Tout d’abord je dois dire que je n’ai jamais fait de vidéo, mais quand cela m’a été demandé :
Je me suis dit que cela valait la peine d’essayer et que cela soutiendrait Emmanuelle dans sa démarche d’aider en ce moment les personnels soignants etc. mais aussi aider les personnes pendant cette période de confinement.
Si on parle du coronavirus, je dois dire que je me sens un peu concernée, puisque je retrouve la démarche du bénévolat pour porter assistance aux personnes vulnérables ou qui disposent de peu de moyens.
Mais dans ma tête je ne sens pas d’inquiétude franche envers moi, mais plus une inquiétude envers les autres personnes. J’en reviens à ce qui renvoie à la mort avec cette maladie, perdre une personne, être impuissant devant la maladie, être confronté au vide.
C’est surtout cela qui me touche devant la situation actuelle.
Cependant, aujourd’hui, en ce lundi, je me suis plus chancelante dans ce que je ressens ; c’est chaotique, accompagné d’incompréhension, mais aussi avec une colère enfouie.
Je dois dire aussi que le fait que mes repères soient aussi changés, comme par exemple les RDV avec mon psy, les ateliers annulés, etc. cela me perturbe pas mal et me renvoie à mon sentiment d’inutilité. Mon psy m’a expliqué que c’était important que je continue mes journées comme d’habitude, m’habiller, faire un peu d’exercice chez moi etc. et que je ne dois pas rester au fond de mon lit surtout. Sauf que les journées je les cherche. Il y en a plus et que je me demande pourquoi je dois me lever. Ça ne me parle plus dans ma tête.
Pour en revenir à cette vidéo, le but était de prendre un peu de recul devant mes ressentis et sensations diverses, qui par moment se bousculent dans ma tête. Comprendre un peu mieux les symptômes que je peux également sentir dans le moment présent.
Comment avez-vous procédé pour la concrétisation de votre esquisse ?
La première forme : j’ai commencé à faire apparaître sur ma feuille, le rond accompagné des mots qui me préoccupaient. J’ai écrit les premiers mots comme mort, intubation, inquiétude, peur, hygiène, colère…
L’étape suivante a été de déposer des couleurs dans tous les trous de mon esquisse, comme pour faire naître une nouvelle partition d’émotions moins fortes, moins envahissante dans ma tête, et diminuer les symptômes physiques de mon ressenti du moment.
J’ai déposé les premières couleurs dans le centre du rond, au milieu de ma feuille.
Qu’avez-vous ressenti tout au long de l’évolution de votre création ?
Quand j’ai fait apparaître le rond accompagné des mots, je me suis rendu compte que finalement j’étais plus touchée par la situation que je voulais le reconnaître. Car sur le coup, je me suis dit que l’arrêt des ateliers seraient des vacances, sauf que cela me pousse à me mettre en boule et à y rester.
Mais voilà quand j’ai écrit les premiers mots, je me suis rendu compte que ce n’était pas des événements que je devais prendre à la légère. Ce qui montre bien que le fait d’écrire des mots n’est pas anodin et que parfois ça nous ramène à la réalité du moment présent.
Après ma réaction a été de savoir ce que j’allais faire avec tout cela, parce que je commençais à me dissocier. Mais, cela je ne le percevais pas, je me sentais comme embrumée, mal réveillée. Par contre la personne qui prenait la vidéo le percevait.
• Ma première réaction a été l’idée que déposer de la couleur après sur cette forme que je fais naître, allait me permettre de prendre du recul. Car je pars du principe que mettre des couleurs aide beaucoup à observer les situations du moment qui sont perturbantes.
• Ma deuxième réaction a été de me mettre en boule et de dire je n’y arrive pas : fuir…
Mais voilà même si je voulais exploser, je suis restée.
L’étape suivante a été de décrire ce que j’ai entendu mais aussi ressenti atour de moi. Cela a été pour moi comme un soulagement : je déposais sur ma feuille, dans la forme de mon esquisse ce qui m’avait par moments touchée, lors de mes échanges et observation, ce vendredi où j’étais venue aider dans cette association où je fais d’habitude un atelier peinture.
Plus j’avançais dans mon esquisse et plus je me sentais plus légère, mais il y avait cette espèce de colère qui montait en moi, quand je pensais aux personnes qui sortent pour rien qui ne respectent pas les normes de sécurité.
Ici, nous appliquons, nous les bénévoles toutes ces normes de sécurité, normes très contraignantes et dehors il y a des personnes qui jouent avec le feu, qui ne se rendent pas compte de la gravité de cette crise sanitaire.
Cette colère est arrivée d’un coup et je la sentais mauvaise. Je n’aime pas me sentir ainsi.
Mon esquisse était terminée et avec le recul je me dis que cet exercice a été le bienvenu.
Quand j’ai déposé les premières couleurs, d’office je sentais que je devais déposer sur ma feuille de la gaité comme pour me dire : « voilà tu ressens ceci, ou tu te dis cela, mais maintenant c’est à toi d’en d’en faire quelque chose de productif, de constructif mais aussi d’apaisant. »
Ce que j’ai alors fait, c’est qu’à chaque fois je déposais une nouvelle couleur j’essayais de prendre du recul, mais sans ignorer mes sensations que je pouvais ressentir. J’essayais de respirer calmement et si je me dissociais je recommençais de nouveau cette respiration ; et quand cela devenait trop difficile, je faisais un exercice du livre « Gérer la dissociation d’origine traumatique » pour essayer de rester le présent.
J’essayais aussi de prendre plaisir à déposer mes couleurs et à profiter de cet instant de rencontre entre moi et cet exercice, en laissant baisser la pression et en évitant de tourner en rond dans ma tête. Et ça ce n’est pas rien, car par moment je ne suis plus là ou alors la compréhension n’est plus là mais aussi le fait de me rendre compte que voilà quelque chose ne va plus.
Quels matériaux avez-vous utilisés ?
Dessin conçu sur feuille blanche 36 x 48 cm.
Crayons de papier et gros feutres de couleur DB-TWIN for créative designer marqueur à l’alcool.
Que ressentez-vous en regardant votre production ?
Quand j’observe ma production, je me dis que ma partition de couleurs est présente.
Les émotions des autres que j’avais senti en revenant chez moi, sont un peu moins violentes.
Je me sens moins angoissée.
Mais je sens bien que tout cela reste fragile, comme une danseuse qui est sur son fil à faire de l’acrobatie et qui fait tout pour ne pas tomber. Mais faire ce dessin m’a aidée à ne pas ruminer, à sortir de mon lit. J’ai aussi fait quelque chose de constructif et qui aide, et peut-être que cet exemple va pouvoir aider les autres personnes. J’aurais voulu être plus qu’une aide-soignante.
Après je suis consciente que toutes ces situations vont bouger mais comment ? Seul les jours à venir me le diront. Je sais que nous sommes toutes et tous concernés, et touchés devant cette crise sanitaire et que c’est difficile.