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Ainsi, la pratique de l’enquête de terrain en ethnologue se cristallise autour d’un « idéal ethnographique », qui, comme l’a rappelé Alban Bensa, a longtemps procédé d’une utopie, de nature plus poétique que scientifique : celle de l’immersion complète qui consiste à « s’identifier à l’autre jusqu’à l’éblouissement consécutif à l’abandon total de soi » 19. Ce caractère « fusionnel » participe très largement (d’une mythification du terrain, qui ne concerne pas seulement la transformation « intérieure » de l’ethnologue en « homme nouveau », mais aussi la charge affective qui caractérise le rapport à l’objet : si dans bien des cas, cette charge affective est positivement connotée (comme chez Griaule avec les Dogons, Leenhardt avec les Canaques, Mead à Samoa, Bastide au Brésil…), elle fait parfois surgir des sentiments beaucoup plus ambivalents voire franchement hostiles (comme Lowie chez les Hopi ou Turnbull chez les lks, etc.) 20 L’idéal de l’immersion complète ne saurait en définitive se confondre avec une « fusion » : les ethnologues ont toujours été bien conscients du caractère illusoire des efforts déployés pour « devenir indigène », reconnaissant leur position d’étranger (comme l’ont bien montré Griaule et Jaulin), qui n’est pas nécessairement un obstacle à la familiarité et la mise en œuvre d’un certain nombre de techniques pour saisir « le point de vue de l’indigène » (comme le veut Clifford Geertz).
19 Alban Bensa, De la relation ethnographique. A la recherche de la juste distance, Enquête, n01, 1995, p. 131.
20 François Laplantine, La description ethnographique Paris, Nathan 1996, p.l4.
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