Laurence Rossignol : « La famille, c’est le lieu où les inégalités prennent racine »

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Laurence Rossignol : La critique était prévisible, je l’avais anticipée. Mais j’espère en tirer du positif : elle est l’occasion d’ouvrir une discussion avec celles et ceux qui la mènent. Bien sûr, ce qui a été clairement identifié, historiquement, par les féministes, c’est la famille patriarcale et sa fonction d’assignation des femmes à leur condition. Dès lors les critiques disent, par exemple : « Placer Famille et Droits des femmes entre les mains de la même ministre c’est, en creux, renvoyer les femmes au foyer. » Mais enfin, en quoi parler de famille, c’est sous-entendre qu’on veut renvoyer les femmes au foyer ?

J’irais même plus loin, je pense que la question du renvoi des femmes au foyer est marginale aujourd’hui. Les deux sujets de préoccupation principaux sont, d’une part, la précarité dans le travail – le travail à temps partiel contraint – et d’autre part le chômage spécifique des femmes. Et ce qui menace les femmes aujourd’hui, ce n’est pas tant d’être renvoyées au foyer que de devoir organiser leur vie professionnelle en fonction de leurs responsabilités familiales.

Donc, pour parler encore « en creux », le ministère de la Famille serait plutôt celui de l’Égalité professionnelle ?

La famille, l’enfance, c’est le lieu où les inégalités entre femmes et hommes prennent racine, là aussi où elles se transmettent. Ceci est nourri d’observations statistiques : 40% des femmes changent leur façon de travailler et leurs projets professionnels à la naissance d’un enfant. Seulement 6% des hommes le font.

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Sauvage, Outreau : la vraie compassion passe par le vrai jugement

Logo-Boulevard-Voltaire31 janvier 2016


Auteur, militante féministe Membre du CNDF (Collectif national pour les droits des femmes), du CERF (Cercle d’Études de réformes féministes)
Qu’est-ce que bien juger ? Notre société ne le sait toujours pas, et même de moins en moins.
Ce que je lis dans la presse sur la famille Sauvage est terrible. Mais je vois un second phénomène terrible dans cette affaire, le même qui m’avait paru dramatique dans l’affaire d’Outreau : le jugement hâtif par le grand public. La perte de la notion même de ce qu’est la justice, un jugement, la perte de la conscience de la difficulté de juger et des conditions indispensables pour avoir une opinion, pour se former un jugement.

Les féministes rappellent un des éléments à prendre en compte pour comprendre les réactions des femmes victimes de violence : la violence elle-même dans toutes ses dimensions et répercussions. Les femmes victimes de violences paraissent ne pas se défendre lorsque l’on ignore à quel point la violence qu’elles subissent a détruit leurs moyens de se défendre et même d’appeler au secours, lorsque l’on ignore à quel point le simple fait d’appeler au secours peut être dangereux pour elles et leurs enfants. Un des éléments…

Philippe Bilger rappelle, dans Le Figaro du 28 janvier, que la justice ne peut être bien rendue sans connaissance du dossier et admoneste à juste titre les personnes qui expriment un avis sur une affaire alors qu’elles n’ont ni assisté au procès ni eu accès au dossier. Des donneurs de leçon « jugent » le travail des juges et jurés… par un jugement expéditif et subjectif, sans même avoir conscience des manquements de leur propre procédé.

« Qui n’a pas assisté au procès et n’a pas eu accès au dossier », pour reprendre les mots de ce juge professionnel, qui n’a que des bribes d’informations, des impressions, n’a qu’une option valable : se taire, reconnaître son incapacité à se forger la moindre opinion valable.

La vraie compassion nécessite le vrai jugement. Sans connaître la maladie réelle, on peut consoler le malade, mais on ne peut pas le soigner. Pire : on risque de le tuer.

La femme qui tue parce qu’elle ne trouve aucun moyen d’échapper à une menace d’être tuée par un homme violent est en situation de légitime défense. La femme qui, sous le poids de la souffrance des violences, exprime sa douleur en punissant son bourreau, subit une deuxième souffrance : avoir elle-même succombé à la violence, avoir été détruite au point d’en arriver là… Ne pas reconnaître cette souffrance spécifique, c’est laisser la victime seule avec ce fardeau-là.

Qui a lu les 30.000 pages du dossier d’Outreau ? Pourtant, sur la base d’articles à sensation, appelant à la compassion pour les « innocents d’Outreau », l’opinion a retenu que « les enfants mentent » et oublié les enfants reconnus victimes dans cette affaire. Le résultat est un recul dramatique, actuellement, de la protection des enfants violés.

Qu’est-ce que bien juger ? Notre société ne le sait toujours pas, et même de moins en moins.

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