24 août 2003
La légère côte à monter vers la maison fut interminable. Atteinte de lypémanie, dépressive, sentant la mélancolie gagner de nouveau, elle trébucha. Le gouffre, le vertige, le vide toujours, encore et encore, elle voulait descendre d’un grand manège qui avait tourné très vite, elle ne savait comment remettre le pied par terre et tournait au son de la musique de E la nave va de Federico Fellini avec ses jeux de fausses notes. Tout au long du film, elle suivait le mouvement ascendant des voix pour atteindre la pureté lors de la scène de sépulture. Lors du Moment musical de Schubert en écoutant les verres chanteurs en cristal avant le naufrage elle rêvait ses rêves et se coulait encore dans l’immense sensualité d’une des plus grandes sensations de sa vie. Pour leur première séance de cinéma, Georg et Camille avaient choisi ce film en version originale. Étant donné que la deuxième langue que pratiquait Georg était l’italien, pourquoi pas le dernier Fellini ?
Camille s’était apprêtée, vêtue d’un gilet noir, aux boutons de jais métallique, taillés à facettes, au décolleté en V, vertigineux, juste bien posé, celui de la publicité pour le parfum Nuits Indiennes de Jean-Louis Scherrer, pensant que la lingerie aurait été déplacée d’autant plus qu’elle n’en était pas adepte. La main gauche de Georg s’est glissée là, sur le grain de beauté, avec juste ce qu’il fallait d’assurance, sous son sein droit. Son cœur s’était installé devant elle et ainsi les doigts de Georg ne pouvaient en prendre le tempo. Pour ne pas mourir de bonheur, elle jouait l’indifférence. Son petit sein discret, celui que décrivait son professeur d’architecture et décor des grandes demeures, en parlant des cariatides de Fontainebleau, était donc sa plus grande intimité ? Douceur, soie, peau, chaleur, juste cette rondeur émouvante, frissonnante, posée dans sa paume. Les doigts effilés de Georg resteraient donc posés là à jamais, mais le sein allait disparaître.
Autres textes de l’Auteure obligatoirement anonyme
1/ Le cancer sans crier gare
2/ Un étrange compagnon qui n’était pas la mort
3/ « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »
4/ Le cancer était comme une épée qu’elle s’était plantée dans le cœur
5/ Dans l’ordre de « l’infinie répétition du même »
6/ La maladie impose une privation qui n’a pas cause humaine et fait de la mort une douleur
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Une réflexion au sujet de « 8/ Le sein allait disparaître »
Ce texte est si bien tourné que les larmes montent. Des mots doux mais froids et forts. C’est cela qui me manque : la main de Georg. Il a laissé son emprunte pour la dernière fois comme un aurevoir. Peut-être que je n’ai pas tout compris, mais je le trouve vraiment beau malgré la situation. Je prendrai le temps de lire les autres. J’aurais du commencer par ça, mais ce sont des textes forts de réalité qui peut arriver A tout moment. Bravo pour nous les faire partager. Merci !
Beatrice D.