Carole Damiani, directrice de Paris Aide Aux Victimes : « Avec le Secrétariat d’État chargé de l’Aide aux Victimes des attentats du 13 novembre, notre collaboration est constante »
19 avril 2016
Carole Damiani, docteur en psychologie, préside l’association Paris Aide aux Victimes (PAV 75) depuis 1990. Le soir des attentats du 13 novembre 2015, le procureur de Paris François Molins saisit immédiatement l’équipe de PAV 75. Leur rôle : apporter un soutien psychologique auprès des victimes et de leurs proches, puis en assurer le suivi. L’association accorde une attention particulière aux personnes ayant perdu un proche lors de ces attaques terroristes. Rencontre et discussion en 6 temps.
1. A PROPOS DU SUIVI PSY DES PERSONNES ENDEUILLÉES
A quel moment l’association Paris Aide aux Victimes commence-t-elle à réfléchir au suivi des proches de victimes, endeuillés suite aux attentats du 13-Novembre ?
Carole Damiani : On s’est tout de suite réunis, dès que l’on a été saisi par le procureur François Molins, pour organiser, entre autres, le dispositif d’accompagnement des personnes endeuillées. On a commencé à avoir des appels dès le lendemain. La demande première concernait des proches, en recherche de quelqu’un qu’ils connaissaient : « On n’a pas de nouvelles, on ne sait pas où ils sont ». On a mis en place une permanence à École Militaire, pour recevoir ces personnes. Les premières réponses que l’on a faites au téléphone, c’était à des questions comme « Je dois annoncer à mon fils de quatre ans qu’il n’aura plus son papa, ou qu’il n’aura plus sa maman, comment je dois lui dire ? »
Qu’est-ce qu’implique le suivi d’une personne ayant perdu un proche dans des circonstances aussi violentes ?
C.D : Le choc est très violent. Une mort violente, ce n’est pas une mort que l’on attend, cela ne respecte pas l’ordre des générations. Ce que l’on va faire avec les personnes, c’est d’abord les aider à aborder ce choc. L’annonce de la mort, c’est quelque chose sur lequel on doit travailler, qui a des incidences sur le suivi. Après le 13-Novembre, l’on s’est aperçu qu’il y a eu des difficultés pour le dire aux proches de victimes. Il faut essayer de voir si la personne est en train de faire un deuil « normal », malgré les difficultés, ou si le processus va être plus compliqué. A partir de là, un suivi plus ou moins long est mis en place, en fonction des besoins.
2. LA MISE EN PLACE DU SOUTIEN PSY : UNE ENTREPRISE COMPLEXE
Vous évoquez des difficultés lors de certaines annonces. Celles-ci ont notamment été évoquées lors de la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale, en lien avec les actions de lutte antiterroriste menées par l’État depuis le 7 janvier 2015. Pouvez-vous m’en dire plus ?
C.D : Il y avait beaucoup de personnes. Généralement, la police établit avec le parquet la liste des personnes décédées, blessées, impliquées. Ils ne donnent ces éléments que lorsqu’ils ont une certitude. Dans cette situation, vu le nombre d’hôpitaux impliqués, difficile d’avoir des certitudes rapidement. Il y a des familles qui ont eu des informations contradictoires. L’un disant « Oui on sait », rappelait un peu après pour corriger : « On n’est pas sûr ». La liste définitive a été difficile et longue à établir.
Cela ajoutait un coup supplémentaire à leur douleur…
C.D : Effectivement. Quand on ne sait pas, c’est pire que tout. Il y a des gens qui ont cherché par eux-mêmes dans les hôpitaux. Ils n’arrivaient pas à obtenir d’informations sûres et certaines via le numéro d’urgence. Ils ont donc essayé de les obtenir par eux-mêmes.
3. PERDRE UN PROCHE LORS DES ATTENTATS : UN DEUIL TRAUMATIQUE
La notion de « deuil » est souvent reprise à toutes les sauces dans les médias. Pouvez-vous nous en donner votre définition de psychologue ?
C.D : Il faut déjà différencier ce qui est de l’ordre du traumatisme et de l’ordre du deuil. Le deuil, c’est lorsque l’on a perdu quelqu’un. Le traumatisme, c’est lorsque l’on a subi un événement, tel que les attentats du 13-Novembre. Des personnes se trouvent dans les deux positions. Ils ont vécu un événement très grave, traumatisant, et en plus, ils sont en deuil. Lorsque le deuil se déroule normalement, la personne se centre sur le disparu, va ressentir de la tristesse, avoir des comportements de recherche. Cela s’atténue progressivement, le temps que les cycles de la vie se remettent en place. Il y a un travail de deuil qui se met en place. Dans ces circonstances, l’on va parfois parler de deuil traumatogène, ou traumatique. En raison de la situation, une perte liée à un attentat par exemple, cela va être beaucoup plus compliqué que de perdre un aïeul très âgé, gravement malade depuis des années.
Cela implique un travail long. Comment Paris Aide aux Victimes va-t-il pouvoir être présent sur la longue durée ?
C.D : Nous avons des moyens qui nous permettent de faire un suivi des personnes pendant le temps de la procédure pénale liée à ces attentats. Dans cette situation, étant donné la massivité du nombre de personnes que nous avons reçues, des moyens complémentaires nous ont été donnés. J’ai pu doubler l’équipe.
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