Dos au mur, ce jeune homme de 20 ans va de nouveau affronter son passé. Quatorze ans plus tôt, avec ses frères, le garçon dénonçait les actes pédophiles de dizaines d’adultes, dont ses parents, Myriam Badaoui et Thierry Delay. Entre 2004 et 2005, au procès de Saint-Omer puis en appel à Paris, 13 des 17 accusés sont acquittés. « Un désastre judiciaire sans précédent », déclare alors le président Jacques Chirac. Jonathan fait partie des douze enfants reconnus comme victimes, autant de vies cassées. Depuis, il a connu les foyers et la rue. Mais sa plus grande blessure, c’est qu’on ait pu douter de sa parole d’enfant. Il s’est porté partie civile dans le procès qui s’ouvrira le 19 mai à Rennes et qui jugera cette fois Daniel Legrand – disculpé en 2005 – pour des viols commis avant sa majorité.
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A presque 21 ans, avec ses joues rondes, Jonathan porte encore sur le visage les stigmates de ses jeunes années. De cette enfance fracassée, qu’une vie entière ne suffira peut-être pas à réparer, il n’a que peu de bons souvenirs. Quelques parenthèses enchantées où lui et ses frères, Chérif, Dimitri et Dylan, jouaient en bas des immeubles, loin des quatre murs entre lesquels se déroulait leur calvaire. Parfois, leurs parents les couvrent de cadeaux, mais les enfants savent qu’ils sont « achetés avec l’argent donné par les autres pour nous abuser », raconte Jonathan. A moins de 1 an, Jonathan a déjà été hospitalisé dix-sept fois. Suivi par les services sociaux, il est placé une première fois dans une famille d’accueil à 2 ans, durant quelques mois. A 6 ans, il est seul dans l’appartement avec son père, Thierry Delay, qui a envoyé l’un de ses frères lui chercher de l’alcool. L’enfant revient sans la bouteille demandée et croise sa mère, Myriam, qui anticipe la fureur de son mari et le retient au pied des escaliers. Thierry Delay s’en aperçoit. Pour la pousser à bout, il s’empare de Jonathan, le suspend au balcon du cinquième étage, de l’autre côté du garde-fou, et l’abandonne là. « Je n’avais que la force de mes petits bras pour tenir, se souvient-il. Ma mère a couru pour venir me remonter. Les policiers sont arrivés et c’est là qu’elle a demandé à ce qu’on soit placés définitivement. Pour une fois, elle a agi. »
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Jonathan Delay, dans un village de l’Essone où il vit, le 30 avril 2015. © Vincent Capman
Outreau : pourquoi Florence Aubenas a-t-elle menti ? par Jacques Cuvillier
C’était il y a dix ans. Les médias sont en effervescence en cette année 2005, alors que se profile le procès en appel des personnes qui ont été mises en cause dans l’affaire d’Outreau et condamnées au procès de Saint-Omer. La cause est-elle entendue ? Nul ne le sait encore de manière certaine, bien que l’opinion publique ait déjà été travaillée en profondeur sous l’effet d’un emballement médiatique qui a mis les accusés sur le devant de la scène, les acteurs de la justice sur la sellette, et les enfants victimes dans l’ombre.
Arrive alors de sa captivité, toute auréolée de lumière, Florence Aubenas. Elle avait, pour le journal Libération, suivi le procès de Saint-Omer et entrepris de publier un livre sur le sujet. Elle reprit ce travail à son retour en France en juin, et s’efforça de le publier sous le titre « La méprise » avant que s’ouvre le procès en appel à Paris en octobre. Il fallait faire vite pour qu’il serve son objectif : appuyer les thèses de la défense en vue d’obtenir l’acquittement de ceux qui avaient fait appel de leur condamnation.
Comme le remarque dans un excellent article1 publié sur le Village de la Justice le 6 mai 2015, Michel Gasteau, ancien Président des cours d’assises de Douai, Saint-Omer, Rouen et Evreux, le livre qui prétend être un reportage ne correspond pas vraiment à ce que l’on pourrait attendre : qu’il se fonde sur des éléments factuels, qu’il en rende compte pour informer. Si c’était le cas, même avec la touche personnelle de l’auteur, le récit construit à partir d’observations de terrain, laisserait au lecteur sa propre liberté d’interprétation. S’agissant d’un sujet aussi grave et complexe que cette affaire de pédophilie, on pouvait espérer qu’un récit aussi précis, fidèle et neutre que possible, permettrait à l’issue du procès d’apporter au public un éclairage utile. Comme nous allons le voir, l’ouvrage, bien plus destiné à influencer qu’à informer ne va pas du tout en ce sens. D’ailleurs, sans présumer des conclusions du procès en appel, le livre donne par avance des conclusions qui auraient dû faire réagir vivement la justice, mais Florence Aubenas à cette époque était une icône intouchable. Pour peu que l’on prenne le livre en main, ou que l’on en voie la description sur un site de vente en ligne, on trouve sur la quatrième de couverture : « qui est vraiment coupable ? Pourquoi et comment la justice a-t-elle déraillé ? » Cette affirmation téméraire associée au visage souriant – juste à côté – et à la notoriété dont les médias l’avait parée devaient suffire à effacer les doutes. Il n’était donc même pas nécessaire de lire le livre pour se faire une opinion.
Avec les meilleures intentions du monde, tout auteur oriente fatalement son récit en fonction de son point de vue, par le choix des mots, par ses remarques et notes de bas de page, par l’organisation du propos. On lui pardonnera d’éventuelles inexactitudes ici ou là – personne n’est parfait – on pourrait s’interroger sur ses éventuelles omissions. L’appréciation peut devenir nettement moins favorable si les termes utilisés sont orientés de façon systématique, donnant à l’ensemble non plus une coloration mais une orientation partisane. Mais la contre-vérité intentionnelle devrait en principe alerter le lecteur avisé sur les intentions réelles de l’auteur, et l’inciter à la plus grande prudence, voir au rejet.
Pour autant qu’il m’en souvienne, j’avais appris dans l’enfance que mentir, c’est parler contre sa pensée avec l’intention de tromper. Comment un reportage revendiqué comme tel peut-il avoir pour but de faire que le lecteur se méprenne sur l’information qu’il est censé lui fournir ? Serait-ce là ce qu’en réalité le titre suggère ?
L’ouvrage peut être examiné sous plusieurs angles :
– son temps de préparation et sa date de parution ;
– la sémantique et le ton utilisé ;
– les passages romancés et les exagérations ;
– les mensonges intentionnels.
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