#MeToo, #BalanceTonPorc : Au-delà des hashtags, écrire est bon pour notre santé

Écrire, c’est déjà commencer à guérir.

Sandra Lorenzo Journaliste responsable de la rubrique C’est La Vie

23/10/2017
HARCÈLEMENT – La parole est libérée. Plus de 16.000 Françaises ont raconté sur les réseaux sociaux des faits de harcèlement et d’agressions sexuelles depuis que l’affaire Weinstein a éclaté. Et d’autres s’expriment encore à l’heure où cet article est publié.
À la suite de ces témoignages, nombreuses sont celles qui ont parlé de la libération qu’elles avaient ressenti en écrivant et publiant ces histoires qu’elles n’avaient parfois jamais évoquées.
De blogs en tumblr, forums et autres chats, Internet a depuis longtemps favorisé l’écriture et la publication de récits intimes. L’ampleur de ce mouvement, en une dizaine de jours, permet que l’on se penche sur les réels bénéfices qu’apportent une telle démarche sur le psychisme comme sur le corps.

L’écriture nous ramène dans le monde des vivants

« Le geste d’écrire, le mouvement d’écriture permettent de se poser avec sa propre personne, c’est une expérience cathartique, assure au HuffPost Nayla Chidiac, docteure en psychopathologie qui a fondé en 1997 des ateliers d’écriture à visée thérapeutique à l’hôpital Saint-Anne à Paris. C’est un ‘cri écrit’, selon les termes de Jean Cocteau, qui est libérateur de la parole, il peut agir comme une porte qui libère la douleur enfouie ».
Cette action ne prétend pas guérir d’une maladie mentale ou d’un traumatisme, mais elle fait émerger des éléments de compréhension. « L’écriture nous ramène dans le monde des vivants, on s’inscrit dans quelque chose, on est dans l’activité, on pense et donc on ne subit plus », précise-t-elle.
Nayla Chidiac cite ainsi l’exemple d’une ancienne patiente qui souffrait de troubles bipolaires et participait à ses ateliers d’écriture. Un jour, celle-ci a écrit sur un sujet qu’elle n’avait jamais évoqué autrement, le viol que son père lui avait fait subir. « Ce jour-là, se souvient la psychologue clinicienne, le sujet était ‘Mon père, cet avion’ et la forme imposée, la nouvelle ». Une expérience parmi d’autres qui lui a fait comprendre que « plus les contraintes d’écriture sont présentes, plus la personne arrive à s’exprimer librement ».
L’écriture codifiée, l’utilisation de hashtags, le nombre de mots limité, par certains égards, les témoignages postés en particulier sur Twitter peuvent être comparables à ce type d’expériences. Une différence de taille, cependant, perdure : nul thérapeute n’est là pour accompagner les personnes qui témoignent. Et cela peut avoir des conséquences.

La lecture d’autres témoignages libère la parole

« La publication de ces témoignages peut être pour certaines personnes dangereuse. On ouvre une plaie et ensuite ? Les personnes attendent du soutien, de la reconnaissance. Si cela n’arrive pas, cette épreuve supplémentaire peut être difficile. » La spécialiste questionne aussi la temporalité de la publication. « Pour l’étape de la publication, il faut parfois un peu attendre après le traumatisme. Le choc de la personne qui va être pendant deux jours mise au zénith puis oubliée est violente, il faut pouvoir l’encaisser, ce choc. »
Ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux avec ces deux hashtags est plutôt à rapprocher « d’un groupe de paroles à l’écrit », selon Nayla Chidiac. Et cela passe aussi par une première étape : « la lecture d’autres témoignages est importante pour libérer la parole, confirme-t-elle. Après la parution du livre de Flavie Flament, rapporte-t-elle, des personnes sont venues me voir en consultation pour parler de ce qu’elles avaient vécu en citant ce livre. » De même sur les réseaux sociaux, l’émergence de la parole est possible grâce aux récits toujours plus nombreux publiés chaque jour.

Écrire sur ses émotions peut guérir le corps

Si écrire nous libère, l’écriture peut aussi guérir notre corps. Une étude néo-zélandaise réalisée sur un nombre limité de participants publiée en 2013 s’est intéressée à l’impact de l’écriture sur nos blessures physiques. Mettre des mots sur nos émotions et les coucher à l’écrit aurait aussi des effets corporels bénéfiques.
Pendant trois jours, 49 seniors en bonne santé ont consacré 20 minutes à écrire sur une chose qui les a particulièrement traumatisés dans leur vie. Les chercheurs leur ont demandé de s’ouvrir le plus possible et d’écrire avec précision ce qu’ils avaient ressenti et pensé à ce moment-là. Dans la mesure du possible, il leur était demandé de partager des pensées ou des émotions qu’ils n’avaient jamais partagées à qui que ce soit.
À une cohorte similaire, les chercheurs ont demandé d’écrire pendant la même durée. La consigne en revanche était d’éviter d’écrire sur leurs émotions, leurs opinions et leurs croyances. Deux semaines après cette expérience, sous anesthésie, une petite partie de leur peau a été enlevée pour une biopsie. Elle a servi à une autre expérience.
Une semaine plus tard, l’équipe scientifique a pris en photo la plaie tous les 3 à 5 jours jusqu’à la guérison complète. Onze jours plus tard, 76% des participants du premier groupe étaient complètement guéris, contre 42% du second.

Cette étude s’inspire d’une expérience menée sur des étudiants en 1988 par un professeur de psychologie à l’université du Texas et qui a marqué les études sur les bienfaits de l’écriture. Les étudiants appelés à écrire sur des expériences traumatiques chaque jour ont vu non seulement leur moral s’améliorer mais aussi leur santé physique en comparaison avec les étudiants appelés à écrire sur des « événements superficiels ».

Comme le rappelle le Times, ce n’est pas la première fois que la recherche scientifique fait ce type de corrélations. Deux autres études avaient constaté, après le même genre d’expériences sur l’écriture, une réduction de la charge virale et une meilleure immunité chez les patients séropositifs ainsi qu’une meilleure efficacité de la vaccination contre l’hépatite B chez les hommes jeunes.

Guérir l’esprit et le corps: les bienfaits de l’écriture sont nombreux mais si « l’écriture est parfaite, elle ne l’est pas pour tout le monde », met en garde Nayla Chidiac. Certaines personnes pourront bien mieux s’exprimer au travers de la danse, de la sculpture ou par d’autres moyens.

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A l’association Art-Thérapie Virtus, des blogues de suivi thérapeutique en ligne sont ouverts 24/24 et aident les victimes de viols par inceste.

le blogue de BMP, personne multi dissociée à la suite de viols par inceste et maltraitance

Le contenu du manifeste contre l’impunité des crimes sexuels présenté à Marlène Schiappa

Le contenu du manifeste contre l’impunité des crimes sexuels présenté à Marlène Schiappa
19/10/2017

Sandra Lorenzo Journaliste responsable de la rubrique C’est La Vie

Depuis trois mois, une psychiatre experte du sujet planche sur ce manifeste, « Le HuffPost » a pu le consulter.
« En France, les crimes sexuels bénéficient d’une impunité quasi-totale », dénonce cette experte de la mémoire traumatique. En effet, dans notre pays, le viol est à la fois le crime le moins rapporté et le moins condamné en tant que tel. Les statistiques en la matière sont assez effarantes: 10% des victimes de viols et de tentatives de viols arrivent à porter plainte, 1% de l’ensemble des viols et tentatives de viols sont condamnés en cour d’assises. Selon un sondage de l’Ifop, 81% des victimes de violences sexuelles ayant porté plainte déclarent avoir le sentiment de n’avoir pas été reconnues par la justice.

Voici les 8 mesures proposées par la psychiatre :

1. Lutter contre le déni, la culture et la loi du silence en informant sans relâche :

Cela passe par l’éducation des enfants dès le plus jeune âge, en particulier sur la notion de consentement et de solidarité des victimes. Mais aussi par la prévention auprès du grand public et en investissant le champ de la recherche sur le sujet.

2 – Réformer la formation de tous les professionnels de l’éducation, du social, de la santé, des forces de l’ordre et de la justice

3 – Libérer la parole des victimes grâce à un dépistage universel de ce type de violences :
Muriel Salmona propose une formation initiale et continu des professionnel du social, de l’éducation et de la justice. « Il ne faut pas attendre que les victimes en aient la capacité, rappelle-t-elle. Seules 20% des victimes violences sexuelles parlent à des professionnels, leur premier recours étant les médecins et plus particulièrement les psychiatres. »

4 – Protéger les victimes :

Pour mieux coordonner les professionnels et les moyens mis en place, la psychiatre propose la création d’un organisme inter-ministériel dédié à la protection des victimes.

5 – Prendre en charge et Soigner les victimes :

« Les violences sexuelles ont un impact considérable sur la santé, elles sont un problème de santé publique majeur, or les victimes mettent en moyenne 13 ans avant de trouver un professionnel formé. 82% des étudiants en médecine n’ont pas eu de formation sur les violences sexuelles, alors que 95% pensent que le médecin a un rôle majeur pour les victimes et plus de 95% veulent recevoir une formation pour dépister les violences sexuelles, les prendre en charge et en traiter les conséquences. Soigner les psychotraumatismes permet d’éviter la presque totalité des conséquences des violences sexuelles sur la vie et la santé des victimes et permet d’éviter des morts précoces et de prévenir de nouvelles violences ».
Pour le rendre possible, Muriel Salmona propose une formation obligatoire en psychotraumatologie et victimologie des étudiants de médecine, ainsi que la création d’une spécialité à part entière. La création de centres de crises accessibles 24h/24 dans les urgences des hôpitaux, ainsi que la création de centres de soins pluridisciplinaires sur la psychotraumatologie est aussi évoquée.

6 – Sécuriser le dépôt de plainte

La psychiatre recommande l’imprescriptibilité des crimes sexuels et un meilleur accueil des dépôts de plaintes en matière d’écoute, de prise en charge et de sécurité des victimes.

7 – Améliorer les lois et les procédures judiciaires :

Pour que la justice puisse mieux reconnaître les crimes et délits sexuels, cela passe par la formation des professionnels et la réforme de certains textes. Voici ce que propose la psychiatre :
• création de juridictions spécialisées avec des magistrats spécifiquement formés particulièrement aux psychotraumatismes ;
• motivation des classements sans suite et de l’absence d’instruction judiciaire ;
• abrogation de la possibilité de déqualifier les viols en délits ;
• présomption irréfragable d’absence de consentement pour les mineurs de 15 ans ;
• le consentement doit être donné volontairement comme le résultat de la volonté libre et éclairée de la personne considérée dans le contexte des circonstances pertinentes, la contrainte étant caractérisée à chaque fois qu’il n’y a pas eu consentement en l’absence de précautions élémentaires prises par l’accusé pour s’assurer précisément de ce consentement ;
• l’absence de consentement doit pouvoir se déduire de l’incapacité neurologique à exprimer sa volonté et son discernement (psychotraumatismes, handicaps, altération de la conscience) ;
• l’absence de consentement doit pouvoir se déduire de l’atteinte à l’intégrité physique et du non-respect de la dignité qui est inaliénable ;
• que le viol soit défini non seulement par la pénétration sexuelles de quelque nature qu’il soit, sur la personne d’autrui mais aussi par la pénétration du corps de l’agresseur par la victime (pénétration passive : fellation sur la victime) ; et introduction de l’inceste dans la définition de l’infraction de viol (par violence, contrainte, menace, surprise, ou inceste).
• extension des circonstances aggravantes « par partenaire ou ex-partenaire » et « par personne ayant des liens familiaux et/ou vivant communément dans le foyer de la victime » ;
• formation obligatoire des médecins des Unités médico-judiciaires, des experts psychiatres et des experts psychologues en psychotraumatologie.

8 – Sécuriser les procédures judiciaires :

Il faut que les victimes soient mieux accompagnées, en particulier les enfants tout au long des procédures. Les expertises psychiatriques doivent être réalisées par des professionnels des troubles psychotraumatiques pour ne pas conclure trop rapidement à un trouble psychiatrique et non à un traumatisme.

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