Un couple de policiers a été tué devant leur petit garçon de 3 ans dans les Yvelines. La psychiatre Muriel Salmona, spécialiste de la mémoire traumatique, décrypte les potentielles conséquences d’un tel événement sur un enfant.
Un policier et sa compagne, secrétaire administrative dans un commissariat, ont été tués à coups de couteau lundi soir à Magnanville (Yvelines) par un homme se revendiquant de l’État islamique. La scène s’est déroulée en présence de leur fils de 3 ans, que les policiers ont retrouvé « choqué et indemne ». Selon le journaliste de RFI spécialiste du jihad David Thomson, l’auteur du double meurtre, présenté comme étant Larossi Abballa, a posté en direct sur Facebook un message vidéo de revendication. Alors que le petit garçon se trouvait assis derrière lui sur le canapé, il a dit : « Je ne sais pas encore ce que je vais faire avec lui. »
Selon la psychiatre et psychotraumatologue Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, les conséquences de telles atrocités sur l’enfant peuvent être graves. Mais il peut apprendre à vivre avec ce drame, s’il est pris en charge rapidement et correctement.
L’enfant n’a que 3 ans. Que peut-on comprendre d’une telle horreur à cet âge ?
Il a beau avoir 3 ans, il comprend que quelque chose de monstrueux se passe. Il voit du sang, que ses parents ne bougent plus. Il voit bien qu’il se passe quelque chose de définitif, d’une violence inouïe. Et il a peur de mourir. C’est un des pires traumatismes qui soient.
3 ans, c’est l’âge limite pour avoir une mémoire autobiographique [ce que l’on a coutume d’appeler simplement la mémoire, ndlr]. Mais ce n’est pas parce qu’on ne se souvient pas qu’on n’est pas complètement envahi par une mémoire traumatique [celle qui fait revivre les événements traumatisants, ndlr] : il aura des flash-backs, l’impression qu’il va mourir, il va voir sa mère, du sang… Il va avoir des psychotraumatismes massifs, avec des atteintes neurologiques très lourdes.
Comment fonctionne cette mémoire traumatique ?
La violence, c’est dissociant, ça anesthésie. Quand on subit des violences, l’amygdale cérébrale, qui est un filtre pour voir si ce que vous vivez est dangereux, s’allume et sécrète des hormones de stress. Elle ne peut être modulée que par une activité d’analyse, qui va permettre de contrôler la réponse émotionnelle. Or un enfant ne peut pas la moduler, et ses fonctions supérieures se paralysent. L’amygdale reste «allumée», mais elle n’a plus d’effets extérieurs. Cette dissociation fait que le traumatisme est toujours présent, mais il n’y a plus d’effet de stress.
Tout ce qui se produit à partir du moment où la personne est dissociée ne va pas s’intégrer dans la mémoire autobiographique mais rester bloqué dans l’amygdale. L’amygdale contient toutes les situations violentes. Du coup, ça ne devient pas de la mémoire autobiographique mais de la mémoire traumatique.
Quelles conséquences un tel événement peut-il avoir sur le développement d’un enfant ?
Quand on a subi des violences, on est colonisé par la violence. Tout lien avec l’événement, que ce soit l’endroit, l’heure, le contexte, un cri, une douleur, une pensée, etc. va allumer la mémoire traumatique, du coup l’amygdale cérébrale, comme une machine à remonter le temps, va faire revivre à l’identique ce qui s’est passé. On réentend les paroles de l’agresseur et on ressent sa haine.
Pour survivre à une mémoire traumatique, il y a deux stratégies. Soit on adopte des techniques d’évitement : on se retire, on ne va plus bouger, plus sortir. Les enfants, souvent, se mettent en système déconnecté, ils vont être dans un autre univers. Ce sont les enfants qu’on dit dans la lune. Soit on adopte une conduite d’anesthésie. Pour s’anesthésier, il y a l’alcool, la drogue, la violence… Cet enfant pourra adopter des conduites à risques, avoir un mal-être, des conduites suicidaires…
Comment peut-on limiter les dégâts ?
On peut « réparer » son cerveau et contrecarrer les effets du stress extrême. Il y a une nécessité absolue de mettre en place des soins très vite et, pour cela, le protéger de tout stress. Ça passe d’abord par des soins immédiats : une protection, la présence continuelle d’un référent, ne jamais le laisser seul. Mais l’entourage est tellement impacté qu’il vaut mieux hospitaliser l’enfant et qu’il soit avec une autre personne. Il faut répondre à ses questions et lui donner des traitements antistress. Dans un deuxième temps, il faut traiter la mémoire traumatique. L’entourage doit être là pour repérer la moindre souffrance. Le problème, c’est que l’entourage est lui-même extrêmement traumatisé, donc il faudra prendre en charge toutes ces personnes pour qu’elles puissent sécuriser l’enfant.
Il a vécu l’horreur, on ne va pas changer ça. Mais on peut faire en sorte qu’il ne soit pas colonisé par la violence. Il aura une histoire dramatique, mais on peut vivre avec une histoire dramatique. Alors qu’avec une mémoire traumatique, on ne peut que survivre.
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