Publié le 02-07-2015 à 15h04 Mis à jour à 17h35
Par Elsa Vigoureux
Ce matin, son avocat Frank Berton n’a pas plaidé l’innocence, mais « la détresse ».
De notre envoyée spéciale.
Ce jeudi, Douai était sous l’orage. Des grêlons se sont abattus sur les toits de la cour d’assises du Nord tandis que la cour s’était retirée pour délibérer sur le sort de Dominique Cottrez, jugée depuis la semaine dernière pour huit infanticides.
L’ancienne aide-soignante de 51 ans a été condamnée à neuf ans de prison ferme. La cour a retenu l’altération du discernement et s’est montrée moitié moins sévère que les réquisitions. Le ministère public avait demandé 18 ans de réclusion.
La parole revenait ce matin aux avocats de la défense. Marie-Hélène Carlier a plaidé la première. Elle a prévenu de sa voix grave et forte qu’en participant à ce procès elle a vraiment « cru perdre son âme, parce qu’on a touché à l’essentiel, des bébés ». Mais elle conclut qu’à l’inverse, elle s’est retrouvée dans « l’humanité » qui a suinté jour après jour des mots, des silences, même des mensonges de sa cliente.
L’avocate a vivement reproché au procureur Eric Vaillant ses réquisitions, 18 années de prison, « une peine démesurée par rapport à la réalité ». Elle a dit aux jurés :
Savez-vous qu’il y a vingt ans, en 1994, la France punissait les néonaticides de dix à vingt ans d’emprisonnement ? C’est-à-dire que l’avocat général est allé au maximum de ce qui se faisait il y a vingt ans ! »
Puis Marie-Hélène Carlier en vient à sa cliente, vers laquelle elle se tourne en la montrant :
Ne la regardez pas avec vos yeux, ni votre rationalité… Jugez-la selon ce qu’elle est, les experts vous l’ont recommandé aussi. »
Tous les regards s’abattent sur Dominique Cottrez, qui tient bon, vaillante depuis des jours dans cette exhibition publique qu’est pour elle ce procès d’assises. Son avocate plaide le déni de grossesse, une pathologie :
Qui vous dit qu’il ne sera pas bientôt reconnu comme une maladie mentale ? »
Et voilà l’accusée renvoyée par sa propre défense dans sa marge, son « anormalité »… Sa folie ? « Regardez-là, tonne son conseil. Elle est pitoyable ! » Humiliée, Dominique Cottrez baisse la tête, étouffe ses sanglots qui lui remontent. Marie-Hélène Carlier répète qu’il faut regarder cette femme, « la grosse »… Elle l’imagine « en maillot de bain ». Elle montre sa fille, Virginie, et déclame comme au théâtre à l’intention de sa cliente : « Elle est tout ce que vous n’êtes pas, elle est blonde, elle est belle, elle est grande, elle est mince. »
Est-ce donc cela défendre Dominique Cottrez ? La salir encore ? Piétiner des heures d’audience, qui lui ont pourtant rendu un peu de cette dignité dont le regard des autres la privait tant, l’excluant même du monde ? Ces heures d’audience, où à coups d’innommables efforts, l’accusée a su trouver le courage de sortir de son ombre, faire un pas vers la lumière ?
« Moi, je vous trouve belle »
Heureusement, Dominique Cottrez a deux avocats. Frank Berton s’avance, et dans sa voix il y a tout le souffle de son cœur. Il dit : « Moi, je vais vous dire, je ne suis pas d’accord avec tout ça. »
Silence. C’est comme si une main venait – enfin – de se poser sur l’épaule épaisse de Dominique Cottrez. Un frisson. Et il ajoute :
Moi, je vous trouve belle. Pas en raison de votre place aujourd’hui ici, mais parce que, madame, vous êtes belle en vous. Avant d’être mère, il faut être femme. Avez-vous été une femme ? Oui… Oui, mais personne ne l’a vu. »
Défendre Dominique Cottrez, c’est réparer le lien à ce monde qui lui a tourné le dos, aux autres qui la regardent « comme une bête ». C’est l’aimer. Frank Berton le dit à la présidente : « Vous avez tenu l’audience de manière exceptionnelle… Vous avez su, finement, doucement, arracher à cette femme sa vérité. Merci pour elle. »
L’avocat demande à la cour d’emporter avec elle pour son délibéré le poids du temps. « Elle avait 26 ans, mesdames et messieurs. Vous pensez que je suis moi-même le même aujourd’hui que celui que j’étais il y a trente ans ? On la juge à 51 ans, pensez-y. »
Dominique Cottrez a certes menti pendant quatre ans, mais l’avocat veut le dire :
Sur l’inceste, j’ai ma part de responsabilité. Elle a saisi la perche qu’on lui tendait. »
Il faut retenir que son mensonge s’est arrêté là où l’avenir de sa fille se jouait, puisque l’accusée est revenue sur ses déclarations quand Frank Berton lui a demandé de jurer sur la tête de ses enfants.
Un mari « qui n’a rien fait »
L’avocat raconte la vie d’une femme qui « a tout gardé, tout absorbé », pendant des années. Une femme qui n’a « jamais même pensé à demander de l’aide. Rien. » Elle a grossi comme on encaisse les peines, jour après jour, en silence.
Frank Berton évoque son mari, Pierre-Marie : « Et s’il savait, en fait ? » Cet homme qui n’a rien fait, mais qui au quotidien appelle sa femme « Gros » : « Gros, lave mon linge ! Gros, fais le ménage ! Gros, tu as fait ma gamelle ? » Il lui fait l’amour trois, quatre fois par semaine, elle voudrait qu’il la laisse tranquille, quand elle dit non, il « s’en fout », il l’attrape par les épaules, il continue.
Elle n’aime pas ça, mais elle fait son devoir d’épouse… C’est comme un viol, Monsieur Cottrez », lui lâche maître Berton. « Vous êtes assis sur le banc des parties civiles, mais pour moi vous êtes coupable ! Je n’ai aucun respect pour vous. »
Elle a accouché sans mettre au monde
Dominique Cottrez s’est « murée dans le silence », elle a accouché dans ses toilettes avec une serviette dans la bouche, sans mettre au monde, mais en retirant au monde, huit souffles, huit bébés. Frank Berton accuse le ministère public d’avoir « pour un effet de manche » nommé les enfants avant le procès. Huit coups portés à Dominique Cottrez, déjà pleine de bleus. Il dit aux jurés qu’il ne plaide pas l’innocence, mais « la détresse ». Que sa cliente « ne demande rien, elle a cessé de demander depuis longtemps. Je demande pour elle. Ne vous comportez pas comme les autres… Cette femme est différente de vous, mais elle est aussi proche de vous. »
Frank Berton rappelle ce que Dominique Cottrez disait hier :
Je me sens coupable… S’il faut retourner en prison… S’il n’y a que ça pour qu’on me pardonne, pour qu’on me comprenne. C’est normal… »
Mais l’avocat veut dire qu’on n’a « pas le droit aujourd’hui, 25 ans après, de lui refuser cette aide qui lui a manqué ».
Ce jeudi matin, elle est montée dans la voiture de Frank Berton « avec son petit sac rempli de sa vie, de quelques effets », prête à partir en détention. Ce soir, elle dormira en prison.
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