Sylvie Larangeira, 53 ans
Pratique l’Art-Thérapie
En 2011, on m’a diagnostiqué un cancer fulgurant. Pendant le traitement, j’ai été suivie psychologiquement, mais j’avais le sentiment que cela ne suffirait pas. Au cours de ma vie, j’avais déjà essayé différentes formes de thérapie, fait une psychanalyse. Face au cancer, parler n’était pas la meilleure solution. Pourtant, je suis à l’aise avec le langage, j’écris, des nouvelles, des romans. À la fin du traitement contre la maladie, j’ai contacté une art-thérapeute. Je ne connaissais rien à ce domaine et, quoique curieuse, j’étais plutôt sceptique. Mais j’éprouvais face à l’angoisse, face à l’urgence, le besoin d’agir, d’utiliser des formes concrètes.
J’ai été très surprise par les résultats obtenus, parfois miraculeux ! Ainsi ma thérapeute m’a fait réaliser toute une série de dessins qu’elle m’a demandé de « cadrer » ensuite de diverses façons, en mettant en avant un élément ou un autre. Au fil des séances, j’ai pris conscience que ce simple travail, très basique, me permettait de « recadrer » le regard que j’avais sur moi et le monde.
Plus tard, elle m’a fait travailler sur le dessin d’un arbre-alors que je suis complètement profane en art plastiques et m’a demandé d’y insérer une tête d’animal. Après moult essais, assez laborieux, j’ai fait apparaître une panthère, sans même savoir pourquoi. Par la suite, j’ai souvent regardé ce dessin, longuement. Cela peut paraître étrange, un peu ésotérique, mais cette production a dénoué quelque chose en moi, libéré un besoin d ‘aller vers l’extérieur. Je crois que, dans l’acte de créer, on se sculpte soi-même, on se pose dans le monde, on façonne des formes significatives, comme des miroirs, qui permettent de s’inscrire dans la réalité. Alors que l’écriture est un cocon, où l’on pense à loisir mais où l’on n’agit pas. L’art-thérapie m’a permis de chasser les idées noires, de lutter contre l’angoisse, de me désinhiber. En ce moment, je suis en rémission. ]’ai décidé de reprendre des études de droit.
Étant conseillère municipale, je voudrais me présenter aux sénatoriales en 2017. Je n’aurais jamais pu envisager un tel acte auparavant.
Le commentaire de Charles Pépln
« La forme permet de se confronter à ses angoisses »
On voit bien ici, le rôle de l’art : il a fallu que Sylvie passe par une forme extérieure à elle pour revenir sur elle·même. En sculptant quelque chose de concret, elle s’est, comme elle le dit elle-même, « sculptée elle·même ». C’est la fonction même de l’art telle que Hegel la définit au tout début de sa magistrale Esthétique : l’intériorité humaine a toujours besoin d’une extériorité pour se saisir de sa propre valeur.
La subjectivité humaine a besoin d’une confrontation avec l’objectivité (des objets extérieurs travaillés par un sujet et sur lesquels peuvent se poser les regards d’autrui) pour prendre conscience d’elle-même. Mais attention, il ne s’agit pas pour autant d’aboutir à un symbolisme simpliste : cette panthère que Sylvie façonne ne lui correspond pas trait pour trait. Elle n’est pas cette panthère. Mais elle a besoin de cette figure pour revenir à elle-même et comprendre qui elle est. En termes plus nietzschéens,on peut dire aussi que la panthère est cette forme mesurée dont Sylvie a besoin pour entrevoir sa démesure intérieure, cette forme apollinienne dont elle a besoin pour prendre la mesure de la vie dionysiaque qui bat en elle. C’est le sens de la phrase de Nietzsche:« Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité. » L’art nous offre une forme, un rythme, pour tenter d’approcher une vérité qui est au-delà de la forme, au-delà du rythme, mais que nous ne pouvons approcher qu’au travers des formes de l’art. Autrement dit, Sylvie ne peut pas se confronter directement à certaines angoisses, trop immenses, trop « informes », mais par la forme, par la panthère, elle peut s’en approcher.
Pour acquérir l’article, cliquez sur la couv de philosophie Magazine