L’inceste dans le code pénal : une avancée, mais le parcours reste long pour les victimes

Logo-L'Obs-le-plusPublié le 17-05-2015 à 15h54 – Modifié le 18-05-2015 à 07h26

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Par 
Psychiatre

LE PLUS. L’inceste est de retour dans le code pénal. Le 12 mai, l’Assemblée nationale a adopté un amendement à la proposition de loi sur la protection de l’enfance pour réintroduire ce crime dans la loi. Que cela va-t-il changer ? Pas énormément de choses, mais c’est tout de même une avancée, explique la psychiatre Muriel Salmona.

Édité par Rozenn Le Carboulec  Auteur parrainé par Elsa Vigoureux

Le 12 mai 2015, l’inscription de l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal a été adoptée par l’Assemblée nationale. L’article 22 de la proposition de loi sur la protection de l’enfance crée une sur-qualification d’inceste qui ne modifie pas les peines en se superposant aux incriminations pénales déjà existantes d’agression sexuelle, de viol et d’atteinte sexuelle, ainsi qu’à la circonstance aggravante déjà prévue « par ascendants ou toute autre personne ayant autorité de droit ou de fait ».

L’inceste, un phénomène massif aux conséquences graves

L’inceste, que l’on peut définir communément comme des violences sexuelles commises sur un mineur par des membres de sa famille, est une violence particulière qui attaque l’identité de l’enfant et sa place au sein de sa famille, et brouille tous ses repères. L’inceste détruit la confiance de l’enfant envers ses figures d’attachement fondamentales, et le réduit à un objet sexuel au mépris de ses besoins fondamentaux et dans le déni de sa souffrance.
La force et l’autorité du lien qui unit et assujettit l’enfant à sa famille censée être le garant de sa sécurité, jointe à la dépendance de l’enfant, le rendent « prisonnier », il ne peut ni s’opposer, ni fuir, juste subir et survivre comme un automate. [1]
De plus, l’inceste envers les mineurs est un phénomène massif aux conséquences très graves sur la santé physique et mentale des enfants à court, moyen et long termes si une protection et des soins adaptés ne sont pas mis en place. [2] En France au moins deux millions de personnes (sondage Ipsos 2009 pour AIVI), auraient été ou seraient victimes d’inceste, plus de la moitié des violences sexuelles subies dans l’enfance l’ont été dans l’univers familial. [3]
Si on reprend les chiffres de l’OMS 2014, une femme sur cinq et un garçon sur 13 ont subi des violences sexuelles dans l’enfance ; ce serait donc une femme sur 10 et un homme sur 26 sur qui auraient subi un inceste en tant que mineur…
Or, comme le montre l’enquête « Impact des violences de l’enfance à l’âge adulte » (2015) de l’Association mémoire traumatique et victimologie soutenue par l’Unicef, l’inceste fait l’objet d’une loi du silence, d’une impunité et d’un déni tout aussi massifs : 88% des enfants qui en sont victimes n’ont jamais été ni protégés, ni reconnus.
Des moyens urgents étaient donc nécessaire pour lutter contre ces violences sexuelles intra-familiales qui sont un grave problème humain, de société et de de santé publique reconnu par l’OMS.

Des incestes réprimés qu’en tant qu’atteintes sexuelles

Pour tout cela, nous demandions en tant qu’associations, une loi spécifique pour que l’inceste sur les mineurs soit reconnu comme une infraction autonome, ne nécessitant pas de passer par la caractérisation du non-consentement de la victime [4], et que cette loi soit assortie d’un plan de lutte ambitieux contre ces violences et de mesures pour améliorer le dépistage, la protection et la prise en charge des victimes (cf notre pétition). [5]
Jusque-là notre code pénal ne nommait pas l’inceste, et ne le réprimait pas en tant qu’infraction spécifique (l’inceste avait été introduit brièvement dans le code pénal par la loi du 8 février 2010 en tant que sur-qualification des viols et des agressions sexuelles, mais la loi avait été abrogée par le Conseil constitutionnel le 16 septembre 2011, les liens familiaux qualifiés d’incestueux n’étant pas suffisamment précisés), seul le code civil en faisait état dans le cadre de la prohibition du mariage et du pacte civil de solidarité incestueux.
Ainsi, les violences sexuelles envers les mineurs commises par des membres de la famille, n’étaient réprimés qu’en tant que viols, agressions sexuelles ou atteintes sexuelles. Le contexte intra-familial de ces infractions ne pouvait être pris en compte que pour en aggraver les peines quand elles étaient commises par des ascendants ou des personnes ayant autorité de droit ou de fait, ce qui en faisait alors une circonstance aggravante. Mais pour de nombreuses violences intra-familiales cette circonstance aggravante n’était pas applicable (pour tous les membres de la famille n’ayant pas une autorité de droit ou de fait comme les frères et sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces, cousins et cousines…).

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D’Auschwitz à Outreau : la mémoire massacrée des enfants survivants

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Docteur en psychopathologie-HDR, Expert près les tribunaux

JUSTICE – Il y a tout juste un mois, la France commémorait le 70ème anniversaire de la libération des camps de concentration. Les cérémonies qui ont eu lieu à ce moment-là et les témoignages des survivants (tous enfants à cette période), pourraient laisser penser que parler de l’holocauste a toujours été possible. Ce serait une erreur. À la libération des camps, la majorité des déportés a été condamnée au silence, non seulement en raison de leurs propres difficultés à se dégager de l’indicible de ce qu’ils avaient subi mais surtout parce que personne ne voulait entendre ces récits de l’horreur.

C’est la même violence du déni de la réalité de ce qu’ils ont vécu qui s’impose aujourd’hui, en France, aux enfants maltraités : pour ceux qui parviennent à révéler, il existe une identique difficulté à être reconnus victimes de ce qu’ils révèlent par cette communauté des autres pourtant censés le protéger (proches, société, monde judiciaire).

Le lien entre les enfants rescapés des camps de concentration et ceux qui ont survécu aux maltraitances et en particulier aux abus sexuels, apparaîtra sans toute excessif à ceux qui méconnaissent les conséquences traumatiques de ces violences. Et pourtant, il existe un lien indéfectible entre tous ces enfants aux vies fracassées : celui du génocide identitaire dont ils ont été victimes et ses traces traumatiques dans leur corps, dans leur âme, dans leur mémoire et dans leur histoire.

La terreur, la honte vous sidèrent. Les humiliations et la désaffilation organisées par vos bourreaux vous condamnent à la perte de toute confiance en l’autre à un âge où cette confiance est pourtant essentielle pour grandir sereinement. La terreur subie vous tétanise. L’emprise et l’identification à l’agresseur vous saturent de culpabilité. Les violences faites à votre corps entraînent une symptomatologie post-traumatique spécifique qui hypothèque votre devenir et ce d’autant plus que vous êtes un enfant en plein développement (troubles anxieux, autodévalorisation, perte de confiance dans l’avenir, reviviscences, problèmes psychosomatiques, cauchemars, hypervigilance, troubles de la mémoire et de l’attention, tristesse).

La mémoire traumatique encrypte vos traumatismes dans les abysses cérébraux et vous expose à des ressentis complexes et à des souvenirs lacunaires. Le fait de ne pas être totalement mort alors que d’autres n’ont pas survécu ou ont sombré dans des troubles majeurs hantent votre présent d’une conviction de ne pas être légitime. L’effraction psychique produit un sentiment d’étrangeté et l’impression de ne jamais être à sa place.

Pour ceux qui ont survécu à l’holocauste comme pour ceux qui ont survécu aux viols et aux autres maltraitances subies, s’annonce une autre épreuve qui pour certains deviendra un véritable enfer : pouvoir se dégager de ce statut d’objet de violence pour (re)devenir sujet de son histoire. Cette réinscription dans le monde des vivants (voire cette inscription, pour les enfants maltraités depuis l’enfance ou les enfants nés dans les camps), nécessitent la concomitance de deux processus dont chacun est en lui seul incertain : parvenir à témoigner ET que ce témoignage permette la reconnaissance des atrocités subies.

Comment dès lors l’enfant victime peut-il témoigner et être entendu à la hauteur de ce qu’il a vécu ? S’il est trop déstructuré psychiquement, son récit apparaît bizarre, ses pertes de mémoire inconcevables compte tenu de la gravité de ce qu’il prétend avoir subi. S’il est trop précis dans son témoignage, sa parole est considérée comme suspecte. S’il présente des troubles post-traumatiques envahissants il sera psychiatrisé et rapidement étiqueté de telle ou telle pathologie ; s’il ne présente pas de troubles visibles, il sera soupçonné de ne pas avoir subi tout ce qu’il dit. Pour l’enfant victime le parcours s’annonce des plus douloureux tant l’incompréhension voire la contestation de ce qu’il a vécu lui est opposée.

Au final quoi qu’il dise, quoi qu’il puisse exprimer, quoiqu’il manifeste, l’enfant qui a failli être exterminé par la violence des hommes, ne réagit jamais comme la communauté des autres le voudrait. Il est alors condamné à se taire. Sortis des camps, les rares déportés qui ont tenté de témoigner se sont fait traiter de menteurs par ceux qui savaient que les camps existaient et qui, pris d’une subite et indécente amnésie, tenaient plus que tout à ce que le silence impose sa loi ; mais aussi par tous ceux qui préféreraient rester dans une si confortable ignorance coupable.

C’est le même constat pour les enfants victimes de violences et de maltraitance et les qualificatifs ne manquent pas: menteurs et des affabulateurs jusque dans les années 1990 ; ils deviennent aliénés, répétant à l’insu de leur plein grès des écrits traumatiques qu’ils n’ont nécessairement pas vécus. Ce 5 juin 2015 marque une nouvelle ère : le « syndrome d’aliénation parentale » étant désormais dénoncé par la communauté scientifique internationale qui a refusé de l’inscrire dans sa dernière classification des pathologies psychiatriques (le DSM V), c’est une autre dénomination qui s’impose, celle des faux souvenirs (déjà utilisée au XIXe siècle). Pendant trois semaines s’est déroulé à Rennes ce que de nombreuses personnes ont qualifié de troisième acte de l’affaire d’Outreau : trois des enfants reconnus victimes de viol par les assises de Douai, puis par la Cour d’appel de Paris, ont poursuivi en justice un homme qu’ils accusent de les avoir violés quand lui-même était mineur (soit des faits remontant à près de quinze ans).

Lors de son réquisitoire l’avocat général des assises, soudainement autoproclamé expert psychiatre, a établi de la seule hauteur de son prétoire, que les témoignages des parties civiles ne pouvaient pas être entendus par les jurés car il s’agissait de « faux souvenirs ». Méprisant les auditions des différents experts à forts renforts de propos disqualifiants les personnes, leur expertise et leur fonction d’expert, ce magistrat a imposé son point de vue. Cette affirmation ne s’étayant sur AUCUNE expertise récente de la parole de ces parties civiles (les dernières remontant à plus de 13 ans) et allant à l’encontre de l’état actuel des connaissances scientifiques sur la mémoire traumatique, l’avocat général n’a en fait affirmé que sa seule interprétation idéologique des récits des parties civiles. Si une telle stratégie sémantique usant de la rhétorique perverse, était attendue des avocats de la défense (qui portés par un tel soutien ne se sont même pas donné la peine de plaider), elle ne peut qu’interroger de la part d’un avocat général ; représentant du ministère public.

Que signifie l’usage de ces termes : « faux souvenirs », « enfants aliénés », « enfants menteurs » ? Que nous disent-ils du lien de notre société aux enfants et plus particulièrement du système judiciaire aux enfants victimes ? Ce que nous constatons c’est que de tels termes dénient toute possible réalité aux violences faites aux enfants; qu’ils interdisent tout témoignage, tout récit traumatique et qu’ils condamnent victimes et mis en cause à une errance réflexive (le témoignage ne pouvant s’inscrire dans aucune élaboration pensable). La dénégation du vécu traumatique des enfants maltraités, produit une nouvelle violence, celle de leur expulsion de toute.

Ce dont témoignent aussi les propos de l’avocat général c’est la permanence et la force d’une logique négationniste en France face à toutes les maltraitances et violences subies par les enfants et ce, au plus haut niveau de l’État (puisque l’avocat général le représente).

Qu’elle est donc cette France où la dictature du silence et l’interdit du témoignage s’imposent aux enfants victimes ? Quand une société ne porte plus attention à ceux qui sont son avenir, elle s’ampute de son futur. Le silence imposé aux victimes par l’état est la caractéristique des logiques terroristes et terrorisantes propres aux dictatures. C’était cela le changement ?

Ces petits d’hommes ont été massacrés deux fois par la vie : par ceux qui leur ont fait subir les pires atrocités et par ceux qui leur ont dénié le droit d’en témoigner. Si la logique judiciaire conclue à l’acquittement des mis en cause, la motivation peut être explicitée par bien d’autres raisons que celles motivées par des idéologies négationnistes qui nous rappellent combien les mécanismes de déshumanisation et leurs effets sur les petits d’homme comme les adultes restent d’actualité dans la société française.

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