Pas possible ! Ils bougent encore. On les aurait presque oubliés, on n’y pensait plus, sauf à la manière d’une vague idée planant dans les esprits comme les restes d’un ancien cauchemar. Ces enfants qui mentent et qui, avec l’appui de vilains juges et de vilains experts, pourraient bien vous envoyer au trou. On aurait même cru définitivement acquise, une autre manière de considérer les auteurs présumés des violences faites aux enfants. Une manière empreinte de sagesse et de circonspection. Attention, Outreau !
Et voilà qu’ils apparaissent à nouveau. Cela commence par Chérif, dont une courte vidéo parcourt le net, annonçant un reportage plus long et détaillé de Serge Garde. Et cela ne s’arrêtera pas là. C’est qu’ils grandissent ces enfants, et leur mémoire ne s’efface pas. Que les envolées tonitruantes des robes noires aient pu sembler les confondre, à leur jeune âge, calés contre toute logique dans un box d’accusés1, déposant à la barre à deux mètres de leurs parents et des autres personnes qu’ils avaient dénoncés, pressés de questions déstabilisantes pendant des heures, parfois tournés en ridicule, quoi d’étonnant ? Quel tour de force pour la défense !
Mais la rancœur est tenace et l’injustice motrice. La maturité redonne des forces, le besoin de parler prend le dessus, le cri qui s’élève est une question vitale : rétablir pour survivre. Rétablir ce qui n’a pas été entendu, ce qui a été entendu, mais n’a pas été compris, rétablir les faits reconnus qui ont été écartés.
Qui a peur des enfants d’Outreau ? Sur combien de personnes passe le frisson ? Douze enfants formellement reconnus victimes, mais où sont passés les agresseurs ? Comment, face à eux, les avocats de la défense vont-ils pouvoir rester droits dans leurs bottes ? Comment les petits soldats et soldates des médias qui ont suivi la défense avec tant d’empressement vont-ils justifier à postériori leur manque de prudence ? Comment ceux qui ont digressé sur les leçons de ce fiasco vont-ils rebondir pour ne pas perdre la face ? Comment réagiront finalement toutes les personnes qui vont se sentir trahies par les acteurs qui, chacun à leur manière ont relayé et amplifié une histoire mythique qui va bientôt se trouver mise à mal ?
Au total, le grand déballage auquel on peut s’attendre va concerner du monde. Pas seulement ceux qui craignent une perception réajustée de ce drame. À côté d’eux, dans l’ombre de l’indifférence, il y a la cohorte de toutes les victimes silencieuses, celles auxquelles aucune justice n’a été rendue. Celles-là ne craignent pas les témoignages des enfants d’Outreau, car ces témoignages parleront aussi de leur propre souffrance.
1Voir le livre « Outreau, la vérité abusée » de Marie-Christine Gryson-Dejehansart, éditions Hugo & Cie, 2009
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