Les victimes d’amnésie traumatique au Sénat !


Les victimes d’amnésie traumatique au Sénat !
A tous et toutes, tout d’abord un immense merci pour tous vos messages d’encouragement et de soutien aujourd’hui. Vous étiez tous là en pensée en énergie lors de cette audition.

J’écris le récit de cette journée sur le blog de la « Génération qui parle » pour dire aussi un grand merci à Anne Lucie et à Andréa d’avoir relayé l’appel à témoins qui m’a permis de recueillir un maximum de témoignages remis ce jour aux sénateurs et qui elles-mêmes déploient une immense énergie pour notre combat collectif.

Symboliquement, pour moi cela a été un moment fort car j’ai traversé avec vous vos souffrances depuis que vous avez commencé à me confier vos histoires il y a deux semaines.

J’ai été donc auditionnée par le groupe de travail sur les infractions sexuelles mis en place par la Commission des lois, qui réunit tous les partis. Ce groupe planche notamment sur les délais de prescription. Il est présidé par Marie Mercier (LR) qui est médecin dans la vie.

Outre Marie Mercier, étaient présents François-Noël Buffet (LR), deux autres sénatrices ainsi que deux collaborateurs parlementaires.

J’ai commencé par faire une courte intervention sur notre combat pour l’introduction de l’amnésie traumatique dans la loi, rappelé les statistiques de l’étude de l’association Mémoire traumatique et victimologie du Dr Muriel Salmona : 40% des victimes de viols mineurs souffrent d’une amnésie traumatique qui peut durer jusqu’à plus de 40 ans après les faits.

Et puis j’ai parlé de vos témoignages en disant ceci : « il est rare qu’une victime d’amnésie traumatique s’exprime devant les élus de la République. A ce titre, j’ai eu à cœur de penser aux autres personnes qui n’avaient pas cette possibilité. J’ai donc lancé un appel à témoins début décembre sur Twitter pour recueillir un maximum de témoignages en effectuant un travail journalistique de vérification sur certains. J’espère que cela vous aidera à mieux appréhender, à travers ces histoires, ce phénomène neurologique complexe. Ces témoignages viennent de la France entière ».

Ils ont tout de suite faite part de leur intérêt, notamment Marie Mercier. Je pense qu’il est rare qu’ils aient de la matière « humaine » sur notre trouble.

J’ai ensuite poursuivi : « de façon globale, il ressort de ces récits (hommes et femmes confondus) une grande souffrance et un fort sentiment d’isolement. Une étonnante précision de leur mémoire traumatique parfois 50 ans après les faits (ainsi l’un de nos témoins septuagénaire violé par un prêtre qui au sortir de son amnésie d’un demi siècle a retrouvé une victime de ce prêtre décédé). A la fois une aspiration et une peur de la justice, une peur d’être taxé de folie. Et évidemment une unanimité pour introduire l’amnésie traumatique dans la loi en guise de reconnaissance de ces souffrances ».

Puis de manière informelle, j’ai parlé de certains d’entre vous. Natacha, tout juste sortie de l’amnésie traumatique à qui il ne reste qu’un an pour porter plainte. J’ai expliqué à quel point c’était compliqué lorsqu’on était envahi par les émotions de faire sereinement une démarche judiciaire. Evidemment, j’ai plaidé pour l’imprescriptibilité. J’ai également parlé de la jeune C. violée par le mari de sa nourrice à deux ans et sortie de l’amnésie à 16 ans.

Ils avaient une écoute très attentive et déjà informée du sujet puisqu’ils ont entendu la pionnière du sujet en France et notre référence à tous, la Dre Muriel Salmona. D’un coup aussi, l’amnésie traumatique prenait un visage humain car une victime leur parlait.

J’ai ensuite raconté mon histoire et mon parcours que vous connaissez. Et j’ai enfin déroulé un certain nombre d’arguments juridiques pour tenter de les convaincre, en insistant vraiment sur les immenses souffrances que traversaient nombre d’entre vous dans ce parcours.

Lors de l’audition qui a duré une heure, j’ai vraiment ressenti de l’écoute, de l’attention, de l’intérêt et de la bienveillance, ce qui est déjà un énorme progrès. Qui aurait cru qu’une victime d’amnésie traumatique soit ainsi entendue au Sénat il y a seulement quelques années ?

Leurs travaux vont se poursuivre avec de multiples auditions. Outre des experts, ils ont déjà entendu des magistrats, des enquêteurs, d’autres victimes de viol. Ils se sont déplacés sur le terrain dans des unités spécialisées. Le résultat de leur travail fera l’objet d’un rapport qui devrait normalement alimenter la matière du futur projet de loi sur les violences sexuelles en 2018.

Obtiendra-t-on gain de cause sur l’amnésie traumatique ? pour être sincère, rien n’est moins sûr. La question est malheureusement complexe à « traduire » juridiquement de façon solide mais nous allons tout faire pour continuer à nous battre en ce sens.

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L’inceste, la prescription et la « mémoire traumatique » par le Docteur Nicole Poulbère

Mercredi 17 mars 2010
Docteur Nicole Poulbère, médecin urgentiste.
Comment vivre, victime d’inceste, sans pouvoir faire condamner le coupable du fait de la prescription ?
Il s’agit alors le plus souvent d’un mode de « survie » et non de « vie ». Bon nombres de femmes actuellement souhaitent se libérer d’un lourd fardeau passé : elles ont subi des agressions sexuelles par un proche de leur famille. Elles sont enfin décidées pour saisir la justice. Elles en ont enfin la force morale et physique. Mais là, elles se heurtent à un obstacle : la notion de prescription.
Toutes les femmes qui ont subi des sévices avant 2004, se devaient de faire un recours judiciaire avant leurs 28 ans (voir même avant leurs 21 ans si les faits sont plus anciens). Pour aider à se relever, à se reconstruire, ces femmes ont besoin que le coupable doit désigner comme tel par un représentant de la Justice. A la différence de plusieurs pays (comme le Canada), ces femmes resteront sans pouvoir être davantage soulagées de leurs maux. Au contraire, elles se sentent trahies, également victime du système juridique qui semble ainsi à leurs yeux cautionner les méfaits subits.
Mais alors pourquoi ces femmes ne se sont pas manifestées AVANT le fatal délai de la prescription ?
Ce n’est pas un manque de volonté mais un manque de capacités. Ces femmes voudraient que leurs souffrances morales persistantes cessent enfin. Elles ne souhaitent que cela ! Mais cela implique entre autres la reconnaissance en tant que victime.
A tout cela, vient se surajouter un phénomène décrit comme la « mémoire traumatique ». Il s’agit d’un mécanisme d’auto défense où le cerveau modifie les perceptions, où des amnésies des actes passés surviennent. Cela permet à la victime d’essayer de continuer à mener une vie d’apparence normale. Ce moyen de défense cérébral est vital. S’il fait défaut, la victime trouvera souvent comme autre issue le suicide.
Aujourd’hui, trop de femmes sont dans l’incapacité de voir condamner le bourreau qui les a mutilées physiquement et anéanties moralement à vie. Pourquoi ? Car la prescription les empêche d’avoir gain de cause en France. Pourtant, si elles ne se sont pas manifestées lors des faits ou sitôt après c’est pour survivre à ce phénomène destructeur. Elles ont cherché à « vivre avec », en enfouissant cela au plus profond d’elles même mais ce cancer qui les ronge reste là, en suspend. Par la suite, leur parcours de vie respectif voit souvent raviver le passé lors d’un évènement (mariage, décès, naissance…). La résurgence alors de ce passé va les détruire de nouveau, avec des dommages collatéraux imprévus (époux, enfants). Une prise en charge médicale s’avère indispensable le plus souvent du fait des risques de passage à l’acte.
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