BMP – Le cancer retranscrit par la forme d’un corps

BMP – Le cancer retranscrit par la forme d’un corps
Saviez-vous que le cancer est une maladie décrite depuis l’Antiquité, que c’est un médecin grec Hippocrate qui, en comparant les tumeurs à un crabe, leur a donné pour la première fois les noms grecs de « karkinos » et « karkinoma ». La comparaison est justifiée par l’aspect de certaines tumeurs, dont les prolongements rappellent les pattes de l’animal. Moi, je l’ignorais.
Je souhaitais retranscrire le cancer par une forme picturale. C’est donc l’empreinte de la petite artiste qui va se faire montrer.

Comment avez-vous concrétisé votre esquisse ?

En fait, si je fais une production aujourd’hui à cet instant présent, c’est pour dire : ce cancer est là en toi, il prend trop de place ! C’est un crabe très complexe et qui me complique la vie! Mais il ne m’aura pas ! Peut-être aussi que le retranscrire en une forme augmentera ma force de le combattre. Parfois j’aimerais l’oublier ! Mais quand je peins, j’ai l’impression qu’il n’existe plus ce crabe !
Sur le moment pour faire naitre cette production j’hésitais entre faire un collage ou une forme avec mes crayons et à la peinture !
Je savais déjà que ni la colère ni violence ne se feraient entendre, car je ne les ressens pas, et pourquoi d’ailleurs ? Finalement j’ai choisi de faire danser mon pinceau. Je souhaitais juste intégrer le mouvement de ce cancer. Il allait donc être inclus, incrusté dans sous la forme d’un crabe, un crabe dans un corps, un corps du coup avec une tête de crabe. Une fois mon esquisse, terminée, j’étais étonnée d’avoir pris plaisir à faire naître celle-ci, ce corps me semblait sans souffrance et sans douleur. Il n’y avait plus rien de destructeur en lui. Je me sentais bien, et c’est ce qui m’a permis de déposer des couleurs apaisantes et non agressives. Je déposais comme un pansement sur mon corps, et aussi sur mes craintes. J’avais même envie de mettre beaucoup de couleur jaune, c’est la réalité de la maladie qui m’a stoppée. Puis un crabe, un  « karkinos » et « karkinoma » n’a pas la couleur jaune. Rien à voir avec le soleil ! J’avais besoin de rester dans la vraie vie et sur le temps présent et non partir dans le monde des bisounours ! Je suis donc restée dans les tons doux, par moment j’écrirais rassurants. En fait je voulais que les couleurs fassent comme si de rien n’était. Quelques finitions ont été faites aux crayons à pointe fine.

Quels matériaux avez-vous utilisés ?

Cette création a été conçue sur une feuille de format 36 x 46 cm. J’ai utilisé un crayon HB pour l’esquisse. Comme médium de la peinture aquarelle, et des crayons feutres à pointe fine.

Que ressentez-vous en face de votre création ?

J’observe ma production et je me dis : « oui tu as un cancer et alors, la vie continue”. Et j’éclate de rire toute seule. Dans ma tête, je me sens rétrécie et mon pouls tape fort partout dans ce corps. Mais je suis en vie, mais plus rien n’est comme avant ! Je ne me sens pas non plus comme avant ! J’ai pris plaisir à mettre des couleurs sur ma feuille. Mais je ne m’étalerais pas plus ! Parler ou écrire sur mon cancer ne m’intéresse pas du tout ! Ce qui m’a attirée sur cet instant présent, c’était de pouvoir faire naître une forme pour donner vie à une composition et d’y mettre des couleurs positives de la petite artiste !

BMP – Corps recroquevillé en formes cubistes

BMP – Corps recroquevillé en formes cubistes
Parfois les traitements lourds deviennent compliqués à supporter. Il m’arrive de vouloir rester en boule, parce que c’est dans cette position que j’ai moins mal. Bien sûr j’essaye de garder le sourire, et de faire au mieux pour continuer à faire du bénévolat. Mais j’ai voulu, comme je le fais souvent, essayer de donner une forme, dans une émotion apaisante envers cette douleur, à mes angoisses entre autres qui m’accompagnent.

Comment avez-vous concrétiser votre esquisse ?

J’apprécie bien cette forme cubiste, parce que ça montre que mon corps est certes en morceaux mais que ces morceaux restent malgré tout attachés les uns aux autres. Cela permet aussi de penser qu’on pourrait changer ces morceaux de place, par exemple mettre une partie qui me fait moins mal à côté d’une partie qui me fait plus mal. Comme si la symbiose des deux morceaux allait faire diminuer la douleur ou autre.
Cette souffrance me met en colère oui et grandement par moment. Parfois je me demande quand cela va cesser. En colère contre ce passé, en colère contre les administrations diverses etc. J’ai aussi beaucoup de colère envers moi-même…
Le passé ne peut être changé. Le cerveau reste marqué et j’en passe. Par contre la colère ça se travaille, pour être rangé dans le coin de notre cerveau. C’est ce que je travaille encore, mais en attendant je continue à me montrer comme une battante. J’essaie.
Alors j’ai dessiné, sur ma feuille, ce corps en position recroquevillée, cette position où le corps me fait moins mal. Sauf que me relever après reste bien complexe.
Je suis en boule, mon MP3 sur les oreilles, et j’écoute les musiques que mon psychiatre avait téléchargées pour moi, il y a quelques années.
Je sens parfois une larme qui coule toute seule. Je n’ai pas à avoir honte de cette larme. J’ai le droit de pleurer ; c’est ce que mon psy m’avait expliqué pour me rassurer, pour me faire comprendre que je n’avais pas à me sentir honteuse si je n’avais plus la force de me montrer encore plus forte. Parce que chaque fois que je laisse  échapper une larme cela me rappelle ce que fut mon enfance avec l’interdiction de pleurer, mais aussi d’exister. Ces larmes qui m’appartenaient c’était un tout petit moyen de me sentir un peu vivante. Pleurer m’angoisse fortement encore. Mais cela m’effraie beaucoup moins.
Même si j’ai le droit de pleurer aujourd’hui, cela n’apparaîtra pas dans ma production, parce que ce sont les couleurs que je vais déposer qui permettront l’existence de ce corps. C’est beaucoup plus dans le positif. Car les couleurs me donneront l’impression d’apporter de la douceur afin de faire diminuer ce qui me fait souffrir ce corps, je parle de ces traitements qui se succèdent entre autre.
Une personne que j’apprécie beaucoup m’avait écrit il n’y a pas longtemps qu’avec ce que nous avons vécu et subi, nous aurions dû être mortes depuis longtemps. Je pense souvent à cette phrase, je la trouve très forte ! le courage se fait entendre.
Me concernant, je suis là : je tombe, je me relève, je tombe, je me relève… beaucoup plus souvent en ce moment. Même si se relever est de plus en plus difficile, quand j’y arrive, c’est la pulsion de vie qui a gagné et je me sens plus forte. Ce positif est pour moi un petit plus, comme quand je dessine ce qui est une autre force beaucoup plus posée.
Ce corps ayant pris forme sur ma feuille, j’ai donc mis des couleurs gaies pour le recouvrir, comme pour l’habiller d’un manteau de force.
J’ai choisi du jaune, du bleu, du vert, du violet, du rose, du marron, du noir et des dégradés de gris. J’essayais de prendre plaisir à déposer ces couleurs sur ce corps. Une manière de me dire : « allez il n’y a plus de négatif, le négatif s’est envolé ». Parfois ça aide à digérer et à mettre un peu de côté dans notre cerveau. C’est pour cela que j’aime bien prendre mon pinceau.
Quelques finitions ont été faites au feutre noir mais pas toutes. Je ne voulais surtout rien de carré et d’impeccable.

Quels matériaux avez-vous utilisé ?

Dessin conçu sur feuille blanche 36 x 48 cm. Crayon à papier HB pour concrétiser l’esquisse, de la peinture aquarelle, crayon feutre noir.

Que ressentez-vous en regardant votre production ?

Quand je regarde ma création sur le grand chevalet j’ai l’impression que ce corps ne souffre plus.
J’essaie de faire abstraction de ce que me dit mon cerveau parce que je voudrais rester sur une note positive.
Je suis consciente aussi que quand les traitements me rendent malade à m’en broyer les boyaux, j’aurais tendance à baisser les bras. j’ai besoin de me rassurer là-dessus, parce qu’il y a une partie de moi qui serait prête à le faire. Les dissociations augmentent et c’est épuisant ce qui ne n’aide pas toujours.
Est-ce lié aux traitements ? je ne le sais pas et je n’ai pas envie de le savoir. Parce que de toute façon je n’ai pas le choix c’est ainsi.
Je veux juste m’en sortir.
En attendant j’ai passé un moment agréable à habiller ce corps, de son doux manteau.
Il y a quelque chose qui me rassure même si je reste très fatiguée, comme en ce moment, c’est de laisser toujours mes pinceaux à portée de vue. Ils me rappellent que je dois rester les pieds sur terre. Et que vous qui êtes derrière votre ordinateur à attendre la naissance d’une nouvelle création et ça c’est une sacré force que vous m’offrez là.🎨✍😉

Un grand Merci 🙏🙏 😉💪