Réflexion sur le don selon Marcel Mauss (suite)

Hervé-Corps-humainPage 22
Mauss identifie enfin un troisième facteur susceptible de faire naître l’obligation de rendre le présent, et qu’il place du côté de la morale. Ce facteur relève de ce que l’on pourrait nommer la socialité, cette capacité à vivre, à s’intégrer et à agir en faveur de la société à laquelle on appartient. Donner, c’est s’ouvrir à autrui, c’est à la fois prendre l’autre en considération, mais aussi s’engager à accepter un retour qui constituera une dette. C’est s’engager dans un rapport de force qui, loin d’être de nature conflictuelle, consiste en l’affirmation de sa capacité à s’ancrer dans le groupe et à accepter ses contraintes. « Ainsi, écrit Mauss, on peut et on doit revenir à de l’archaïque, à des éléments ; on retrouvera des motifs de vie et d’action que connaissent encore des sociétés et des classes nombreuses : la joie à donner en public ; le plaisir de la dépense artistique généreuse ; celui de l ‘hospitalité et de la fête privée et publique. L’assurance sociale, la sollicitude de la mutualité, de la coopération, celle du groupe professionnel, de toutes ces personnes morales que le droit anglais décore du nom de « Friendly Societies » valent mieux que la simple sécurité personnelle (…) ».
Autres billets sur le livre Les éléments du corps humain, la personne et la médecine :
Livre – E. Grand, C.Hervé, G.Moutel – Les éléments du corps humain, la personne et la médecine
Réflexion sur le don

Réflexion sur le don selon Marcel Mauss

Hervé-Corps-humainpage 20
On peut trouver une première piste de réponse si l’on observe plus spécifiquement les rapports de force engendrés par un don. Celui qui offre fait violence, en quelque sorte, à celui qui reçoit ; quelle que soit l’attitude du receveur – acceptation ou refus du don -, celui-ci se trouve en position d’infériorité. S’il refuse, il fait injure au donateur, entraînant ainsi des rapports conflictuels. S’il accepte, il se doit de rendre le présent, souvent, d’ailleurs, avec l’obligation tacite d’augmenter la valeur du don fait en retour, ce qui crée une nouvelle dette à l’égard du premier donateur. Les valeurs de libéralité, de prodigalité démontrées dans ce cas, cachent, bien plus que le simple intérêt pour le contre-don, la volonté de marquer une certaine suprématie, de s’affirmer sur le plan social. Le système de don tel qu’il existe dans les sociétés occidentales actuelles possède d’ailleurs des règles relativement bien définies. Pour celui qui donne, mais aussi pour celui qui sait recevoir puis rendre à son tour, c’est à la fois une demande de reconnaissance qui se trouve exprimée, mais aussi la recherche de la place que l’individu veut ou peut occuper au sein de la société. Le rapport de force et la quête de connaissance sont ce qui pousse les individus à donner et, de fait, à rendre ce qui a été donné.

« ( … ) la distribution des biens est l’acte fondamental de la  «reconnaissance » militaire, juridique, économique, religieuse, dans tous les sens du mot »

Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés
archaïques, PUF, 1950 (1924 pour la première édition) p. 209-2010.

Autres billets sur le livre : Les éléments du corps humain, la personne et la médecine :
Livre – E. Grand, C.Hervé, G.Moutel – Les éléments du corps humain, la personne et la médecine
Réflexion sur le don selon Marcel Mauss (suite)