Outreau : le Tchernobyl pédophile qui frappe la Grande-Bretagne éviterait la France…

Un double coup de théâtre identique à celui de Paris en 2005 dans la même affaire d’Outreau a secoué les assises des mineurs à Rennes jeudi, avec les réquisitions de l’avocat général demandant l’acquittement de Daniel Legrand fils, accusé de viol présumé sur les enfants Delay, et la décision des avocats de la défense de ne pas plaider après cette invocation de son « innocence ».Le verdict sera rendu vendredi, mais une telle communion de pensée entre le ministère public et la défense laisse une marge infinitésimale à une éventuelle condamnation du fils Legrand, déjà acquitté en 2005, avec douze autres accusés, pour des faits qu’il aurait commis en tant qu’adulte.

« Il n’y a rien dans le dossier, et je demande aux jurés de déclarer Daniel Legrand fils non coupable, car il est innocent, et je veux que vous l’écriviez car il n’a rien fait », s’est écrié l’avocat général Stéphane Cantero, dans une initiative apparemment sans précédent dans l’histoire judiciaire.

Les avocats de la défense se sont alors réunis en privé avant de venir en groupe devant la Cour y annoncer, par la voix de Me Hubert Larue, que « face à ce réquisitoire d’innocence », ils avaient « décidé de ne pas plaider », tout en reconnaissant que « les enfants Delay sont des victimes ». Il leur était difficile de dire le contraire pour ces mineurs devenus adultes, puisqu’ils avaient été reconnus victimes par les jurés à Paris en 2005 avec neuf autres enfants et tous indemnisés par l’État.

Cette avalanche de clémence en faveur de l’accusé a surpris les connaisseurs du dossier d’autant plus que Daniel Legrand avait avoué à deux reprises des viols et dénoncé d’autres adultes en 2001 et 2002 avant de se rétracter.

Dans son réquisitoire long de deux heures, l’avocat général est revenu sur l’affaire d’Outreau pour monter haut la barre dans le dénigrement systématique des victimes, des organismes de défense de l’enfance, des experts, de l’enquête policière, du juge Fabrice Burgaud et même de la chambre de l’instruction à Douai.

Cet ersatz verbal de « massacre à la tronçonneuse » a été énoncé d’une voix cassante, avec le recours à la prétérition, figure de rhétorique périmée certainement apprise par Démosthène à son premier cours devant ses élèves. Les cailloux qu’utilisait l’orateur grec dans sa bouche pour domestiquer son élocution donnaient l’impression d’être restés dans celle de l’avocat général pour mieux casser du sucre sur ses cibles.

« Ce n’est pas le procès des victimes, mais… », a-t-il dit d’entrée. Après avoir reconnu l’état de victimes de Chérif, Dimitri et Jonathan Delay, il a réduit cette concession à la portion congrue pour mieux stigmatiser leurs accusations. « Les enfants Delay se trompent, ils ne mentent pas, mais ils vivent de faux souvenirs, de souvenirs reconstruits ». Quand Dimitri a établi une liste de prédateurs devant sa famille d’accueil à l’époque des faits, M. Cantero en a déduit qu’il avait eu « une forme de pensée magique ». Jonathan a lui aussi accouché de « souvenirs reconstruits », selon le magistrat. Emporté par son élan réprobateur, il a osé même citer les sorcières de Salem, que les enfants pointaient du doigt pour les faire pendre.

« Ce n’est pas le procès de l’instruction, mais… », a-t-il poursuivi. Cette prétérition a donné lieu à une démolition en règle de l’enquête menée par la police et le juge Burgaud. « C’est pire que Kafka », selon ses dires, teintés d’une pointe de compassion : « le juge a fait ce qu’il pouvait, il était de bonne foi, mais il était seul, inexpérimenté, et victime de ‘l’effet Rosenthal’ (ne pas entendre ce qui va à l’encontre de la conviction initiale) ». Les magistrats du Nord-Pas-de-Calais en ont pris un sérieux coup pour leur grade à leur tour : « c’est aussi un échec de l’institution, a ajoute M. Cantero. Sur les 66 juges de la chambre de l’instruction, personne n’a arrêté la machine ». Ces mêmes collègues de l’avocat général dans le Nord apprécieront à ce égard son allusion à « Mangez-le si vous voulez ». Ce livre de Jean Teulé raconte le drame survenu en 1870 à Hautefaye (Dordogne), village où un aristocrate local avait été confondu avec un Prussien et immolé par les habitants. « Mangez-le si vous voulez », aurait dit le maire à ses administrés.

Depuis l’ouverture des assises le 18 mai, Stéphane Cantero s’est distingué par ses permanentes interventions à décharge au profit de Daniel Legrand, et des initiatives surprenantes, y compris avec l’appel comme témoins à deux psychologues belge et canadien, Marc Meulen et Hubert Van Gijseghem.

La partie civile avait mis en cause la veille avec fermeté la légalité de ces invitations, réalisées par mail et par téléphone respectivement. Dans le mail de Stéphane Cantero à Hubert Van Gijseghem avant le procès pour le citer comme témoin, et lu par le président des assises en audience, le magistrat évoquait le thème à débattre dans sa comparution par visioconférence depuis Montréal. « Quand je cite un témoin aux assises, il m’est formellement interdit de lui en dire les raisons », s’était insurgé l’avocat Yves Moneiris.

Cette incongruité dénoncée par la partie civile n’est que l’une des anomalies détectées dans ce procès qui a failli ne jamais être audiencé depuis l’ordonnance de renvoi de 2003. Le procureur de Pontoise Jean-Jacques Zirnhelt, venu témoigner mardi à Rennes, était à ce poste à Douai de 2004 à 2011.  Il a alors révélé avoir annoncé en 2006, dans une réunion avec les avocats de la défense aux procès d’Outreau, en l’absence de leurs collègues de la partie civile, qu’il « n’avait pas l’intention d’audiencer ce procès » aux assises des mineurs.
« Compte tenu des épreuves subies par les enfants qui avaient vu leurs parents condamnés, et du fait qu’en appel à Paris ils n’avaient pas parlé, j’ai pensé que ce ne serait pas bon pour eux qu’ils reviennent devant une cour d’assises », avait-il précisé avant d’assurer que « jamais il n’avait pris une telle décision (dans sa carrière) ». Parmi les avocats présents à cet accord secret, dénoncé à Rennes par la partie civile, figuraient Eric Dupond-Moretti, Frank Berton et Hubert Delarue, à nouveau sur le banc de la défense à Rennes.

Dans son réquisitoire ce jeudi, M. Cantero a louvoyé dans ses commentaires sur le bien-fondé de ce procès. Après avoir dit que c’était « une erreur », il a reconnu ensuite, comme la partie civile l’avait fait la veille avec virulence, que « c’est une obligation de faire le procès de Daniel Legrand, sinon c’est un déni de justice », avant de justifier les près de dix années de retard à l’audiencer par un « souci d’apaisement, sans un deal secret ».

L’avocat général s’en est pris également à deux femmes. D’abord à Homayra Sellier, présidente de l’association Innocence en danger, à l’origine de la demande en juin 2013 pour que ce procès se tienne avant sa prescription à la fin de cette année-là. « Elle affirme que les enfants violés ne sont plus entendus depuis l’affaire d’Outreau, c’est le contraire », s’est-il écrié, dans un évident déni de la réalité que connaissent tous les spécialistes de l’enfance maltraitée.

Puis à Laurence Gratton, animatrice d’un blog critique sur Outreau. Cette dame a pris soin pendant deux ans de Chérif, et de temps à autre de Dimitri et de Jonathan, à ses frais. Pourquoi l’avocat général a-t-il abaissé le débat jusqu’à dire : « on ne sait plus si c’est sa mère, sa femme ou sa maîtresse. »

Ce nouvel épisode sur la pédophilie se situe au moment même où la police britannique enquête sur 1433 personnes soupçonnées d’abus sexuels sur des enfants, sur plusieurs décennies, dont 261 « personnalités en vue » de la politique, des médias ou du cinéma.

Aucune enquête similaire n’a lieu dans l’Hexagone, comme si le Tchernobyl pédophile qui frappe la Grande-Bretagne évitait la France…

Nota Bene : pendant l’audience de lundi, l’avocat de la défense Frank Berton avait publiquement évoqué mon livre « Retour à Outreau », écrit par le « pseudo journaliste Thomet ».

J’ai attendu la fin du procès jeudi pour aller le voir à la sortie du palais de justice, alors qu’il avait repris ses habits civils. « Monsieur Berton, vous avez tout loisir pour me qualifier de ‘révisionniste’ d’Outreau, mais je vous interdis de me traiter de pseudo journaliste », lui ai-je dit. « D’accord », m’a-t-il répondu. Dont acte.

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Mon avis sur le troisième procès Outreau Par Karl Zéro

photojuin 5, 2015

Chérif Delay est l’aîné de la fratrie des enfants victimes d’Outreau (les quatre petits Delay et huit autres), dont le troisième procès est sur le point de se clore. L’inculpé pour pédophilie Daniel Legrand-fils est une nouvelle fois en passe de se faire acquitter.

Chérif était, ces dernières années, parti « oublier » les procès et l’affaire à Dakar, au Sénégal. C’est là que Serge Garde, qui réalisera par la suite le documentaire Outreau, l’autre vérité pour le cinéma, l’avait retrouvé. C’était il y a quatre ans. À l’époque, Chérif ne voulait plus qu’on l’appelle Kévin, prénom celtique dont l’avait affublé son beau-père calaisien – selon plusieurs sources, pour mieux le prostituer. En devenant majeur, Chérif avait le choix : parler ou se taire à jamais. Il fit le premier, et raconta son enfer à Serge. Ce sont ces images que je vous propose de voir aujourd’hui.

Elles font froid dans le dos. Elles décrivent une souffrance inimaginable, celui de l’enfant qui endure et ne peut rien dire. De cette interview et du film qu’en tira Garde, puis de deux livres sont nés ce que les avocats des acquittés d’Outreau, Éric Dupond-Moretti en tête, appellent aujourd’hui le « complot révisionniste » d’un quarteron d’internautes et d’experts pédopsychiatres. On a le droit d’être circonspect devant cet argument.

Moi, je ne suis pas là pour juger. Je suis là pour écouter, et essayer de me faire un avis. J’entends comprendre, sans que tel ou tel tribun de la presse ou du barreau ne me l’impose. Car cette affaire d’ Outreau est si étrange qu’on en ressort, même après trois procès, avec une seule certitude : face au fléau pédophile, la justice française est complètement démunie, et impuissante. On en ressort à chaque fois avec le sentiment diffus que tout le monde ment.

La décision du jury pour « Outreau 3 », n’est pas encore tombée « à l’heure où nous mettons sous presse », comme on disait quand il y avait encore une presse et des journaux en papier. Notons néanmoins que cet adage est bidon. Preuve en est qu’il y eut un procès Outreau 1 – de mai à juillet 2004 – et en appel, un procès Outreau 2 – au mois de novembre 2005. Entre-temps, on avait donc dû largement se permettre de commenter la première décision de justice afin d’en arriver à la seconde.

Je vous refais le pitch, en bref, au cas où vous reviendriez d’un très long hiver d’une quinzaine d’années : à Outreau, Pas-de-Calais, dans le quartier de la Tour du Renard, douze enfants furent selon leurs dires que la justice écouta en les indemnisant violés pendant des années par plusieurs pédophiles. Qui étaient-ils, ces pédos ?

Version procès 1 : parmi dix-sept accusés, treize d’entre eux sont condamnés.

Version procès 2 : finalement, il n’y a plus que quatre d’entre eux qui sont coupables. À savoir le célèbre couple Delay-Badaoui, doublé de leurs voisins les « D-G » (on les appelle comme ça parce qu’ils sont aujourd’hui libres, et qu’ils auraient le droit à l’oubli) tombent pour « viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme ». Je mets le mot en italique exprès, car on va y revenir.

On acquitta les personnes qui croupissaient en prison pour rien, et lors d’un grand show diffusé en direct, une impressionnante commission d’enquête parlementaire jura ses grands Dieux que plus jamais la Justice ne mettrait des innocents en prison – et déculotta publiquement le jeune Juge Burgaud.

Et on en arrive à un pauvre remake organisé à Rennes depuis trois semaines et jusqu’à aujourd’hui, Outreau 3. Il s’agissait d’y juger Daniel Legrand fils (condamné en 2004, puis blanchi en 2005) pour des viols commis à la Tour du Renard lorsqu’il était mineur. Pourquoi maintenant, me direz-vous, si longtemps après ? Parce qu’après, il y aurait eu prescription. Et que cette prescription, le syndicat FO de la magistrature et l’association Innocence en Danger n’en voulaient à aucun prix.

Ils espéraient qu’au cours de cet ultime round judiciaire, la vérité sortirait, non pas de la bouche des enfants, reconnus victimes et venus déposer, continuant d’accuser certains des acquittés – mais des acquittés eux-mêmes…

Cela n’a pas eu lieu. Je ne m’avance guère, à l’heure où nous mettons sous presse donc, pour vous annoncer le non-lieu de Daniel Legrand-fils, qui sera porté en triomphe, dès ce soir, de Rennes jusqu’à Outreau.

Mais, revenons à la qualification de proxénétisme pour laquelle quatre condamnés se retrouvèrent en prison – Thierry Delay y est, lui, toujours… En toute logique, s’il y a eu proxénétisme de leur part, c’est qu’il y avait des clients ? Je veux dire : à part eux-mêmes – qui ne pouvaient pas être leurs propres clients. Où sont-ils passés, alors, ces clients ?

J’ai confiance en la justice de mon pays, et je la suis comme un seul homme quand elle me dit que ces clients, ce ne sont pas les acquittés d’Outreau 2 (et l’acquitté à venir d’Outreau 3). Seulement voilà : maintenant que cette affaire est close pour toujours, je reste sur ma faim. Alors j’avais envie d’entendre ce que dit celui « par qui le scandale est arrivé », Chérif. La vidéo est sur ma chaîne YouTube Karl Zéro Absolu, maintenant.

Thèmes : Outreau, procès d’Outreau, France, Pas-de-Calais, Karl Zéro, Chérif Delay, Daniel Legrand
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