La parole confisquée des victimes de viols par inceste au long-court

En 1986, j’ai rejoint le mouvement féministe. Mon père – officier supérieur – m’a violée pendant à peu près 15 ans parce que la première fois, je ne m’en souviens pas mais j’avais 8 ans pour mon premier souvenir et la dernière c’était en 1984, j’avais 24 ans.

Le groupe de parole

Le collectif féministe contre le viol organisait un groupe de parole. Nous étions neuf.
Claudine parlait tout le temps, ramenait tout à elle. Monique racontait plus doucement des histoires qu’elle se répétait en boucle. Il y avait aussi trois autres jeunes femmes qui allaient mal et il y en avait deux qui reprenaient à leur compte les histoires des autres, ce qui fait que je ne sais pas vraiment ce qui leur est arrivé.
Il y avait une psychologue en formation et Simone Iff militante, présidente du collectif et venant du planning familial. Avec Anne, une dame plus âgée que nous, lorsque nous avons eu compris, assez rapidement, cette appropriation de l’histoire de l’autre, nous avons commencé à nous taire. Nous sentions aussi une pesanteur lorsque nous prenions la parole. Nos histoires commençaient à devenir trop lourdes.

La conspiration des oreilles bouchées

Nous avons fait une vidéo commandée par le Ministère de la santé : « L’inceste, la Conspiration des oreilles bouchées ».
L’une d’entre nous, Claudine – père chef d’une petite entreprise – venait aux émissions de télévision avec moi.
La plus jeune Monique donc, violée par son grand-père lors de vacances aux Baléares est restée comme la plus représentative. Lorsque la vidéo est présentée en extrait quelque part, c’est elle qu’on entend. Le grand-père, une fois l’an, ça fait moins peur.
Anne parle de couverts en argent, après la messe et alors que son père était monté à cheval. Anne n’est plus apparue nulle part.

Émission « Médiations »

Le summum a été atteint pour moi, lorsqu’à la préparation de l’émission « Médiations » de François de Closet, il m’a été intimé l’ordre de ne pas dire que les viols avaient duré jusqu’à 24 ans. On m’a donné la parole tout en me la confisquant. Les viols auraient du s’arrêter à 18 ans. Plus de case où me coller, on déni, on occulte. Et ainsi l’ont fait tous les journalistes des émissions suivantes.
Quelques trois ans plus tard, je n’avais plus ma place au collectif. La lutte contre les viols par inceste était passée aux associations d’aide aux enfants1 qui maintenant ne s’occupent pas d’inceste donc viols intra-familiale, mais de pédophilie, viols extra-familiale. On ne remet pas en cause la famille et le patriarcat, on remet en cause l’organisation sociale.
Le Nouveau manifeste des 343
Il est étrange de constater qu’en ce mois d’aout 2012, Clémentine Autain a lancé un Nouveau manifeste des 343, qui paraître au mois de novembre 2012 dans Le Nouvel observateur. Je l’ai signé parce que j’ai invoqué les viols subis en tant qu’adulte par un employeur et un conjoint. Quand on a été dressée pour le viol, on a du mal à le considérer quand il arrive. Les organisatrices du manifeste ne prennent pas les signatures des incestées, parce que ce sont des enfants qui ont subi les viols.

Les militantes féministes et l’émergence des agressions sexuelles sur mineurs en Europe par Laurie Boussaguet

Revue française de science politique 
2009/2 (Vol. 59) 

L’objectif de cet article est d’analyser comment des militantes féministes sont devenues les actrices clefs de l’émergence du problème des abus sexuels sur mineurs en Europe dans les années 1980. Engagées dans la lutte contre le viol des femmes, elles prennent conscience des violences sexuelles faites aux enfants et parviennent à inscrire cet enjeu sur l’agenda public et politique, en mobilisant des répertoires d’action variés et en ayant recours à des relais pertinents, qu’il s’agisse des professionnels s’intéressant aux enfants victimes ou aux ministres femmes qui détiennent les portefeuilles de la famille ou de l’égalité hommes-femmes à cette époque-là. Ce rôle central des militantes féministes permet en outre de réfléchir au lien qui existe entre prise de parole (construction particulière de l’enjeu sous l’angle de l’inceste et des violences patriarcales au sein de la famille) et prise de pouvoir (monopole féministe de l’émergence dans les années 1980) ; ou comment la lutte sur le sens à donner à un phénomène peut modifier les rapports de force entre acteurs en présence. Cette lecture féministe du problème des agressions sexuelles sur mineurs ne dure d’ailleurs qu’un temps ; après « l’inceste », la « pédophilie » fait son entrée sur les agendas européens dès la décennie suivante.

 

  • Les militantes féministes : prise de conscience et problématisation du phénomène des abus sexuels sur mineurs
    • Les féministes françaises et les lignes d’écoute des victimes de viol
    • Les féministes belges et l’aide aux femmes victimes de violence
    • Les féministes anglaises et les centres d’accueil et d’écoute
    • Un vaste processus de « cadrage »
  • Les militantes féministes et l’activation des mécanismes d’émergence
    • Des répertoires d’action variés
    • Des militantes féministes « connectées » au monde des professionnels de la petite enfance
    • Les femmes politiques : des relais efficaces
  • Inceste et violence patriarcale : la construction féministe de l’enjeu des abus sexuels sur mineurs
    • Une dialectique prise de parole/prise de pouvoir
    • La fin de la « résonance » : une marginalisation des militantes féministes

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