5/ Dans l’ordre de « l’infinie répétition du même »

19 août 2003

Camille considérait combien Georg avait souffert des intrusions maternelles et qu’il était conscient de vivre une tragédie. À perpétuité, il luttait contre une possible fin tragique. Au lieu d’écarter l’instrument de sa mort, il recommençait la même histoire avec une femme autre à chaque fois, souvent violée, et incapable de se défendre. À chaque nouvelle histoire, il franchissait de petites étapes supplémentaires, mais ses chaînes étaient si solides qu’elles ne pourraient se briser qu’avec la mort d’Hexe, son bourreau, auquel Camille pensait qu’il ne survivrait pas.

S’employer à extirper l’amour ne tombait pas sous le sens pour elle qui voulait donner. Claude acceptait bien de faire sa prise de conscience du moi d’abord, ce qui lui paraissait plus simple, mais elle souffrait, dans une amère lucidité, de cet orgueil qui la poussait à penser que d’elle seule elle pouvait être sûre. Son désir restait de se recentrer sur elle, sans égoïsme et d’accepter que son mensonge personnel resta de s’être persuadée qu’elle n’aimait plus Georg, que sa fable était navrante et elle essayait de la reléguer aux oubliettes. Cette duplicité était sa fuite, qui la pinçait dans la poitrine, la grignotait peu à peu et que pour l’interrompre, elle se devait de refaire le chemin, relire avec amour toutes les lettres, ne pas attendre cent ans et surtout les lire, pour accepter de s’être enfuie, de n’avoir pas tenu le coup, pour abolir ce que le temps avait installé, résolue à croire qu’elle avait rêvé cette histoire, qu’il ne lui avait jamais dit qu’il l’aimait. Se réapproprier les preuves pour se relever de l’anéantissement parce qu’elle avait fait mourir son histoire et elle de même. Puis, dans l’ordre de « l’infinie répétition du même », pourquoi pas ses filles à l’avenir ? En les dépouillant, le roman épistolaire, aux lettres incontournables qui aident à la recherche d’une réalité vécue et non réinventée, prenait corps.

Autres textes de l’Auteure obligatoirement anonyme

1/ Le cancer sans crier gare
2/ Un étrange compagnon qui n’était pas la mort
3/ « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »
4/ Le cancer était comme une épée qu’elle s’était plantée dans le cœur
6/ La maladie impose une privation qui n’a pas cause humaine et fait de la mort une douleur
7/ L’annonce du cancer
8/ Le sein allait disparaître

4/ Le cancer était comme une épée qu’elle s’était plantée dans le cœur

18 août 2003

Camille s’avouait que sa passion inconvenante pour Georg la dévorait. Inconvenante parce qu’elle était vieille de vingt ans, parce qu’elle en avait épousé un autre, parce qu’étaient nées les filles, parce que le passé est le passé. Elle savait qu’elle n’avait pu quitter Georg qu’au prix du renoncement d’elle-même, elle avait entretenu son désespoir et restait enferrée dans le piège posé vingt ans auparavant par cet amour impossible. Luttant encore contre les normes féroces imposées par la mère de Georg, l’entourage de Georg, le travail de Georg et pour finir, entérinées par Georg lui-même, il restait le dicton de Madame Louise-Marie de France, fille de Louis XV : « Souffrir passe, avoir souffert ne passe pas. » Camille était régie par la quête inaccessible de l’authentique plaisir à être aux côtés de Georg. Le bonheur que lui donnait son amour était réel et le bonheur voulait continuer d’être, alors elle portait la nostalgie de cette époque où elle était heureuse.

Le cancer était comme une épée qu’elle s’était plantée dans le cœur, une estafilade à la poitrine et, une pointe à la manière de Proust, qui la tuerait si elle se l’enlevait. L’héroïne qu’elle était en ayant quitté l’homme qu’elle aimait et qui ne l’aimait plus devait enlever sa perfusion. Georg était son soleil, qui brûle, bien sûr et de cette manière lui tenait chaud. Il l’éclairait, mais il la tuait dans l’anonymat d’un meurtrier sans méchanceté. Camille était sa victime et le cancer n’était qu’un moyen naturel de mourir. Il n’y avait pas de haine entre eux. Comme Georg avait omis de lui exposer sa vision de leur avenir, Camille l’excusait en se persuadant qu’il n’y avait pas pensé parce que sa vision, obstruée de parasitages, comme sa mère, l’empêchait de penser. Georg, intellectuel reconnu par ses pairs, lui prouvait qu’il ne suffit pas de réfléchir pour trouver la force de comprendre et d’agir. Il n’avait pas vu qu’Hexe continuait à gérer sa vie si bien qu’il laissait Camille somatiser son abandon et ses infidélités. Il n’y avait pas d’avenir, puisqu’elle l’avait éconduit lors de sa demande en mariage qui n’en était pas une. Elle savait que c’était grave. Georg avait voulu continuer de plaire à sa mère et n’en avait pas mesuré les conséquences.

Autres textes de l’Auteure obligatoirement anonyme

1/ Le cancer sans crier gare
2/ Un étrange compagnon qui n’était pas la mort
3/ « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »
5/ Dans l’ordre de « l’infinie répétition du même »
6/ La maladie impose une privation qui n’a pas cause humaine et fait de la mort une douleur
7/ L’annonce du cancer
8/ Le sein allait disparaître