Inscription de l’inceste dans le code pénal – Assemblée nationale le 13 mai 2015

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Le travail parlementaire est un éternel recommencement. C’est notamment le cas lorsqu’une disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel. Un bon exemple a été donné hier lors des débats sur l’inscription de l’inceste dans le code pénal.

L’inceste est déjà présent dans notre droit. Dans le code civil (l’interdiction de se  marier ou de reconnaître la filiation paternelle d’un enfant incestueux), mais également dans le code pénal. Plusieurs délits sexuels sont aggravés quand ils sont commis par un parent ou une personne ayant autorité sur l’enfant. Mais pour certaines associations cela est insuffisant. Elles souhaitent que le mot inceste soit inscrit noir sur blanc dans notre droit, afin de se voir reconnaître qu’elles ont été victimes d’inceste.

Cette disposition a une histoire. Une proposition de loi sur l’inceste avait été adoptée en février 2010. Comme l’amendement ici proposé, elle visait à définir comme « incestueux » certains crimes et délits sexuels, « lorsqu’ils [étaient] commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».

Une grande partie de cette loi avait été censurée par le Conseil constitutionnel un an après, par sa décision 2011-163 (suivie d’une décision 2011-222). Le Conseil a considéré que la loi ne définissait pas avec précision ce qu’était une « famille ». Cette imprécision était volontaire. Un beau-frère, le concubin de la mère, le cousin, fait-il partie de cette famille ? Mais en étant imprécis, le législateur ouvrait trop largement ce nouveau délit d’inceste. D’autant que le code pénal ne prévoit le caractère aggravant de l’inceste que si le coupable a une relation d’autorité ou d’ascendance sur une victime mineur (une agression entre frères du même âge n’est pas plus sévèrement punie qu’une agression « normale »). On aurait alors des délits qualifiés « d’incestueux » alors que le caractère aggravant n’a pas été retenu.

Si cette loi est faite pour répondre aux demandes des victimes, le Conseil a bien souligné qu’elle est avant tout destinée aux condamnés. En voulant satisfaire les victimes alors qu’on ne peut viser que les condamnés, on met en place une équation impossible. D’où le risque d’avoir soit un texte incomplet, soit au contraire trou flou (et donc contraire à la Constitution). Cette difficulté a bien été soulignée dans les débats dans l’hémicycle entre les députés Denys Robiliard et Bernard Roman.

Ce matin, la Commission des Lois a adopté par amendement une sur-amende de 10% qui serait payée en cas de condamnation pénale, afin de financer l’aide aux victimes. Ce principe de sur-amende avait été lui-aussi censuré par le Conseil constitutionnel l’an dernier, au motif qu’une peine d’amende n’est jamais automatique et qu’elle doit avoir être expressément prononcée par un juge, en fonction de chaque cas. L’article a donc été réécrit en prenant en compte les problèmes qui avaient justifié la censure. Faire, défaire, refaire,…

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Livre – Les liaisons interdites – France culture

Logo-L'essai-et-la-revue-du-jourFabienne Giuliani : Les liaisons interdites. Histoire de l’inceste au XIXe siècle (Publications de la Sorbonne) / Revue Le débat N°180 Dossier Les enfants du mariage homosexuel (Gallimard)
Pour réécouter l’émission cliquez sur le logo de l’Essai et la revue du jour.
liaisons-interditesPour les anthropologues, l’inceste fait l’objet d’un interdit universel. Durkheim y voyait la survivance d’une phobie du sang et Lévi-Strauss une forme d’impératif social liée aux structures de la parenté qui commandent de rechercher les alliances matrimoniales en dehors du clan pour assurer sa reproduction sociale. Pour l’historien, la réalité des interdits et des pratiques est plus nuancée. Fabienne Giuliani a réglé sa focale sur l’époque qui, en France, voit la question de l’inceste prendre une place centrale dans les débats juridiques et médicaux sur la sexualité, la famille, la morale et l’enfance. Au terme de ces débats, l’accent est mis sur la protection de l’enfance en danger. Mais au long de cette évolution sociétale, le balancier aura oscillé dans les grandes largeurs, notamment au cours de la séquence révolutionnaire qui dépénalise l’inceste, sa criminalisation étant considérée comme un vestige de l’archaïsme et de l’arbitraire du droit de l’Ancien Régime.
Il est vrai que celui-ci a étendu sa répression à une définition extrêmement large de l’inceste. La prohibition atteint les cousins issus de germains. Même une relation partagée avec une personne extérieure par deux membres d’une même famille était jugée incestueuse. La sévérité de la peine est à proportion du degré de parenté : l’inceste en ligne directe est puni de mort, la peine appliquée étant le bûcher, l’inceste entre frère et sœur encourait la même sentence, par décapitation. L’évolution libérale des conceptions du droit au siècle des Lumières sous l’effet de penseurs comme Beccaria ou Montesquieu va associer le thème de l’inceste à d’autres interdits considérés comme obscurantistes et entachés d’une vision religieuse, et sa prohibition est présentée comme le symbole d’une entrave à la liberté individuelle. C’est sans doute pourquoi les rédacteurs du premier Code pénal en 1791 n’ont pas inscrit l’inceste dans la liste des crimes.
Les législateurs ont le souci de laïciser la loi, en marquant la distinction entre la sphère privée et le domaine public. La sexualité, les mœurs, appartiennent à la vie privée, sous réserve qu’elles ne contreviennent pas à certains grands principes – le respect, la probité, la tempérance, les sentiments d’humanité – en produisant un effet de scandale qui rejaillirait dans l’espace public. Si la sexualité entre proches parents, adultes et consentants, est tolérée, leur mariage reste proscrit et le viol commis par des ascendants demeure passible de poursuites. « La prohibition de l’inceste au niveau civil se limite désormais à la famille nucléaire. »
Mais le débat public ne s’est pas arrêté à cet aspect juridique. Dans le grand renversement des valeurs issues de l’Ancien Régime la littérature a joué un rôle éminent. Parmi les écrivains libertins, ceux qui ont passé le cap de la postérité comme Sade ou Rétif de la Bretonne ont entre tant d’autres exploité ce thème transgressif et puissamment provocateur de l’inceste, versant sans réserves dans ce que l’historienne américaine Lynn Hunt a appelé la « pornographie politique ». Le mot pornographie est d’ailleurs né à l’époque sous la plume de Rétif de la Bretonne qui l’utilisait pour désigner les écrits sur la prostitution. On se souvient que Sade n’y est pas allé de main morte dans l’évocation des voluptés de l’inceste, et que, fidèle à son habitude il prend à témoin les trois quarts de l’humanité pour en faire l’apologie, conforme en cela au goût du jour qui aimait à convoquer peuples et civilisations pour accréditer la mise en cause des valeurs morales et souligner leur relativité. « Presque dans toute l’Asie, dans la plus grande partie de l’Afrique et de l’Amérique – affirme-t-il dans La nouvelle Justine – on épouse publiquement son père, son fils, sa sœur, sa mère… » Fabienne Giuliani nous gratifie entre autres références de la perle d’un auteur anonyme, les Étrennes aux fouteurs ou le calendrier des trois sexes, où frère et sœur, Myrtil et Zulmé, invités à assister aux ébats de leurs parents ne sont pas en reste :
Myrtil enfila le passage
Où se forme le genre humain
Zulmé partagea le voyage,
En dépit du véto romain.
On en porta plainte à Cythère.
Il y fut dit, sans trop jaser,
Que puisqu’amour foutait sa mère,
Frère et sœur pouvaient se baiser.
Jacques Munier