Par Jérémie Pham-Lê, publié le 12/08/2015 à 16:08
Les films pornographiques peuvent-ils provoquer des passages à l’acte criminel ?
REUTERS/Eric Gaillard
Selon Le Figaro, le nombre de viols dénoncés ont augmenté de plus de 18% en cinq ans. S’il est difficile d’interpréter ces chiffres, le libre accès à la pornographie sur Internet est déjà pointé du doigt. Un membre du gouvernement, une féministe et un psychiatre analysent cette accusation pour L’Express.
Soit la parole des victimes se libère, soit la criminalité est en forte progression. Voilà les deux interprétations possibles, et très différentes, de l’enquête publiée mardi par Le Figaro sur le nombre de viols dénoncés aux autorités en France. Entre 2010 et 2015, le taux de plaintes a bondi de 18%. Il dépasse même les 20% si l’on ne prend en compte que les atteintes sur les mineurs.
Impossible de dire s’il s’agit d’un progrès (plus de dénonciations) ou d’un recul (plus d’agressions) étant donné que ces chiffres ne recoupent qu’une infime partie de la réalité. La majorité des viols ne sont pas déclarés, rendant difficile l’observation. Mais pour un procureur anonyme cité par le quotidien, le nombre de cas toujours élevé est imputable en partie à « l’influence de la pornographie en libre accès sur Internet ».
Une accusation, récurrente ces dernières années, que partage la secrétaire d’Etat chargée des Droits des femmes, Pascale Boistard. « Est-ce que c’est la seule cause ? Je l’ignore. Mais c’est un facteur qui y participe », souligne-t-elle à L’Express. « L’apprentissage de la sexualité et le respect de l’autre ne doivent pas se faire sur ces sites qui offrent une représentation violente dans laquelle l’autre est considéré comme mis à disposition. » La secrétaire d’Etat cite toutefois d’autres fléaux parmi lesquels l’alcool et la drogue.
« Le porno biaise l’éducation sexuelle »
Depuis l’apparition des sites de vidéo pornographiques en « streaming », la consommation de film X a explosé. Ils sont en théorie interdits aux moins de 18 ans, mais l’entrée se fait sur une simple déclaration sur l’honneur. L’identité du visiteur n’est pas vérifiée. Selon un sondage Ifop commandé par l’un d’entre eux en mars 2014, 60% des Français disent avoir déjà consulté un site pornographique. Ils n’étaient que 17% en 2005, même s’il faut prendre en compte le fait qu’Internet était moins répandu.
Mais un jeune qui consomme du porno développe-t-il forcément une sexualité plus brutale ? Oui, à en croire Claire Serre-Combe, porte-parole de l’association Osez le féminisme !. « Quand vous n’êtes pas matures sexuellement et que le porno est votre seule porte d’entrée, cela impacte l’image que vous vous faites des femmes et biaise votre éducation. » Et la militante de citer un récent fait-divers pour appuyer ses propos, les agressions au collège Montaigne, « un milieu pourtant favorisé ».
Une enquête a en effet été ouverte en mars dernier à la suite de plusieurs plaintes déposées par des parents d’élèves de ce prestigieux établissement. Des enfants de 10 et 11 ans auraient commis des attouchements sur des camarades et visionné des films X sur leurs smartphones. La ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, avait alors plaidé pour une éducation « loin des stéréotypes et loin des images pornographiques ».
« Il faut une potentialité violente chez l’individu »
Quatre ans plus tôt, une autre affaire crapuleuse avait défrayé la chronique, celle d’un viol collectif filmé par quatre ados à Lyon. Là encore, les responsables politiques avaient fustigé Internet et sa représentation présumée dégradante de la sexualité.
Le pédopsychiatre Serge Hefez, lui, préfère se montrer plus nuancé. Si le visionnage de porno peut « matérialiser un passage à l’acte », il ne suffit pas à transformer un consommateur en criminel. « Il faut une potentialité violente de base chez l’individu. Chez une petite frange de jeunes borderline et un peu mal ficelés, il peut y avoir un effet incitatif. Mais la plupart du temps, la pornographie n’a aucune incidence sur le développement. La majorité des jeunes en visionnent et le considèrent comme un univers à part », observe le spécialiste.
Sur le plateau d’Itélé mardi soir, Cyril Rizk, responsable des statistiques à l’ONDRP, a d’ailleurs rappelé qu’une étude dédouanait à tout le moins Internet. Datée de 2011 à l’initiative d’un économiste américain et relayée notamment par GQ, celle-ci était arrivée à la conclusion que plus le web est accessible, plus le nombre de viols diminue. Or Internet est le premier canal de diffusion de la pornographie.
Aucun producteur de l’industrie pornographique n’était disponible dans l’immédiat pour réagir.
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