Sauvage, Outreau : la vraie compassion passe par le vrai jugement

Logo-Boulevard-Voltaire31 janvier 2016


Auteur, militante féministe Membre du CNDF (Collectif national pour les droits des femmes), du CERF (Cercle d’Études de réformes féministes)
Qu’est-ce que bien juger ? Notre société ne le sait toujours pas, et même de moins en moins.
Ce que je lis dans la presse sur la famille Sauvage est terrible. Mais je vois un second phénomène terrible dans cette affaire, le même qui m’avait paru dramatique dans l’affaire d’Outreau : le jugement hâtif par le grand public. La perte de la notion même de ce qu’est la justice, un jugement, la perte de la conscience de la difficulté de juger et des conditions indispensables pour avoir une opinion, pour se former un jugement.

Les féministes rappellent un des éléments à prendre en compte pour comprendre les réactions des femmes victimes de violence : la violence elle-même dans toutes ses dimensions et répercussions. Les femmes victimes de violences paraissent ne pas se défendre lorsque l’on ignore à quel point la violence qu’elles subissent a détruit leurs moyens de se défendre et même d’appeler au secours, lorsque l’on ignore à quel point le simple fait d’appeler au secours peut être dangereux pour elles et leurs enfants. Un des éléments…

Philippe Bilger rappelle, dans Le Figaro du 28 janvier, que la justice ne peut être bien rendue sans connaissance du dossier et admoneste à juste titre les personnes qui expriment un avis sur une affaire alors qu’elles n’ont ni assisté au procès ni eu accès au dossier. Des donneurs de leçon « jugent » le travail des juges et jurés… par un jugement expéditif et subjectif, sans même avoir conscience des manquements de leur propre procédé.

« Qui n’a pas assisté au procès et n’a pas eu accès au dossier », pour reprendre les mots de ce juge professionnel, qui n’a que des bribes d’informations, des impressions, n’a qu’une option valable : se taire, reconnaître son incapacité à se forger la moindre opinion valable.

La vraie compassion nécessite le vrai jugement. Sans connaître la maladie réelle, on peut consoler le malade, mais on ne peut pas le soigner. Pire : on risque de le tuer.

La femme qui tue parce qu’elle ne trouve aucun moyen d’échapper à une menace d’être tuée par un homme violent est en situation de légitime défense. La femme qui, sous le poids de la souffrance des violences, exprime sa douleur en punissant son bourreau, subit une deuxième souffrance : avoir elle-même succombé à la violence, avoir été détruite au point d’en arriver là… Ne pas reconnaître cette souffrance spécifique, c’est laisser la victime seule avec ce fardeau-là.

Qui a lu les 30.000 pages du dossier d’Outreau ? Pourtant, sur la base d’articles à sensation, appelant à la compassion pour les « innocents d’Outreau », l’opinion a retenu que « les enfants mentent » et oublié les enfants reconnus victimes dans cette affaire. Le résultat est un recul dramatique, actuellement, de la protection des enfants violés.

Qu’est-ce que bien juger ? Notre société ne le sait toujours pas, et même de moins en moins.

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Paroles de jurés par René Padieu

Lundi 26 septembre 2011
Il y a une dizaine d’années, j’ai été juré d’assise, expérience banale mais fort minoritaire.
Des collègues en criminologie ont parfois évoqué que je pourrais leur parler de cette expérience. En effet, pour l’essentiel, les législateurs qui font la loi pénale, les juges qui l’appliquent, les policiers et les experts qui alimentent ces jugements, les témoins, les avocats, les victimes et le criminel lui-même, c’est-à-dire tous les acteurs du crime et de sa sanction, n’ont en fait qu’une connaissance externe de cette fonction qui tient pourtant dans le procès une place qu’ils assignent, orientent ou subissent.

Pour autant, un juré ne peut, de son point d’observation, donner une meilleure description et interprétation que tous ces autres acteurs, professionnels ou impliqués à des titres divers. Il ne peut que dire ce qu’il a perçu, ce qu’il a vécu. Le récit n’a que la vertu authentique et partielle d’un témoignage. Le témoin dit ce qu’il a vu et cela laisse ouvert tout ce que d’autres auront vu ou en auront pensé. Avec cependant cette différence : le témoin à un procès est invité à dire ce qu’il a constaté, mais pas ce qu’il en pense. Ici, le témoignage portera finalement moins sur ce qui s’est passé particulièrement dans la session d’assises que l’on a vécue, que sur la façon dont on l’a comprise et l’avis qu’on en retire : un avis proprement subjectif.
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