15/ L’altération de la mémoire autobiographique par François Louboff

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Une réaction de stress sévère ou prolongée provoque une production importante de corticoïdes par les glandes surrénales. Leur effet toxique sur l’hippocampe entraîne l’atrophie de nombreux neurones, altérant la mémoire autobiographique (ou explicite), celle qui enregistre le contexte. Les souvenirs traumatiques ne pouvant être intégrés sont alors constitués d’images, de sensations et d’émotions intenses et fragmentaires, rarement associées à un contenu verbal, narratif qui est alors généralement assez pauvre.
Ceci semble traduire l’échec de la mémoire explicite à faire son travail d’intégration de l’événement traumatique.

La mémoire implicite reste fonctionnelle. C’est elle qui enregistre les émotions, les sensations et les réactions du corps lors de l’événement traumatique l. Si bien que plus tard, dans certaines situations, la victime pourra ressentir des émotions, des sensations et avoir certains comportements, mais être incapable d’en comprendre les raisons.
Les études faites chez des individus ayant vécu un traumatisme montrent qu’aucun d’entre eux ne se rappelle avoir pu en faire un récit cohérent, tout de suite après. Mais tous, quel que soit leur âge au moment du traumatisme, s’en souviennent au début sous la forme de flash-back émotionnels et sensoriels (images, sons, odeurs, sensations corporelles). C’est lorsque ces intrusions sont à leur maximum et que toutes les sensations apparaissent que le souvenir sous forme d’un récit peut enfin commencer à émerger.
Malheureusement, malgré le développement d’un récit de l’expérience traumatique, la plupart des victimes continuent d’en souffrir même après de nombreuses années 2
En d’autres termes, les victimes ne peuvent pas relier tous les éléments du souvenir pour les intégrer dans un ensemble cohérent, unifié, évolutif, comme c’est le cas lors d’un souvenir non traumatique.
D’où trois conséquences, confirmées par les observations cliniques :
Tenter d’accéder au souvenir traumatique, en faisant appel à la mémoire autobiographique pour créer un récit cohérent de ce qui a été vécu, ne sera pas très efficace.
Certaines sensations, identiques à celles qui ont été mémorisées lors du traumatisme, pourront permettre l’accès au souvenir : par exemple, l’odeur d’un parfum peut réactiver le souvenir d’un viol des années plus tard.
Enfin, ces souvenirs traumatiques pourront être plus facilement accessibles dans un état hypnotique, puisque l’induction hypnotique provoque un état de dissociation.

1. Van der Kolk B.A., «The body keeps the score: memory and the evolving psychobiology of posttraumatic stress», Harvard Review of Psychiatry, 1994, 1 : 253-265.
2. Van der Kolk B. A., Fisler R., «Dissociation and the fragmentary nature of traumatic memories : overview and exploratory study», Journal of Traumatic Stress, 1995, 8 (4) : 505-525.

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2/ Le rôle de la justice dans le statut de victime
3/ L’argent et les victimes de viols par inceste
4/ Enfant d’incestée
5/ Dissociation ? mais de quoi ?
6/ La dissociation est un moyen de défense du psychisme
7/ Qu’est-ce que la PE – partie émotionnelle – après un traumatisme
8/ Qu’appelle-t-on « PAN » – partie apparemment normale après une dissociation
9/ Les enfants – de victimes de viols par inceste – présentent un risque de SSPT trois fois plus important que dans la population générale
10/ Quand être victime devient une addiction
11/ Explications psychologiques de la revictimisation
12/ La fibromyalgie et le syndrome de fatigue chronique
13/ Les souvenirs traumatiques : un autre type de mémorisation
14/ La dissociation traumatique perturbe la mémorisation

14/ La dissociation traumatique perturbe la mémorisation par François Louboff

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Mais quels sont les facteurs qui influencent la mémorisation d’un événement traumatique ?
Lorsqu’une personne est confrontée à un événement traumatique, associant terreur et impuissance, sa capacité d’attention est brutalement réduite et sa capacité à percevoir ce qui se passe autour d’elle est très altérée.
Non seulement les détails perçus dans la périphérie de son champ de Vision disparaissent, mais aussi le contexte de ce qui est en train de se produire ainsi que sa perception du temps.
Par contre, son attention est concentrée sur le centre de son champ de vision à l’instant présent. Cette focalisation extrême de l’attention s’accompagne de distorsions très importantes de ce qui est perçu et ressenti, provoquant une insensibilité à la douleur, un vécu de dépersonnalisation, un ralentissement du temps et une amnésie. C’est un état dissociatif.

Les événements traumatiques ont ce pouvoir de provoquer des réactions dissociatives. Certaines personnes peuvent se dissocier spontanément face à la terreur et d’autres vont « apprendre », involontairement, à provoquer cet état, en particulier si elles sont exposées de manière répétée à des événements traumatiques.
Ces altérations profondes de la conscience au moment du traumatisme expliquent certaines caractéristiques anormales des souvenirs traumatiques. En raison de cette attention très focalisée, les sensations vécues par le corps et toutes les autres sensations (odeurs, bruits, images) vont être profondément gravées en mémoire, alors que le contexte, le vécu du temps et le récit verbal vont être faiblement enregistrés.

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