Je dessine, car dessiner est pour moi une aide. Par moment c’est même mieux que de mettre des mots, car quand je suis mal, je me perds dans les mots, je reprends alors ce que j’ai écrit encore et encore et l’angoisse monte encore plus.
Je montrerai par un dessin, le vécu qui est le mien quand je me trouve dans le brouillard, à cause d’un mal de tête. Car ce n’est pas seulement le visuel, mais le sonore ; tout prend des proportions dans les sons, les bruits y compris les voix des personnes, jusqu’au bruit de la fourchette. Tout résonne en moi, part en morceaux et je me retrouve dans le brouillard. Le but de ce travail était donc de faire diminuer la pression qui était la mienne.
Comment avez-vous concrétisé votre esquisse ?
Je voulais me centrer sur les idées suivantes : cela part en morceau, et c’est dans le brouillard. Donc dessiner un visage dans lequel des morceaux apparaîtront, signifiera que ma tête vole en éclats à cause de tous ces changements concernant l’augmentation des sons et bruits divers, liés à ce mal de tête. Une fois ma composition terminée je rajouterai le brouillard.
J’ai donc commencé par dessiner sur ma feuille, le visage, avec deux mains qui le tiennent, visage prolongé par le haut d’un corps. Je souhaitais que cette production puisse faire s’exprimer la douleur, il fallait qu’elle se colle à cette feuille, qu’elle y reste emprisonnée, et qu’elle soit moins présente dans ma tête. Une fois mon ébauche terminée, j’avais cette pulsion de déposer de la couleur, pourtant j’ai mal dans mes articulations et la douleur me freinait, mais il fallait de la couleur.
Je me suis donc laissée entraîner par son mouvement. À chaque fois que je déposais une nouvelle couleur sur ma feuille, je me disais : « allez, tu as moins mal Béatrice ! Allez, dépose un autre morceau coloré avec ton pinceau et tu auras de moins en moins mal ». Il faut essayer de parler à son cerveau mais d’une façon douce et positive, même si, par moment, je sens celui-ci se recroqueviller dans une espèce de boule qui, à la longue, n’a plus aucune forme. Je sentais une ébauche de sourire, apparaître sur mes lèvres, le mouvement du sourire revenait doucement. Ma douleur dans ma tête était toujours là, mais elle avait changé, elle me tapait moins dans les tempes. J’avais l’impression de respirer un air plus frais et moins lourd.
Une fois le manteau de couleur fini, j’ai rajouté autour de cette tête le brouillard avec du pastel sec.
Quels matériaux avez-vous utilisés ?
Dessin conçu sur feuille blanche 36 x 48 cm. J’ai utilisé un crayon à papier HB, comme médium de la peinture aquarelle et des feutres à pointes fines pour les finitions.
Que ressentez-vous face à votre production ?
J’observe ma production, le sourire est toujours là, il est fragile, mais il est là ! Ma douleur est moins forte, en fait quand je dessine ma douleur, je m’amuse car c’est une façon pour moi de lui dire, « tu ne m’auras pas » ! Mais derrière cet amusement se trouve du sérieux, car le but est aussi dire à ceux qui souffrent : « voilà, vous prenez vos crayons, votre peinture et vous déposez sur votre feuille ce qui vous travaille dans votre tête. Ce geste est important, car il permet à la longue, petit à petit, de faire naître un autre mouvement positif et apaisant et c’est ça le mieux ! »