Le contenu du manifeste contre l’impunité des crimes sexuels présenté à Marlène Schiappa

Le contenu du manifeste contre l’impunité des crimes sexuels présenté à Marlène Schiappa
19/10/2017

Sandra Lorenzo Journaliste responsable de la rubrique C’est La Vie

Depuis trois mois, une psychiatre experte du sujet planche sur ce manifeste, « Le HuffPost » a pu le consulter.
« En France, les crimes sexuels bénéficient d’une impunité quasi-totale », dénonce cette experte de la mémoire traumatique. En effet, dans notre pays, le viol est à la fois le crime le moins rapporté et le moins condamné en tant que tel. Les statistiques en la matière sont assez effarantes: 10% des victimes de viols et de tentatives de viols arrivent à porter plainte, 1% de l’ensemble des viols et tentatives de viols sont condamnés en cour d’assises. Selon un sondage de l’Ifop, 81% des victimes de violences sexuelles ayant porté plainte déclarent avoir le sentiment de n’avoir pas été reconnues par la justice.

Voici les 8 mesures proposées par la psychiatre :

1. Lutter contre le déni, la culture et la loi du silence en informant sans relâche :

Cela passe par l’éducation des enfants dès le plus jeune âge, en particulier sur la notion de consentement et de solidarité des victimes. Mais aussi par la prévention auprès du grand public et en investissant le champ de la recherche sur le sujet.

2 – Réformer la formation de tous les professionnels de l’éducation, du social, de la santé, des forces de l’ordre et de la justice

3 – Libérer la parole des victimes grâce à un dépistage universel de ce type de violences :
Muriel Salmona propose une formation initiale et continu des professionnel du social, de l’éducation et de la justice. « Il ne faut pas attendre que les victimes en aient la capacité, rappelle-t-elle. Seules 20% des victimes violences sexuelles parlent à des professionnels, leur premier recours étant les médecins et plus particulièrement les psychiatres. »

4 – Protéger les victimes :

Pour mieux coordonner les professionnels et les moyens mis en place, la psychiatre propose la création d’un organisme inter-ministériel dédié à la protection des victimes.

5 – Prendre en charge et Soigner les victimes :

« Les violences sexuelles ont un impact considérable sur la santé, elles sont un problème de santé publique majeur, or les victimes mettent en moyenne 13 ans avant de trouver un professionnel formé. 82% des étudiants en médecine n’ont pas eu de formation sur les violences sexuelles, alors que 95% pensent que le médecin a un rôle majeur pour les victimes et plus de 95% veulent recevoir une formation pour dépister les violences sexuelles, les prendre en charge et en traiter les conséquences. Soigner les psychotraumatismes permet d’éviter la presque totalité des conséquences des violences sexuelles sur la vie et la santé des victimes et permet d’éviter des morts précoces et de prévenir de nouvelles violences ».
Pour le rendre possible, Muriel Salmona propose une formation obligatoire en psychotraumatologie et victimologie des étudiants de médecine, ainsi que la création d’une spécialité à part entière. La création de centres de crises accessibles 24h/24 dans les urgences des hôpitaux, ainsi que la création de centres de soins pluridisciplinaires sur la psychotraumatologie est aussi évoquée.

6 – Sécuriser le dépôt de plainte

La psychiatre recommande l’imprescriptibilité des crimes sexuels et un meilleur accueil des dépôts de plaintes en matière d’écoute, de prise en charge et de sécurité des victimes.

7 – Améliorer les lois et les procédures judiciaires :

Pour que la justice puisse mieux reconnaître les crimes et délits sexuels, cela passe par la formation des professionnels et la réforme de certains textes. Voici ce que propose la psychiatre :
• création de juridictions spécialisées avec des magistrats spécifiquement formés particulièrement aux psychotraumatismes ;
• motivation des classements sans suite et de l’absence d’instruction judiciaire ;
• abrogation de la possibilité de déqualifier les viols en délits ;
• présomption irréfragable d’absence de consentement pour les mineurs de 15 ans ;
• le consentement doit être donné volontairement comme le résultat de la volonté libre et éclairée de la personne considérée dans le contexte des circonstances pertinentes, la contrainte étant caractérisée à chaque fois qu’il n’y a pas eu consentement en l’absence de précautions élémentaires prises par l’accusé pour s’assurer précisément de ce consentement ;
• l’absence de consentement doit pouvoir se déduire de l’incapacité neurologique à exprimer sa volonté et son discernement (psychotraumatismes, handicaps, altération de la conscience) ;
• l’absence de consentement doit pouvoir se déduire de l’atteinte à l’intégrité physique et du non-respect de la dignité qui est inaliénable ;
• que le viol soit défini non seulement par la pénétration sexuelles de quelque nature qu’il soit, sur la personne d’autrui mais aussi par la pénétration du corps de l’agresseur par la victime (pénétration passive : fellation sur la victime) ; et introduction de l’inceste dans la définition de l’infraction de viol (par violence, contrainte, menace, surprise, ou inceste).
• extension des circonstances aggravantes « par partenaire ou ex-partenaire » et « par personne ayant des liens familiaux et/ou vivant communément dans le foyer de la victime » ;
• formation obligatoire des médecins des Unités médico-judiciaires, des experts psychiatres et des experts psychologues en psychotraumatologie.

8 – Sécuriser les procédures judiciaires :

Il faut que les victimes soient mieux accompagnées, en particulier les enfants tout au long des procédures. Les expertises psychiatriques doivent être réalisées par des professionnels des troubles psychotraumatiques pour ne pas conclure trop rapidement à un trouble psychiatrique et non à un traumatisme.

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L’inceste dans le code pénal : une avancée, mais le parcours reste long pour les victimes

Logo-L'Obs-le-plusPublié le 17-05-2015 à 15h54 – Modifié le 18-05-2015 à 07h26

Avatar de Muriel Salmona

Par 
Psychiatre

LE PLUS. L’inceste est de retour dans le code pénal. Le 12 mai, l’Assemblée nationale a adopté un amendement à la proposition de loi sur la protection de l’enfance pour réintroduire ce crime dans la loi. Que cela va-t-il changer ? Pas énormément de choses, mais c’est tout de même une avancée, explique la psychiatre Muriel Salmona.

Édité par Rozenn Le Carboulec  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux

Le 12 mai 2015, l’inscription de l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal a été adoptée par l’Assemblée nationale. L’article 22 de la proposition de loi sur la protection de l’enfance crée une sur-qualification d’inceste qui ne modifie pas les peines en se superposant aux incriminations pénales déjà existantes d’agression sexuelle, de viol et d’atteinte sexuelle, ainsi qu’à la circonstance aggravante déjà prévue « par ascendants ou toute autre personne ayant autorité de droit ou de fait ».

L’inceste, un phénomène massif aux conséquences graves

L’inceste, que l’on peut définir communément comme des violences sexuelles commises sur un mineur par des membres de sa famille, est une violence particulière qui attaque l’identité de l’enfant et sa place au sein de sa famille, et brouille tous ses repères. L’inceste détruit la confiance de l’enfant envers ses figures d’attachement fondamentales, et le réduit à un objet sexuel au mépris de ses besoins fondamentaux et dans le déni de sa souffrance.
La force et l’autorité du lien qui unit et assujettit l’enfant à sa famille censée être le garant de sa sécurité, jointe à la dépendance de l’enfant, le rendent « prisonnier », il ne peut ni s’opposer, ni fuir, juste subir et survivre comme un automate. [1]
De plus, l’inceste envers les mineurs est un phénomène massif aux conséquences très graves sur la santé physique et mentale des enfants à court, moyen et long termes si une protection et des soins adaptés ne sont pas mis en place. [2] En France au moins deux millions de personnes (sondage Ipsos 2009 pour AIVI), auraient été ou seraient victimes d’inceste, plus de la moitié des violences sexuelles subies dans l’enfance l’ont été dans l’univers familial. [3]
Si on reprend les chiffres de l’OMS 2014, une femme sur cinq et un garçon sur 13 ont subi des violences sexuelles dans l’enfance ; ce serait donc une femme sur 10 et un homme sur 26 sur qui auraient subi un inceste en tant que mineur…
Or, comme le montre l’enquête « Impact des violences de l’enfance à l’âge adulte » (2015) de l’Association mémoire traumatique et victimologie soutenue par l’Unicef, l’inceste fait l’objet d’une loi du silence, d’une impunité et d’un déni tout aussi massifs : 88% des enfants qui en sont victimes n’ont jamais été ni protégés, ni reconnus.
Des moyens urgents étaient donc nécessaire pour lutter contre ces violences sexuelles intra-familiales qui sont un grave problème humain, de société et de de santé publique reconnu par l’OMS.

Des incestes réprimés qu’en tant qu’atteintes sexuelles

Pour tout cela, nous demandions en tant qu’associations, une loi spécifique pour que l’inceste sur les mineurs soit reconnu comme une infraction autonome, ne nécessitant pas de passer par la caractérisation du non-consentement de la victime [4], et que cette loi soit assortie d’un plan de lutte ambitieux contre ces violences et de mesures pour améliorer le dépistage, la protection et la prise en charge des victimes (cf notre pétition). [5]
Jusque-là notre code pénal ne nommait pas l’inceste, et ne le réprimait pas en tant qu’infraction spécifique (l’inceste avait été introduit brièvement dans le code pénal par la loi du 8 février 2010 en tant que sur-qualification des viols et des agressions sexuelles, mais la loi avait été abrogée par le Conseil constitutionnel le 16 septembre 2011, les liens familiaux qualifiés d’incestueux n’étant pas suffisamment précisés), seul le code civil en faisait état dans le cadre de la prohibition du mariage et du pacte civil de solidarité incestueux.
Ainsi, les violences sexuelles envers les mineurs commises par des membres de la famille, n’étaient réprimés qu’en tant que viols, agressions sexuelles ou atteintes sexuelles. Le contexte intra-familial de ces infractions ne pouvait être pris en compte que pour en aggraver les peines quand elles étaient commises par des ascendants ou des personnes ayant autorité de droit ou de fait, ce qui en faisait alors une circonstance aggravante. Mais pour de nombreuses violences intra-familiales cette circonstance aggravante n’était pas applicable (pour tous les membres de la famille n’ayant pas une autorité de droit ou de fait comme les frères et sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces, cousins et cousines…).

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