Elsa Vigoureux
L’avocat lillois, qui va assurer la défense du Français impliqué dans les attentats de Paris, est connu pour avoir assisté plusieurs acquittés d’Outreau, Florence Cassez ou encore Dominique Cottrez. Portrait d’une « gueule cassée ».
• Salah Abdeslam, suspect des attaques de Paris du 13 novembre qui a été remis à la France par la justice belge, sera défendu par l’avocat lillois Frank Berton.
• « Ce qu’il m’importe, c’est qu’il ait un procès équitable et qu’il soit condamné pour les choses qu’il a faites et non pour les choses qu’il n’a pas faites », a déclaré le pénaliste, qui travaillera au côté de Sven Mary, l’avocat belge de Salah Abdeslam.
• En juillet dernier, « l’Obs » avait consacré un portrait à Frank Berton.
Publié le 16 juillet 2015 à 19h05
Tous les matins, il l’a attendue au volant de son 4×4 sur le parking du petit hôtel où elle dormait à Hénin-Beaumont. Puis il l’a conduite chaque jour pendant une semaine jusqu’à la cour d’assises du Nord, où on la jugeait pour le meurtre de huit de ses nourrissons. Frank Berton a regardé sans jamais la lâcher Dominique Cottrez, quand elle a menti en inventant un inceste, quand elle a finalement reconnu qu’il n’y en avait jamais eu, quand elle a répondu aux questions en les reprenant de manière affirmative, quand elle s’est complu dans des larmes faciles, quand elle a traîné les jurés au bout de sa voix chevrotante.
Il était là pour elle. Pas seulement comme un avocat venu défendre une cliente, montrée du doigt comme une criminelle. Mais plutôt “comme un chevalier” dit-il, qui voulait sauver une mère, la ramener au monde, la rétablir en tant que femme parmi toutes les autres. Elle risquait la perpétuité. Le ministère public avait requis dix-huit ans de prison. Il en a obtenu moitié moins.
Avant de plaider, il a regardé sa cliente “droit dans les yeux”, il lui a demandé : “Vous me faites confiance ?” Dominique Cottrez lui a dit “oui”, dans un ultime souffle d’espoir.
C’était sa vie, sa liberté qu’elle mettait entre mes mains. Derrière, je n’ai pas le droit de m’installer dans une routine qui consiste à défendre pour défendre. J’ai peur, j’ai un trac fou.
En fait, Frank Berton ne plaide pas, il plonge. Déploie son physique de rugbyman, offre sa belle gueule cassée en gage de garantie à la cour. A Douai, il a posé sa voix caverneuse entre la poitrine et la tête des jurés, pour les attraper à la gorge : “Vous n’avez pas le droit de refuser aujourd’hui de l’aide à Dominique Cottrez.” L’avocat a caressé de sa main épaisse et sûre l’épaule abandonnée de sa cliente, obèse et assassine. Il l’a aimée, et c’est toute la salle d’audience qui a frissonné quand il a dit :
Je vous trouve belle. Pas à raison de votre place aujourd’hui, mais parce que madame, vous êtes belle en vous. Avant d’être mère, il faut être une femme. Avez-vous été une femme ? Oui… Mais personne ne l’a vu.
Frank Berton ne “représente” pas Dominique Cottrez à Douai. Comme il ne “représentait” pas Frank Lavier, Odile Marécaux et Daniel Legrand, tous trois acquittés dans l’affaire d’Outreau, ni même Florence Cassez, ramenée du Mexique. Il est chacun d’entre eux, à chaque fois. Et c’est bien ce faible qu’il nourrit pour les autres qui fait la force de ce pénaliste hors-norme : il n’est pas un gouffre, une détresse, qui ne l’effraie. Sa femme, Bérangère Lecaille, avocate aussi, dit : “Il est passionné par la nature humaine, il passe son temps à chercher à comprendre pourquoi, comment ? Frank a une intuition phénoménale.” Il concède : “J’absorbe tout, à chaque fois.”
A cœur ouvert
Berton éponge le pire, il prend les gens dans leur jus, qu’importe s’il se salit, qu’importe s’il s’abîme. Il essore ce qu’il peut dans les prétoires, stocke le reste au fond de lui, mille-feuilles de peines mêlées de colères à lui tout seul. Il le sait :
J’ai toujours excellé en défendant l’autre, parce qu’à travers lui, c’est moi que je défends. Je rouvre mes blessures pour la bonne cause.
Il voudrait qu’on passe vite sur ces peines, les siennes. Alors c’est l’avocat qui prend le dessus, répond aux questions avant qu’on les pose : Frank Berton, né à Amiens en 1962, est l’aîné d’une famille de trois enfants. Sa mère, aujourd’hui retraitée, était secrétaire à la fédération du Nord du Parti Communiste. Son père était représentant en commerce, “il conduisait une R16”. “Il me battait. Mais vraiment. Jusqu’au jour où j’ai secouru ma mère. Il est parti. Je ne l’ai plus revu… Mon passé, cette enfance, c’est loin maintenant, je ne veux plus en parler, j’ai réglé mes souffrances.”
Frank Berton s’est bâti à cœur ouvert. A l’école, à l’étroit dans les cadres, il n’était pas très bon élève. Mais c’était un sportif, nageur de haut niveau, défiant les limites. Des complexes, il se souvient en avoir eu, “comme ceux que je défends aujourd’hui”. Le gosse Frank Berton, timide, vulnérable et pudique, est resté tapi dans le ventre du pénaliste au regard noir mais plein de larmes, devenu “une bête de scène”, comme s’accordent à le reconnaître ses confrères. Il sent les gens comme un animal, ce qui fait de lui un leader capable de se frayer un chemin partout.
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