Le Monde selon Caroline Eliacheff / Le tabou de l’inceste

Logo-Sélection-France-cultureActuellement, les viols et les agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans sont qualifiés et punis par la loi, mais l’inceste, lui, n’était pas défini en tant que tel…

Quand on n’est pas concerné par la transgression du tabou de l’inceste, on est surpris d’apprendre que le mot « inceste » ne figure pas dans le code pénal. Je devrais employer l’imparfait car le 12 mai dernier, l’Assemblée nationale a introduit ce mot dans la loi sur la protection de l’enfant. L’inceste avait fait une brève incursion dans le code pénal  en 2010. Mais, le 16 septembre 2011, le Conseil Constitutionnel avait jugé le texte inconstitutionnel au motif – entre autres – que les  « membres de la famille » susceptibles de commettre cette infraction étaient mal précisés par le législateur.

 

Actuellement, les viols et les agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans sont qualifiés et punis par la loi, mais l’inceste, lui, n’était pas défini en tant que tel…

Quand on n’est pas concerné par la transgression du tabou de l’inceste, on est surpris d’apprendre que le mot « inceste » ne figure pas dans le code pénal. Je devrais employer l’imparfait car le 12 mai dernier, l’Assemblée nationale a introduit ce mot dans la loi sur la protection de l’enfant. L’inceste avait fait une brève incursion dans le code pénal  en 2010. Mais, le 16 septembre 2011, le Conseil Constitutionnel avait jugé le texte inconstitutionnel au motif – entre autres – que les  « membres de la famille » susceptibles de commettre cette infraction étaient mal précisés par le législateur.

Si l’inceste n’est pas nommé, cela ne signifie pas qu’il soit autorisé : les infractions sexuelles sont sanctionnées plus sévèrement quand elles sont commises  par un ascendant légitime naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime, qu’elle soit majeure ou mineure, la minorité alourdissant la peine. Dans la nouvelle loi, les personnes susceptibles de commettre viols ou agressions incestueuses sur un mineur sont précisées sans modifier le quantum des peines. Il s’agit donc d’un ajout symbolique.

EST-CE QU’IL Y AVAIT COMME ON DIT UNE DEMANDE SOCIALE ?

Oui : cette demande émane des associations de défense des enfants et de victimes de l’inceste. Selon elles, le but serait de mieux prévenir l’inceste, d’éviter les passages à l’acte, de mieux accompagner les victimes et de recueillir des statistiques. C’est peut-être beaucoup demander à cet ajout. Quand l’Association internationale des victimes de l’inceste se réjouit en déclarant « aujourd’hui l’interdit de l’inceste est clairement posé », elle va un peu loin quand on sait – mais il est vrai que peu de personnes le savent – que les relations incestueuses librement consenties entre personnes  ayant atteint l’âge de la majorité sexuelle ne sont pas un délit. Autrement dit, bien que le lien de famille soit une circonstance aggravante des infractions sur les mineurs et des relations sexuelles non consenties entre majeurs,  le code pénal français n’en fait pas un élément constitutif d’une infraction entre majeurs consentants.

EST-CE QUE ÇA VOUDRAIT DIRE QUE L’INTERDIT DE L’INCESTE N’EST PAS UNIVERSEL ?

Je reviendrai sur l’universalité de cet interdit. En tout cas, quand on regarde autour de nous, comme l’a fait le Sénat dans une note de synthèse, les lois ne sont pas « universelles ». L’Espagne et le Portugal se rapprochent de la France : leur code pénal ne réprouve pas les relations incestueuses librement consenties entre personnes ayant atteint l’âge de la majorité sexuelle. Il y a infraction si les relations ne sont pas consenties ou si la victime est mineure et les peines sont aggravées si l’auteur est un proche parent.

En Allemagne, en Angleterre, au Danemark, en Italie et en Suisse la qualification et les sanctions des infractions sexuelles ne sont pas déterminées par l’existence d’un lien de famille : c’est le non-consentement et la minorité qui sont déterminants. En revanche, les rapports incestueux librement consentis entre majeurs constituent des infractions ; mais avec des variantes : l’Italie condamne, au nom de la morale familiale, les relations sexuelles entre parents en ligne directe et entre frères et sœurs mais à condition qu’elles soient « notoires » provoquant un scandale public. En Angleterre et au Pays de Galles, les relations incestueuses librement consenties constituent des infractions qualifiées de sexuelles, tandis qu’au Danemark, en Suisse et en Allemagne, ce sont des infractions contre la famille.

Tous ces pays, à la différence de la France, de l’Espagne et du Portugal, font du lien de famille l’élément constitutif de l’infraction entre majeurs mais ne tiennent pas compte du lien de famille quand un mineur en est  la victime.

MAIS ALORS QUE FAUT-IL DIRE AUX ENFANTS ?

Heureusement, on n’élève pas les enfants en leur lisant le code pénal ! Curieusement, et la psychanalyse n’y est pas étrangère avec le fameux complexe d’Œdipe, on s’attache à interdire aux enfants le désir qu’ils éprouveraient vis-à-vis de leurs parents et de leur fratrie alors que le problème vient du désir que les adultes éprouvent vis-à-vis de mineurs ou de majeurs qui leur sont interdits de passage à l’acte. Et quand ils le font, ils bénéficient souvent d’une complicité familiale toute aussi pernicieuse.  Aucune société n’échappe aux interdits sur le sexe entre membres d’une même famille. Ils peuvent différer d’une époque à l’autre ou d’une culture à l’autre. En Perse l’union la plus sacrée était celle d’un frère et d’une sœur mais d’autres unions, notamment entre père et fille, étaient prohibées. Ces interdictions ont pour but de maintenir la cohérence entre les deux piliers du système de parenté que sont l’alliance et la filiation. C’est en ce sens que le tabou de l’inceste est universel quoi qu’en dise le code pénal. Et c’est aux adultes de le respecter.

L’inceste inscrit dans le Code pénal : ce que ça changerait

logo-e1Publié à 21h33, le 05 mai 2015, Modifié à 06h51, le 06 mai 2015
Par Cécile Bouanchaud

L’Assemblée nationale devrait inscrire le crime d’inceste dans le Code pénal, en votant des amendements en ce sens le 12 mai prochain.

Ce changement est réclamé depuis de nombreuses années par les associations de victimes d’inceste. Un amendement à la loi sur la protection de l’enfance, prévoyant l’inscription de l’inceste dans le Code pénal devait être examiné mardi par les commissions des Lois et des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Le texte de loi dans son ensemble sera débattu le 12 mai à l’Assemblée nationale, a indiqué le député Bernard Roman (PS).

Quelle est la situation actuelle ? Actuellement, le Code pénal punit les viols et agressions sexuelles, ainsi que les relations sexuelles avec des mineurs de moins de 15 ans. Mais l’inceste n’est pas défini en tant que tel. Néanmoins,  le fait de commettre un viol « par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait », aggrave les peines prononcées. Toute personne poursuivie pour ces motifs risquent ainsi jusqu’à 20 ans de prison et non plus quinze ans.

Pour autant, les associations de victimes d’inceste réclament depuis plusieurs années d’introduire la notion d’inceste dans le Code pénal. Si bien qu’en 2010, le législateur avait répondu par la positive à cette demande, avant que le Conseil constitutionnel ne censure en 2011 cette disposition législative. A l’époque, les Sages avaient jugé « imprécise » la notion de « famille » alors utilisée.

Quels sont les changements proposés ? Cette fois, l’amendement examiné précise quels sont les membres de la famille susceptibles de commettre des actes incestueux. Le texte dispose ainsi que « les viols et les autres agressions sexuelles (…) constituent des incestes lorsqu’ils sont commis sur un mineur par : son ascendant  ; son oncle ou sa tante  ; son frère ou sa sœur  ; sa nièce ou son neveu  ; son grand-oncle ou sa grand-tante  ; son cousin germain ou sa cousine germaine ». Cette précision vise aussi « le conjoint ou le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une de ces personnes ». Un ajout important alors que les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses.

Où en est le débat ? Avec ces précisions, la nation d’inceste a donc de fortes chances d’être intégrée dans le Code pénal. Pour l’heure, la commission des Lois de l’Assemblée, qui examinait la proposition de loi pour avis mardi matin, a adopté ces amendements à l’unanimité, a indiqué Bernard Roman, et la commission des Affaires sociales, compétente pour ce texte, devait faire de même dans l’après-midi.

Mais des ajustements devront encore être opérés avec le ministère de la Justice, en particulier sur la responsabilité des frères et sœurs, ainsi que sur celle des ex-conjoints et concubins, a précisé le député. Un amendement légèrement différent sera donc présenté le 12 mai dans l’hémicycle.

Qu’est-ce que ça changerait ? Une fois définitivement votée, cette mesure introduisant la notion d’inceste dans le Code pénal, ne devrait rien changer sur le terrain du droit pur, les peines resteront les mêmes. Mais les associations de victimes d’inceste estiment que mettre un mot sur un mal permettra de libérer la parole des victimes.

« Pour nous, le vote de cet amendement est justement le point de départ. Cela va nous permettre de mener enfin des enquêtes précises et de faire de la prévention », explique Isabelle Aubry, la présidente l’Association internationale des victimes de l’inceste (AIVI), interrogée par 20 Minutes. Selon les derniers chiffres, datant de 2009, deux millions de personnes sont victimes d’inceste en France.

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