Qui a peur des enfants d’Outreau ? Par Jacques Cuvillier

Monde-édition-abonnés22 avril 2011

Pas possible ! Ils bougent encore. On les aurait presque oubliés, on n’y pensait plus, sauf à la manière d’une vague idée planant dans les esprits comme les restes d’un ancien cauchemar. Ces enfants qui mentent et qui, avec l’appui de vilains juges et de vilains experts, pourraient bien vous envoyer au trou. On aurait même cru définitivement acquise, une autre manière de considérer les auteurs présumés des violences faites aux enfants. Une manière empreinte de sagesse et de circonspection. Attention, Outreau !

Et voilà qu’ils apparaissent à nouveau. Cela commence par Chérif, dont une courte vidéo parcourt le net, annonçant un reportage plus long et détaillé de Serge Garde. Et cela ne s’arrêtera pas là. C’est qu’ils grandissent ces enfants, et leur mémoire ne s’efface pas. Que les envolées tonitruantes des robes noires aient pu sembler les confondre, à leur jeune âge, calés contre toute logique dans un box d’accusés1, déposant à la barre à deux mètres de leurs parents et des autres personnes qu’ils avaient dénoncés, pressés de questions déstabilisantes pendant des heures, parfois tournés en ridicule, quoi d’étonnant ? Quel tour de force pour la défense !

Mais la rancœur est tenace et l’injustice motrice. La maturité redonne des forces, le besoin de parler prend le dessus, le cri qui s’élève est une question vitale : rétablir pour survivre. Rétablir ce qui n’a pas été entendu, ce qui a été entendu, mais n’a pas été compris, rétablir les faits reconnus qui ont été écartés.

Qui a peur des enfants d’Outreau ? Sur combien de personnes passe le frisson ? Douze enfants formellement reconnus victimes, mais où sont passés les agresseurs ? Comment, face à eux, les avocats de la défense vont-ils pouvoir rester droits dans leurs bottes ? Comment les petits soldats et soldates des médias qui ont suivi la défense avec tant d’empressement vont-ils justifier à postériori leur manque de prudence ? Comment ceux qui ont digressé sur les leçons de ce fiasco vont-ils rebondir pour ne pas perdre la face ? Comment réagiront finalement toutes les personnes qui vont se sentir trahies par les acteurs qui, chacun à leur manière ont relayé et amplifié une histoire mythique qui va bientôt se trouver mise à mal ?

Au total, le grand déballage auquel on peut s’attendre va concerner du monde. Pas seulement ceux qui craignent une perception réajustée de ce drame. À côté d’eux, dans l’ombre de l’indifférence, il y a la cohorte de toutes les victimes silencieuses, celles auxquelles aucune justice n’a été rendue. Celles-là ne craignent pas les témoignages des enfants d’Outreau, car ces témoignages parleront aussi de leur propre souffrance.

1Voir le livre « Outreau, la vérité abusée » de Marie-Christine Gryson-Dejehansart, éditions Hugo & Cie, 2009
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Exclusif/ Outreau : la Cour européenne des droits de l’homme saisie pour faire condamner la France pour « procès inéquitable »

Logo Un journalisme d'investigation11 mai 2015 | Auteur
Exclusivité de mon blog : www.jacquesthomet.com
11 mai 2015
A une semaine du procès du fils Daniel Legrand devant la cour d’assises des mineurs à Rennes pour des viols présumés, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg étudie une requête de partie civile visant à faire condamner la France pour « procès inéquitable » lors des assises en appel à Paris en 2005 sur les viols de mineurs commis à Outreau, selon des sources proches du dossier.

A l’issue des procès de Saint-Omer en 2004 et de Paris l’année suivante, 4 adultes accusés avaient été condamnés à la prison, et 13  autres – dont le fils Daniel Legrand – avaient été acquittés, au terme d’audiences iniques pour les 18 enfants violés, insultés par les avocats de la défense et confinés dans le box des accusés à leur place (Cf. mon livre « Retour à Outreau-Contre-enquête sur une manipulation pédocriminelle- Editions Kontrekulture-2013). Douze des enfants avaient été reconnus comme victime de viols et indemnisés, à hauteur de 25.000 euros chacun en moyenne, contre 300.000 euros pour chacun des acquittés.

Les assises de Rennes vont juger du 18 mai au 5 juin le fils Legrand, âgé de 34 ans aujourd’hui, pour les viols présumés commis avant 1999 sur les quatre enfants du coupe Myriam Badaoui et Thierry Delay (deux des quatre condamnés), lorsqu’il était lui-même mineur, soit quinze ans après les faits.

La requête écrite de partie civile – qui a requis l’anonymat – a été admise pour étude par la Cour européenne des droits de l’homme, qui peut rendre ses conclusions à tout moment. Si la recevabilité de la plainte est reconnue, une instruction est ouverte, dans les conditions du contradictoire, avant qu’un arrêt ne soit pris par la Cour, en faveur ou non du plaignant.

Selon la requête déposée à Strasbourg, en vertu de l’article 6 de la CEDH, « le procès de la Cour d’assises de Paris a été totalement inéquitable. Le Procureur général, Yves Bot, et son adjoint, Yves Jannier, lequel avait faire taire les parties civiles durant le procès, ont organisé dans la salle des Assises, la veille de la dernière audience, une conférence de presse publique qui a été très largement relayée dans les médias nationaux. Ils ont présenté leurs excuses aux accusés avant que le jury de la Cour d’assises ne délibère le lendemain.

Les jurés de la Cour d’assises, qui pour la plupart ne sont pas des professionnels mais de simples citoyens, ont été directement influencés dans leur délibéré par cette intervention, très préparée, qui a été faite par deux très hauts magistrats qui se sont présentés à la conférence de presse.

Les jurés ont nécessairement eu connaissance de cette conférence de presse puisqu’ils ont regagné leurs domiciles avant le délibéré et avaient accès aux médias. C’était d’ailleurs l’objectif de ces deux magistrats: de faire pression sur la Cour d’assises afin d’obtenir avec certitude une décision d’acquittement général. Ceci a été rendu possible parce que le parquet général, en France, est dépendant du pouvoir politique. En effet, le Procureur général de Paris dépend du Directeur des affaires criminelles et des grâces qui lui-même prend ses instructions directement auprès du Ministre de la justice française.

Pression a été faite sur les jurés dans cette affaire pour faire acquitter des accusés au détriment de nos intérêts à nous, les victimes.

Cette même requête a invoqué également un délai de procédure déraisonnable dans le dossier du fils Legrand lorsqu’il était mineur, et jugé seulement en 2015. « (…) La Cour d’assises des mineurs ne s’est jamais réunie à ce jour. Une audience de première instance est prévue en mai 2015, soit plus de 14 ans après que la justice française eut été informée des faits de viols et plus de 12 ans depuis la clôture du dossier d’instruction. Pendant ces 12 années, que rien ne justifie, il ne s’est strictement rien passé d’un point de vue judiciaire. La seule explication à ce délai,  insupportable pour les victimes, c’est que le pouvoir politique a entendu étouffer l’affaire en attendant la prescription du dossier (10 ans) afin que Daniel Legrand fils ne soit jamais jugé. Un avocat de la défense a expliqué publiquement qu’un accord secret sur le dos des victimes, qui étaient toutes à l’époque mineures, a été fait à la demande du ministre de la justice, par l’intermédiaire du procureur général, pour que cette partie de dossier ne soit jamais audiencée.

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