21 août 2003
Il y avait eu un matin, sur une place de Montmartre, tandis qu’elle prenait son petit déjeuner, en compagnie d’Hélène Vallon, sa meilleure amie, elle avait dit qu’elle comptait s’occuper de sa santé, mais se préoccupait du quotidien mille fois plus urgent. Deux ou trois fois par an, elle avait pour habitude de faire un don de plaquettes. Lors d’un rendez-vous, au vu des résultats d’analyse, le petit médecin énergique, lui avait refusé le prélèvement et n’avait pas voulu la laisser s’envoler avant qu’elle n’ait pris conscience qu’elle luttait contre quelque chose d’invisible, qui ne la faisait pas souffrir mais évoluait par rapport à la fois précédente. Claude finit par lui parler de la petite boule sous son sein droit alors qu’elle entendait sans cesse qu’il fallait y prendre garde. Le praticien lui donna des adresses en lui enjoignant d’obtenir une ordonnance de son médecin traitant pour une mammographie urgente. Quelle figure que ce médecin traitant : un médecin de quartier, qui roulait en moto et belle voiture dans des costumes chaleureux. Après qu’elle eut insisté pour l’ordonnance, il la renvoya en lui disant que ce n’était rien du tout. Il commença à recevoir les comptes rendus d’hôpitaux et croisa Hagger. Ce dernier releva que c’était tout de même assez grave. Le médecin répondit n’avoir jamais eu pareille mésaventure et que personne ne s’était plaint. Claude avait ri : forcément, les patients, une fois passés de l’autre côté, ne pouvaient revenir se plaindre – Bon ! on l’aime bien, ce médecin à qui, désormais, on ne demandera que des cachets d’aspirine et des certificats médicaux !
Le mois d’août touchait à sa fin, les enfants étaient en colonies de vacances, elle travaillait à la Caisse des dépôts et consignations au sein d’une équipe sympathique. Un soir, lors d’un rendez-vous pris en toute hâte, après une dure journée de labeur de correctrice la laissant molle et abrutie, le gynécologue, qui était également chirurgien, retint une place au bloc pour le quinze septembre. Dans l’attente des résultats de la biopsie qu’il lui prescrit, il se dit prévoyant. Claude se tait. Que dire, que faire ?… Attendre.
Le onze septembre, elle se rendit chez l’anesthésiste avec lequel le rendez-vous avait aussi été pris dans l’éventualité d’une intervention. Pendant qu’il lui pose toutes les questions réglementaires, au bout d’un quart d’heure, qui lui semble des lustres, elle ose demander : « Alors, je vais être opérée ? »
Tandis qu’il pose son crayon, elle lit dans son regard inquiet et interrogateur, qu’il ne comprend pas, mais c’est elle qui ne comprend pas.
« Bien sûr !
– Qu’est-ce que j’ai ?
– Votre chirurgien ne vous l’a pas dit ?
– Non !
– Attendez ! »
Le médecin anesthésiste sort puis revient : Claude doit monter au secrétariat du chirurgien. La délicieuse secrétaire interloquée bredouille qu’il arrive et s’éclipse en le laissant entrer. « Pardon madame, je suis désolé, asseyez-vous s’il vous plaît ! »
Le chirurgien s’installe en face d’elle pour lui expliquer qu’il n’a pas vu le temps passer et qu’il lui présente ses excuses pour ne pas l’avoir prévenue plus tôt.
« On a trouvé des cellules cancéreuses. »
Soudain, le temps allait moins vite. Il fallait opérer. Pas de drame, elle partageait le lot des maladies perpétuelles de l’humanité. Sans autre question, sans commentaires, elle se leva, lui dit merci et sortit.
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