Interview de Julien Mignot – Sept à Huit, sur TF1 – l’affaire « Mannechez » père incestueur

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[Interview] Sept à Huit, sur TF1, revient sur l’incroyable affaire de Gisors, dans l’Eure

L’émission Sept à Huit, sur TF1, revient sur l’affaire « Mannechez », dimanche 3 janvier 2016. Une incroyable histoire d’inceste, puis de double meurtre, dans l’Eure. Interview.

Mise à jour : 03/01/2016 à 19:55 par Briac Trébert

Mardi 7 octobre 2014, fin de journée, dans l’Eure, à Gisors. Un homme tire sur un garagiste, qui s’effondre, touché mortellement au poumon. Puis, il trouve son employée. Elle meurt sur le coup après avoir reçu une balle dans la tempe, et une dans l’épaule. Il vient de tuer sa propre fille, et retourne l’arme contre lui. Héliporté au Centre hospitalier universitaire de Rouen (Seine-Maritime), Denis Mannechez, 52 ans, à l’époque, est toujours dans un état désespéré, en 2015. Il n’a pas supporté que Virginie, 33 ans, le quitte. Car le père et la fille étaient en couple depuis plusieurs années. Ils avaient même eu un enfant ensemble.
La relation incestueuse – ce n’est pas une relation, elle n’était pas consentante, mais sous emprise – s’était nouée dans les années 1990, au sein d’une vaste demeure près de Compiègne (Oise). Denis Mannechez, cadre supérieur, y a élevé, avec sa femme, Laurence, leurs enfants. En 2002, sur dénonciation d’une des deux sœurs Mannechez, une enquête sera ouverte. Elle mettra au jour le dysfonctionnement de cette « famille ». Les deux adolescentes ont des rapports sexuels réguliers avec leur père. Le tout sous le regard de la mère. Une fille expliquera être tombée enceinte trois fois, deux grossesses ayant été interrompues et la troisième s’étant soldée par une fausse couche. Sa sœur, Virginie, elle, gardera l’enfant. En 2011, devant la cour d’assises de l’Oise, puis en 2012, en appel, devant la cour d’assises de la Somme, les deux filles Mannechez se porteront partie civile. Elles ont finalement soutenu leur père…
Condamné en appel à cinq ans d’emprisonnement dont trois avec sursis à Amiens (Somme) en 2012, pour viols et agressions sexuelles sur ses deux filles, Denis Mannechez, qui avait déjà purgé sa peine en détention provisoire, sortira libre du tribunal. Puis, le père et sa fille aînée éleveront leur fils, également petit-fils et demi-frère, ensemble. Jusqu’à ce que Virginie décide de quitter le domicile familial à la fin septembre 2014 avec son enfant, alors âgé de 13 ans. Elle se réfugiera chez ce garagiste, Frédéric Piard, 31 ans. Denis Mannechez le tuera aussi avant de tenter de se suicider.

Normandie-actu. Julien Mignot, vous avez travaillé sur « l’affaire Mannechez » pendant plusieurs mois. Votre long reportage sera diffusé dans l’émission Sept à Huit, sur TF1, dimanche 3 janvier 2016. Comment avez-vous découvert cette affaire, comment la résumer ?
J’ai découvert l’affaire Mannechez, en octobre 2014, lors du dernier drame. En faisant ma revue de presse, tout simplement. Je commence par lire cette affaire comme un drame passionnel classique (l’homme qui tue celui qu’il croit être l’amant de sa femme, sa femme, avant de tenter de se suicider sur les lieux du drame). Sauf que là, l’homme et la femme ne peuvent pas être un couple puisqu’ils sont père et fille. À partir de là, c’est un vertige. Comment cela est-il possible dans notre société ? Surtout que la société et la justice se sont plongées dans cette affaire, pour, au final, rendre une décision assez « illisible »: cinq ans de prison pour le père, dont trois ans avec sursis. Sa peine ferme étant déjà effectuée par la détention préventive. Avec un confrère, nous avons immédiatement senti qu’il y avait forcément beaucoup de choses à découvrir sur la société (face à l’inceste) et sur cette famille, apparemment bien sous tous rapports…

« Une famille bien sous tous rapports »

Normandie-actu. Comment décrire cette famille, justement ? Le papa était inséré, gagnait bien sa vie…
Quand on parle d’une affaire d’inceste, on pense naturellement à une famille isolée des autres, fonctionnant en autarcie. Une famille « paupérisée », une famille où il y a déjà des « problèmes », voire un certain suivi des services sociaux. Or là, pas du tout, c’est une famille « bien sous tous rapports », de l’extérieur, ce qui renforcera notre intérêt. Un père, ingénieur et cadre commercial, considéré comme un excellent professionnel et qui gagne très bien sa vie (100 000 euros/an). Une femme qui ne travaille pas, mais élève une grande famille de cinq enfants, tous très beaux. La mère était très présente au niveau scolaire : elle donnait des vêtements, participait aux activités extérieures… La famille « idéale » pour les services sociaux. Extérieurement, les parents faisaient tout pour coller à leur modèle : la famille Kennedy. Mais une fois les portes fermées, l’ambiance était tout sauf normale : la famille ne mangeait, par exemple, jamais ensemble à table (sauf une fois par an, à Noël). Plus grave, les enfants vivaient un véritable enfer fait de brimades et de punitions disproportionnées. Une emprise totale orchestrée par le père et acceptée par la mère. Ce qui a permis de franchir le pas supplémentaire de l’inceste avec les deux grandes filles. Une famille totalement sous emprise où règnent le silence et la peur. Un modèle très destructeur.

« La grossesse a été menée discrètement »

Normandie-actu. Il y a eu d’incroyables ratés dans cette affaire, non ? Deux procès en 2011 et 2012, puis un double meurtre en octobre 2014, à Gisors, dans l’Eure…
La société ne veut pas voir l’inceste, car c’est difficilement imaginable. Nous ne sommes sans doute pas assez armés pour repérer ce genre de famille. Ce n’est pas forcément des ratés, c’est une succession d’occasions manquées pour que la vérité voit le jour. Chaque fois qu’il y a eu des suspicions à l’école, la mère, Laurence, intervenait pour donner le change. Betty, la cadette, présente beaucoup de bleus, c’est un « garçon manqué » qui se bat et qui se cogne partout, argumente la maman… À plusieurs reprises, les deux filles ont fait des fausses couches, voire des IVG, à chaque fois le « discours » à donner aux médecins et au psy de l’hôpital était préparé et appris. Et on changeait d’hôpital à chaque fois, histoire de brouiller les cartes si besoin. Quand Virginie, l’aînée, est tombée enceinte à 19 ans, et que, cette fois, l’enfant était voulu et attendu par le patriarche, la grossesse a été menée discrètement (il ne fallait surtout pas faire de caryotype du bébé, les médecins se seraient aperçus de la consanguinité)… Par contre, une fois que Betty la cadette a tout dénoncé en 2002, la justice s’est penchée sur cette affaire, elle avait alors toutes les preuves, le dossier était « béton »… Il a suffi que les enfants, manipulés par le père, soient poussés à revenir sur leurs déclarations les plus graves pour que la peine infligée aux parents soit dérisoire. Nous avons rencontré, ou eu par téléphone, plusieurs témoins de ces deux procès à huis clos, dont des magistrats. Tous s’accordent pour parler d’un raté judiciaire. Comme Denis Mannechez ressortait libre, main dans la main avec sa fille Virginie, c’est un peu comme si la société lui donnait le droit de vivre cette relation totalement déséquilibrée. D’où sans doute ce drame à Gisors, dans l’Eure, deux ans plus tard.

Normandie-actu. Vous avez rencontré longuement la fille cadette, qui a tout « balancé »… Que retenez-vous de ces entretiens ?
Nous avons rencontré la fille cadette de la famille, Betty. Elle est la personne centrale de toute cette affaire. Elle a été victime des violences et des abus du père, entre l’âge de 8 ans et sa majorité. Une fois adulte, c’est la seule qui a eu le courage de dénoncer la première tout ce qui se passait au sein de cette famille. En dénonçant, elle était persuadée de libérer tout le monde et surtout sa sœur, Virginie, de l’emprise paternelle. Elle se l’était promise quand elles étaient adolescentes et complices. Sauf, qu’entre temps, Virginie a eu un enfant, avec son père. Et que cet enfant a été placé temporairement à ce moment-là. Betty rencontre Virginie, elle s’attend à être félicitée (il faut beaucoup de courage pour oser dénoncer sa famille), or, elle retrouve une grande sœur, qui refuse maintenant d’être sauvée, comme la victime d’une secte (qui pratique le même type d’emprise). Elle est résolue ou résignée à être la femme de son père. Donc Virginie supplie Betty de revenir sur ses aveux ou elle ne lui parlera plus jamais. Betty, en femme de cœur, va accepter de se parjurer, de mentir pour sauver le semblant de famille auquel elle est attachée : sa sœur aînée. Pendant les 10 années qui séparent la dénonciation des procès (et cette durée est une erreur de la justice), il y a d’incroyables tractations et manipulations familiales pour que toutes les versions collent à celle du père. Rencontrer Betty est et restera un des grands moments de notre vie de journaliste. Elle a mis longtemps à nous faire confiance, mais une fois en confiance, elle s’est livrée. Et on a pu vérifier et confirmer tout ce qu’elle nous a dit avec tous les témoins que nous avons contactés. Son histoire est incroyable et elle nous interroge, nous, société, face à ces familles murées dans le silence qui vivent l’inceste. Comment éviter de tels drames ?

Normandie-actu. Justement, depuis plusieurs années, des associations essaient de faire rentrer le délit d’inceste comme un délit en soi…
Je ne suis pas spécialiste du problème de l’inceste, mais l’histoire Mannechez illustre parfaitement ce que défendent toutes ces associations qui veulent faire rentrer l’inceste dans le Code pénal. Un enfant n’est jamais consentant. En tout cas, Betty et Virginie, à 8-10 ans et après ne l’étaient pas du tout. C’est une certitude.

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