Boris Cyrulnik : “Et c’est ainsi qu’on fabrique les gogos armés de l’islam…”

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Le grand psychiatre publie ce 21 avril “Ivres paradis, bonheurs héroïques” chez Odile Jacob. Il évoque en exclusivité pour “l’Obs” le terrorisme, le mal, la souffrance des quartiers, le conditionnement djihadiste, la mort et les soins à apporter aux victimes. Extraits.

La compétition des martyrs

« Au Proche-Orient, là où les États sont défaillants, les gens trouvent refuge dans des sectes et donnent le pouvoir à des théories totalitaires. Et là, chaque fois, il y a un sauveur qui apparaît. Ce sauveur dit : je suis prêt à mourir pour vous sauver, vous allez m’aimer encore plus quand je serai mort, vous allez me glorifier. Les héros apparaissent, et se dessine une compétition de martyrs potentiels. Au Proche-Orient, il y a 14 millions d’enfants traumatisés, orphelins, mutilés, abandonnés, non éduqués ou survivant dans des familles misérables. Quand on est en détresse, on est vulnérable. Quand on coule, on s’accroche à tout ce qui flotte. C’est dans le chaos que poussent les héros. Les meneurs d’âmes vous indiquent le chemin, la cause du mal et les moyens de s’en sortir. Dans des conditions dramatiques, un grand nombre de jeunes deviennent ainsi des armes consentantes. »

Les gogos de l’islam

« Ce sont des gogos de l’islam, les Merah, les Coulibaly… Ils se font escroquer comme quand on entre dans une secte. Eux qui se disent « révolutionnaires » ou « bras armé de Dieu » ne sont que des pantins déculturés. Que le cerveau soit altéré par une maladie ou par un appauvrissement du milieu culturel, les effets relationnels sont les mêmes. Incapables de ne pas passer à l’acte, ils ne parviennent pas à prendre le recul nécessaire à la réflexion. Ils sont ainsi des proies faciles pour un chef totalitaire qui cherche à imposer sa loi. Il suffit de leur faire croire qu’ils seront héroïsés et vivront auprès de Dieu après leur mort. C’est ainsi qu’on fabrique des gogos armés.»

Le sens du mot “victime”

« Je n’emploie pas le mot « victime », j’emploie les mots « cabossé » ou « blessé ». Parce que « victime », il y a une connotation judiciaire. « Blessé », c’est des relations d’aide, des relations de soins. Ce n’est pas des relations de règlement de comptes ou de vengeance. J’ai été contacté par des associations de blessés après les attentats. Et ce qu’ils veulent entendre, c’est un discours sur la résilience. Je suis blessé, j’ai été blessé, il n’y a pas de doute; je suis mutilé, j’ai perdu des gens de ma famille, on ne me les rendra jamais. Le coup dans le réel, je l’ai reçu. Mais dans la résilience, on va me dire comment je peux me remettre à vivre après ça, malgré ça et avec ça dans le corps ou dans la mémoire. Il y a deux mauvaises solutions. La première mauvaise solution, c’est de les empêcher de parler. Et la deuxième mauvaise solution, c’est de les obliger à parler. »

Une nouvelle pathologie : l’hyperkinésie

« Contrairement à ce qu’on pense, il y a une érotisation de la peur, de l’angoisse, de la mort. Voyez comment les supporters de football se battent stupidement avec une violence terrifiante. J’en ai rencontré quelques-uns, ils disaient : on a peur avant le match, et après on est incroyablement euphorisés. Parce qu’il s’agit d’un sentiment euphorisant. On a l’explication biologique : les hormones du stress provoquent un rebond de sécrétions d’endorphines. Et, quand on protège trop nos enfants, on leur supprime cette euphorisation, cette érotisation de la peur. On les engourdit complètement en les protégeant trop. Donc ils se mettent à l’épreuve pour se stimuler, pour savoir ce qu’ils veulent et se prouver qu’ils valent quelque chose.
Toutes les cultures ont inventé des initiations pour adolescents, sauf la nôtre, qui a inventé des initiations tout autres comme le baccalauréat. Les gosses sont inertes, ils ne bougent pas. On sélectionne nos enfants sur leur aptitude à ne pas bouger, à la sédentarité. D’où l’apparition d’une nouvelle forme de pathologie qui n’existe qu’en Occident : l’hyperkinésie. Ces gosses (une très grande majorité de garçons) sont insupportables parce qu’ils ne tiennent pas en place, ils foutent en l’air l’ambiance d’une classe, ils contestent tout le monde. Et ils se font chasser, désocialiser. J’ai eu à en suivre. Ces garçons-là, vous les mettez au champ ou à l’usine… l’hyperkinésie disparaît ! »
Propos recueillis par François Armanet et Aude Lancelin
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Rwanda : Le traumatisme réactivé…


lundi 30 novembre 2015
Dans cet article le nom d’un militaire se trouve au cœur des investigations en cours sur ces journées tragiques, à Bisesero. Il s’agit de Marin Gillier, à l’époque capitaine de frégate, qui commandait l’un des trois détachements du COS envoyé au Rwanda.
Cet homme d’exception avait évoqué en 2009, les traumatismes engendrés par cette douloureuse opération.
Dans cette interview d’ Elsa GUIOL, Marin Gillier parlait de cette tragédie avec une « émotion palpable », extrait :
« Il y a, chez tous ceux qui ont approché l’horreur rwandaise, un avant et un après. « On n’en dort plus la nuit », souffle-t-il, les bras hérissés par la chair de poule. Il évoque ces enfants tués à la machette, cette petite fille venue lui parler « alors qu’elle avait le haut du crâne coupé, on apercevait ses méninges ». Ou encore cet enfant croisé au bord d’une route, accroché au sein de sa mère pourtant décapitée. Puis il parle de l' »Opération turquoise », de ces accusations portées contre lui. De ces 36 heures, entre le 27 et le 30 juin 1994, où des milliers de Tutsis ont été massacrés sur la colline de Bisesero.

Les militaires français n’auraient pas tout fait pour les sauver. Il raconte le chaos, les incompréhensions. « En arrivant, on ne savait pas qui étaient les gentils et les méchants. Tout le monde nous demandait de sauver des gens par-ci, par-là. Peut-être ce jour-là avons-nous pris la mauvaise route. » Le marin pourrait être encore poursuivi par la justice internationale, tout comme les ministres français de l’époque. « Mais je ne suis pas inquiet. Je n’ai rien à me reprocher. » Seuls les souvenirs continuent de le hanter. Des images qu’il ne partage pas lorsqu’il rentre chez lui et retrouve ses neuf enfants, dont deux garçons, réfugiés politiques, qu’il a recueillis. « On ne peut pas raconter ce qu’on voit. On ne peut que le vivre ensemble. » Après chaque opération, il met du temps à se réhabituer à la vie normale. Un constat qu’il sait dur pour son entourage. »

En conclusion, ce lourd dossier va participer à la réactivation de cette mémoire traumatique, non seulement chez cet homme, mais également chez tous ceux qui ont participé à l’opération Turquoise, avec en plus un nouveau sentiment de culpabilité…

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