pandémie et de crise comme le stress, les troubles du sommeil, les troubles anxieux, l’augmentation de la consommation d’alcool. Ils ont aussi à recommander des règles d’hygiène de vie comme le respect des horaires de sommeil, la poursuite d’une activité physique régulière, le maintien des liens sociaux, l’utilisation des ressources numériques pour la pratique de thérapies psycho-sociales permettant de lutter contre les troubles anxieux.

1.2. Les conséquences inflammatoires de l’infection

Dès 1882, Emil Kraepelin avait établi un lien entre infections et troubles psychiatriques. En effet, plusieurs séries de cas datant des XIXe et XXe siècles, portant sur des précédentes pandémies de virus respiratoires, faisaient état d’une augmentation dans la population générale de symptômes neuropsychiatriques tels que l’insomnie, l’anxiété, la dépression, les idées suicidaires et les symptômes psychotiques, lors de l’infection aiguë et de la période post-infection.
Il est donc à craindre que la pandémie Covid-19 ait des conséquences psychiatriques à la fois en raison de l’action directe de l’infection sur le cerveau mais aussi comme conséquence de la réponse immuno-inflammatoire à l’infection, en particulier de la tempête cytokinique qui fait suite à l’infection et dont on peut anticiper l’effet déclencheur sur les maladies mentales (Dantzer et al., 2008). Pour estimer cet impact, on peut se baser sur les données de suivi de patients ayant contracté une infection à coronavirus lors des précédentes pandémies de SARS ou de MERS. De fait, récemment a été réalisée une méta-analyse portant sur l’ensemble des patients ayant été suivis pendant deux à douze ans à la suite d’une infection (n = 3559) par SARS ou de MERS en Chine, Corée, Canada, USA, France, Japon. Cette étude a mis en évidence des taux importants de nouveaux cas de dépression (15 %), de troubles stress post-traumatiques (TSPT, 32 %) et de troubles anxieux (14,8 %) dans les suites des pandémies (Rogers et al., 2020). Les données concernant les conséquences du Covid-19 chez les patients infectés sont encore rares, mais montrent clairement que le risque ne doit pas être négligé et que le suivi des patients post-Covid doit être psychiatrique, au même titre qu’il doit être pulmonaire ou cardiologique. Une étude italienne récemment publiée a montré que le suivi de 402 adultes infectés par le COVID, évalués régulièrement avec une batterie standardisée d’échelles psychiatriques, a montré la présence de 28 % de TSPT, 31 % de dépression, 42 % d’anxiété, 20 % de symptômes obsessionnels et 40 % d’insomnie dans les mois qui ont suivi l’infection. L’évolution était marquée par la survenue d’abord de PTSD et de troubles anxieux puis de dépression (Mazza et al., 2020).Il est donc essentiel de prévoir le suivi des symptômes anxieux et dépressifs, de mener des études visant à explorer le risque de développer des troubles anxio-dépressifs et suicidaires et leur lien avec la persistance de marqueurs de l’inflammation, d’évaluer également l’impact de stratégies thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses (relaxation, méditation, activité physique, etc.) pour réduire l’inflammation qui persisterait.

1.3. Les conséquences pour les enfants nés pendant la pandémie/span>

L’activation immunitaire maternelle qui peut résulter de la survenue de stress psychosociaux et/ou d’événements infectieux pendant la grossesse accroît le risque le développement ultérieur de Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA) ou de schizophrénie chez les descendants des femmes enceintes exposées (Conway et Brown, 2019). De fait, la survenue d’événements stressants au cours de la grossesse comme le deuil, la guerre, la famine, des catastrophes naturelles, des difficultés socio-économiques est associée à un risque plus élevé de schizophrénie et de TSA. Par exemple, à la suite de l’épidémie de grippe de 1957, une étude de cohorte de naissance finlandaise avait objectivé un risque d’hospitalisation pour schizophrénie nettement plus élevé pour les adultes qui avaient été exposés in utero au second trimestre de gestation, pendant le pic de l’épidémie par rapport à ceux nés six ans plus tôt (Mednick et al., 1988). Des études de cohortes de naissance utilisant des échantillons biologiques collectés ou des diagnostics documentés de l’infection pendant la grossesse ont mis en évidence une association entre une infection maternelle par la grippe, la toxoplasmose, ou le virus Herpès Simplex Type 2 et l’augmentation ultérieur de risque de schizophrénie (Brown et Derkitt, 2010).

Dès 1964, à la suite d’une épidémie de rubéole aux États-Unis, une augmentation de la prévalence de TSA de 0,05 % à 8–13 % a été révélée par Stella Chess (Hutton et al., 2016). Plus tard, une méta-analyse (Jiang et al., 2016), regroupant au total plus de 40 000 sujets, a effectivement mis en évidence une augmentation du risque de TSA de 13 % en cas d’infection maternelle pendant la grossesse et de 30 % si cette infection a nécessité une hospitalisation.

La diversité des pathogènes impliqués et le rôle du stress psychosocial suggèrent que c’est plus l’activation immunitaire maternelle pendant la gestation que l’action propre d’un pathogène particulier qui peut conduire à des troubles du neuro-développement. De très nombreuses méta-analyses portant soit sur l’effet d’un stress psychologique aigu, soit sur les infections, ont en effet montré que l’augmentation des cytokines pro-inflammatoires circulantes chez la femme enceinte peut déclencher chez le fœtus une réponse inflammatoire et/ou des modifications dans l’expression des gènes fœtaux codant pour certaines cytokines qui peut être associée à l’augmentation du risque de troubles neuro-développementaux.

Au total, à l’heure où l’on parle de deuxième vague psychiatrique de la COVID-19, il est donc primordial de proposer aux patients ayant été infectés par la COVID-19 un suivi rapproché afin de pouvoir repérer et prendre en charge le plus précocement possible les troubles anxio-dépressifs qu’ils pourraient présenter. Nous devons aussi réfléchir à la mise en place d’équipes post-COVID pluridisciplinaires composées de cardiologues, de pneumologues, mais aussi de psychiatres et de psychologues. Il est également important de suivre les femmes enceintes tout au long de leur grossesse, et dans la période du post-partum pour dépister et prendre en charge précocement les troubles de l’humeur et les troubles anxieux. Pour les enfants nés de mères ayant été infectées au cours de la grossesse, il pourrait être judicieux d’impliquer les acteurs de première ligne tels que pédiatres, puéricultrices, professionnels de la petite enfance, pour organiser un suivi rapproché afin de repérer précocement les premiers signes de troubles du neuro-développement et de mettre en place une prise en charge précoce.

2. Savoir pour pouvoir construire une nouvelle organisation des soins en psychiatrie

La pandémie a aussi été l’occasion de déployer de nouveaux modes de prises en charge témoins de la capacité d’adaptation et de la créativité des équipes françaises. De fait, pendant la période du confinement, la prise en charge ambulatoire des patients de nos files actives a pu être maintenue grâce au déploiement de téléconsultations et/ou de vidéo-consultations. Des équipes de prises en charge à domicile ont été déployées grâce à l’augmentation des moyens dévolus à ce type d’hospitalisation, offrant ainsi aux patients et à leurs familles l’accès au soin psychiatrique quand les téléconsultations ne sont pas possibles et réduisant le risque de diffusion des infections en milieu hospitalier.

On peut également craindre que la crise du Covid-19 majore l’émergence d’idées et de passages à l’acte suicidaires. Il était donc essentiel de déployer rapidement des réponses préventives. En particulier, le dispositif VigilanS, dispositif de veille en place depuis 2015 et destiné aux personnes ayant réalisé un geste suicidaire, a permis de rappeler tous les patients vus depuis le début 2020 afin d’évaluer les idées suicidaires et de les prendre en charge pendant le confinement.

Il est utile de rappeler qu’ont également été créées très rapidement au début de la pandémie des unités Covid pour les patients atteints de maladies mentales et infectés par la Covid. Ceci a été facilité par le fait de tester systématiquement les patients avant leur hospitalisation. Au sein de ces unités, des équipes pluridisciplinaires ont été mises en place, réunissant psychiatres, généralistes et pharmaciens, qui ont assuré, ensemble, la prise en charge globale des patients. D’une manière générale, les interventions des psychiatres ont également permis d’encourager le maintien d’une bonne hygiène de vie comme la recommandation d’une bonne régularité du sommeil, la poursuite d’une activité sportive, un bon équilibre alimentaire. Ceci s’ajoute bien sûr au renforcement des habitudes d’hygiène quotidienne anti-infectieuse qui devrait réduire certains facteurs de risque des troubles psychiques en général.

Enfin, n’oublions pas que les équipes de psychiatrie de liaison ont été renforcées et que des plateformes dédiées ont été créées pour assurer la prise en charge des soignants ayant besoin de soins psychiatriques pendant la pandémie. Les équipes de psychiatrie de liaison ont également assuré la prise en charge des familles dont les proches étaient hospitalisés et à ceux en situation de deuil. Tant que la stigmatisation des maladies mentales demeurera un obstacle majeur au soin, il sera essentiel d’offrir à la population générale un accès facilité aux soins.

La crise que l’on traverse, par son caractère exceptionnel, et malgré toutes les tensions et les difficultés qu’elle engendre, est l’occasion de se poser de nouvelles questions, de tester les innovations puis de les déployer au cas où leur efficacité serait confirmée. Rappelons en particulier que pour répondre à la fermeture de lits, à la distanciation sociale, et pour faire face à l’augmentation des besoins en santé mentale due à la pandémie, le déploiement des outils numériques est prometteur. Toutefois, il convient de réfléchir à l’implémentation de ces nouvelles technologies dans le système de soins existant, à l’équilibre entre le rôle des soignants et celui de l’utilisation des outils numériques, à l’accès à ces outils par des personnes démunies qui n’ont pas toujours Internet ou un téléphone portable, et enfin, à l’impérieuse nécessité de démontrer l’efficacité de ces nouvelles stratégies technologiques avant de les déployer. Les dispositifs numériques peuvent être utilisés pour améliorer le diagnostic, à la fois à l’aide du remplissage actif de questionnaires ou bien à la mesure passive d’indicateurs d’activité physique, de contact social, du sommeil, qui peuvent également être des outils de suivi. Le numérique peut également faciliter le déploiement de stratégies thérapeutiques psycho-sociales, en particulier de gestion de l’anxiété (méditation, relaxation), de thérapies cognitivo-comportementales et de psycho-éducation. Même si ces solutions peuvent répondre partiellement aux pénuries de praticiens dans certains territoires, elles ne doivent cependant pas être considérées comme le moyen de réduire les effectifs de soignants et de professionnels partout où ils restent indispensables.

Pour conclure, n’oublions pas que pour pouvoir organiser les soins de manière adaptée, Il est très important de soutenir les recherches qui évalueront de manière précise le retentissement psycho-pathologique de la pandémie sur la population générale, sur des populations spécifiques comme les soignants, pour ceux qui auront été infectés par le Covid et pour les populations de personnes atteintes de maladies mentales. Le suivi qualitatif de l’impact de l’implémentation de nouvelles organisations de soins devra être également mesuré, tout comme le suivi de l’accès aux soins des populations les plus défavorisés qui n’ont souvent pas accès aux innovations technologiques déployées. Évaluer non pas la quantité de soins réalisés, mais leur qualité et l’équité de l’accès aux soins devra être une priorité pour adapter efficacement et rapidement le changement du système de soins au contexte pandémique et à ses conséquences annoncées.

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Pour en savoir plus

Brown AS, Derkits EJ. Prenatal infection and schizophrenia: a review of epidemiologic and translational studies. Am J Psychiatry 2010;167:261–80.

Conway F, Brown AS. Maternal Immune Activation and Related Factors in the Risk of Offspring Psychiatric Disorders. Front Psychiatry 2019;10:430.

Dantzer R, O’Connor JC, Freund GG, Johnson RW, Kelley KW. From inflammation to sickness and depression: when the immune system subjugates the brain. Nat Rev Neurosci 2008;9:46-56.

Hutton J. Does Rubella Cause Autism: A 2015 Reappraisal? Front Hum Neurosci 2016;10:25.

Jiang HY, Xu LL, Shao L, Xia R-M, Yu ZH, Ling ZX, et al. Maternal infection during pregnancy and risk of autism spectrum disorders: A systematic review and meta-analysis. Brain Behav Immun 2016;58:165–72.

Jonathan P Rogers*, Edward Chesney*, Dominic Oliver, Thomas A Pollak, Philip McGuire, Paolo Fusar-Poli, Michael S Zandi, Glyn Lewis, Anthony S David. Psychiatric and neuropsychiatric presentations associated with severe coronavirus infections: a systematic review and meta-analysis with comparison to the COVID-19 pandemic. Lancet psychiatry 2020:611-27.

Mazza M, DeLorenzo R, Conte C, Polettia S, Vaia B, Bollettinia I, Teresa EM, Mellonia, Furlan R, Cicerib, Rovere-Querinib P, and the COVID-19 BioB Outpatient Clinic Study group (Francesco Benedetti). Anxiety and depression in COVID-19 survivors: Role of inflammatory and clinical predictors. Brain, Behavior and Immunity, Août 2020.

Mednick SA, Machon RA, Huttunen MO, Bonett D. Adult schizophrenia following prenatal exposure to an influenza epidemic. Arch Gen Psychiatry 1988;45:189–92.
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L’artiste Joana Choumali recoud les blessures ivoiriennes

L’artiste Joana Choumali recoud les blessures ivoiriennes
Publié le 01/12/2017
Avec sa série de photographies brodées intitulée “Ça va aller”, l’artiste Joana Choumali exprime la difficulté des habitants de Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, à affronter leur souffrance psychologique après l’attentat terroriste de mars 2016. Son travail fait partie des oeuvres exposées aux Rencontres de Bamako, au Mali, qui se déroulent du 2 décembre au 31 janvier 2018.

Pourquoi avoir intitulé cette série d’œuvres Ça va aller  ?

“Ça va aller” est une expression couramment utilisée en Côte d’Ivoire. Elle traduit très bien la mentalité des habitants, avec cette force de l’optimisme. Nous pouvons parler de choses traumatisantes [le pays a connu une longue crise politico-militaire de 1999 à 2011], mais nous concluons nos conversations d’un “Cessons d’en parler, ça va aller”. C’est une bonne chose pour réussir à survivre, mais c’est aussi une mauvaise chose de nier ce qui est arrivé.

C’est ce qui s’est passé avec l’attentat perpétré par Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) sur la plage de Grand-Bassam, près d’Abidjan, qui a fait 19 morts le 13 mars 2016  ?

Cette attaque a été un choc pour moi. Je suis rentrée de l’étranger pour me rendre sur place. Je voulais interviewer des victimes pour un documentaire, mais je ne trouvais personne. Des psychologues étaient venus pour aider les habitants à se remettre du choc traumatique, mais très peu de personnes sont venues. Chacun avait repris sa vie quotidienne comme si rien ne s’était passé. Pourtant, ces spécialistes m’ont expliqué que, même s’il n’y avait pas blessures physiques, il fallait soigner les blessures psychologiques, souvent plus profondes. Mais chez nous, parler des blessures intérieures est perçu comme une faiblesse. Alors on n’en parle pas.

Comment avez-vous eu l’idée de faire ce projet  ?

J’avais pris plein de photos avec mon téléphone portable dans la ville et sur la plage. Et en les regardant, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de personnes seules ou de qui marchaient tête baissée. Ces photos se parlaient entre elles en exprimant des non-dits. Je les ai imprimées en 27 × 24 centimètres, et j’ai décidé de broder directement dessus, à la main, avec des fils de couleurs. Je voulais coudre comme pour réparer une blessure, une déchirure, et en ajoutant sur ces clichés des pensées, des utopies avec cette nouvelle couche. Pour moi aussi, cela a été un exercice cathartique, car voir Bassam frappé de cette façon était une blessure. C’est un endroit où je vais souvent en famille. Je trouvais aussi intéressant le décalage entre l’instantanéité de la photo et la lenteur de la broderie. Je ne pensais pas exposer ce travail, qui compte une quarantaine d’œuvres pour le moment. C’était un travail personnel pour exorciser une angoisse, mais il a suscité un intérêt.

Vous vouliez aussi dénoncer la différence de traitement médiatique entre un attentat en Afrique et un attentat en Occident ?

L’attentat de Grand-Bassam a vite été éclipsé dans les médias occidentaux par ceux de Bruxelles qui se sont produits quelques jours plus tard [ils ont fait 32 morts le 22 mars 2016]. Je le dis sans rancœur, mais personne, où qu’il soit dans le monde, n’est habitué à souffrir. C’est une souffrance universelle. Pour autant, j’ai choisi de ne pas avoir peur d’éventuelles nouvelles attaques terroristes en Côte d’Ivoire. Avoir peur, ce serait leur donner raison. Mais la vie continue, la vie gagne toujours.

Propos recueillis par Courrier international

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