A chaque fois que j’ai mal, que l’on me fait souffrir, que l’on me fait pleurer, hurler, que l’on me trahit, j’ai la sensation terrible que l’on râpe mon cœur, qu’on lui a enlevé sa fine première couche de peau et que celle-ci serait transformée en larmes.
Voilà comment faire apparaitre ce qui se passe dans ma tête, dans mon cerveau quand cela peut m’arriver. Mais dire ce qui se passe dans mon corps, définir le lieu des sensations, je n’en suis toujours pas capable. Il y a toujours cette coupure qui existe entre mon corps et ma tête. Certes l’ensemble est collé mais il y a quand même cette séparation qui est là, comme si le sang ne pouvait circuler en symbiose et de manière continue entre la tête et le corps. Il y a un arrêt, une barrière, un mur de séparation.
Je pense beaucoup, je réfléchis beaucoup. Je suis toujours dans une remise en question sur moi même. Mais je me défends de juger les autres surtout dans les associations.
Parfois il m’arrive de dire ma pensée, mon avis quand on me le demande. Mais j’évite car je me dis que cela peut faire naître des malentendus, comme par exemple, c’est ensuite mal répété, ou mal compris.
Mais quand je le fais, je fais très attention à ne pas blesser les personnes.
Parfois aussi, je n’arrive pas du tout à exprimer mon avis, car je ne me sens pas à l’aise, cela dépend de l’ambiance et des personnes. Mais j’observe les réactions et j’en tiens compte. Après il y a observer et observer car il ne faut pas que cela soit mal interprété ou mal perçu.
Que la vie en communauté peut être difficile ! Par moment la violence etc. n’aident pas non plus.
C’est la même chose dans les associations. Par moment les relations entre bénévoles restent compliquées. On peut être déçu, blessé car la personne ne comprend pas la finalité de l’action, ou a un autre type de raisonnement.
Mais quand j’ai été blessée, j’ai besoin de digérer et c’est ce que mon dessin veut exprimer.
Comment avez-vous procédé pour la concrétisation de votre esquisse ?
Dans mon dessin, ce qui était important pour moi c’était de ne pas dessiner un corps. Car le corps est absent, il n’y a pas de sensation de souffrance.
Mais, il y a ce cœur râpé, il traduit cette blessure que je sens dans ma tête. Je ne voulais rien faire apparaître d’autre.
Juste pouvoir me laisser le temps de digérer et de pouvoir prendre une décision définitive concernant certains bénévolats dans lesquels je me suis engagée. Comme par exemple à l’association la Table de Jeanne-Marie… Je dois donc prendre tous les facteurs en considération, peser le pour et le contre, mettre tout cela par écrit sur un papier et réfléchir.
Parfois j’ai en moi l’impression que je dois me résigner. Je n’en sais rien. Je ne sais, mais je sais que c’est destabilisant.
Tout comme je suis consciente que dans des moments pareils, je dois faire attention car cela peut jouer sur ma façon d’être et penser. Alors j’essaie toujours de prendre du recul devant les événements qui me bousculent dans un sens que je ressens comme mauvais.
Pour en revenir à mon esquisse, j’ai donc commencé par dessiner cette râpe, et cette paire de mains qui montrent la personne ou les personnes qui font du mal. Ce mal existe quand ces mains se mettent à râper le cœur de la personne avec laquelle elles travaillent.
La souffrance de la personne qui vit cela en elle et dans sa tête, je l’ai retranscrite par les petits morceaux de cœur, qui se transforment en larmes. C’est le mouvement de râper qui fait sentir à quel point la souffrance est forte.
Pour les couleurs de mon esquisse, j’ai joué entre le rose, un rouge léger et un dégradé plus clair, du gris et du noir.
Je voulais mettre des couleurs pour le fond de mon dessin, mais je ne me suis jamais décidée pour savoir lesquelles. Je pense que c’est l’instinct de “survie » car la douleur se manifeste et c’est elle qui s’exprime à ce moment précis.
Quels matériaux avez-vous utilisés ?
Dessin conçu sur feuille blanche 36 x 48 cm.
Crayons graphic HB, 3B, 6B.
Pastels secs. Peinture aquarelle.
Que ressentez-vous en regardant votre production ?
Je regarde mon dessin, sur le chevalet et je me sens loin. Je ne me sens pas entière. Ce qui est déstabilisant, c’est que je ne sens pas d’angoisse, ou de colère. C’est un état que je ne connais pas. Mais il y a cette grande gène, qui est lourde dans ma tête et qui me fait mal.
Après je me dis que dans les associations on ne peut pas plaire à toutes et à tous, mais le respect des uns envers les autres ne doit pas disparaître !
Mais par moment cela peut faire vraiment du mal de constater que certaines personnes peuvent vraiment faire du mal. C’est une situation que j’ai du mal à comprendre. Être bénévole par moment n’est pas si simple. Mais j’aime ce que je fais, le fait de faire découvrir à ma façon le dessin, le collage etc. c’est savoureux et enrichissant et je me fais plaisir.
Les personnes qui viennent à mon atelier me le font comprendre à travers leurs sourires, leurs regards et leurs yeux pétillants etc. Je voudrais ne plus avoir ce doute dans ma tête.