par Jacques Cuvillier, Retraité de l’enseignement supérieur
Menaces de mort, effectivement. C’est grave ? assurément. Doit-on pour autant tout prendre au premier degré sans réfléchir au contexte ?
Tout un chacun peut faire appel à son intelligence et à son cœur. A condition toutefois d’être conscient des souffrances qui ont pu conduire Chérif Delay à exprimer son trop plein de souffrance, de manière inadaptée, certes, mais sans rapport avec ce que raconte son histoire qui rend hautement improbable une réelle intention de tuer.
Revoyons très succinctement son parcours.
Le déroulement des procès de l’affaire dite d’Outreau, celui de St Omer, en mai-juin 2004 et celui en appel à Paris en novembre 2005 ont eu bien des aspects inhabituels qui posent toujours question : les enfants victimes placés dans le box des accusés, la presse mise à contribution au service de la défense 1, et au final lors du procès en appel, les conclusions tirées avant la délibération des jurés. Bien d’autres choses encore, très bien décrites dans le livre de Marie-Christine Gryson-Dejehansart 2 « Outreau, la vérité abusée, 12 enfants reconnus victimes », qui montre la manière effarante dont les enfants ont été traités, les privant pratiquement de l’écoute qu’ils étaient en droit d’attendre.
Les injustices se sont accumulées, non seulement pour tous les professionnels, magistrats, experts, travailleurs sociaux… dont la probité et la compétence ont été injustement mis en cause par une défense qui ne reculait devant rien, mais aussi pour les victimes : les enfants violés à qui le procès devant la Cour d’Assises devait précisément rendre justice.
Car il n’a pas suffi que les enfants dont personne ne conteste qu’ils ont été victimes 3 n’aient pas vu sanctionner tous leurs agresseurs. Ils ont été – et continuent – à être traités de menteurs et de mythomanes. Il faudrait qu’on m’explique pourquoi, au nom de la justice rendue, un acquitté doit être réputé innocent – ce que je trouve régulier – mais qu’une victime reconnue comme telle soit réputée menteuse. Y aurait-il deux manières de considérer une décision de justice ?
Après des années de souffrance et de galère, l’aîné de ces enfants, Chérif Delay, a eu la force de caractère de prendre la parole, celle-là même qui était au-delà de ses forces d’enfant lors du procès, pour dire « je suis debout » dans son livre avec Serge Garde 4.
Un livre poignant dans lequel il règle des comptes d’abord avec lui-même, s’accusant de ne pas en avoir fait assez pour protéger les autres. Dommage que dans les différents interviews de Chérif, la quasi totalité des questions aient seulement porté sur deux pages de son livre, traitant de l’attitude raciste et des viols du père. Ne voulait-on rien laisser paraître des 182 autres ?
Ce livre a été très largement commenté, commentaires dithyrambiques, mais aussi commentaires assassins, d’un parti-pris outrancier, occasion de nouvelles souffrances. Toute personne qui a déjà éprouvé l’effet déstabilisant d’un lynchage public sait ce qu’il en coûte. Qui a décidé de faire craquer Chérif et dans quel dessein ? Et pour comble de cruauté, un frère de Frank Lavier est venu faire un scandale lors de la signature officielle de son livre, devant les caméras de France 3 en le traitant de menteur.
De nouvelles poursuites, avec encore un procès, est-ce la solution pour un être qui cherche au travers de son action à défendre toutes les victimes que la pratique judiciaire – confortée désormais par le « mythe d’Outreau » – laisse au bord du chemin ?
C’est de soutien que Chérif a besoin, bien plus que de poursuites, bien plus que de propos injurieux. Un soutien en rapport avec les défis qu’il lui faut relever. Les innombrables articles de presse et les posts en ligne qui pleuvent depuis hier – 4 juin – répercutent le scandale d’une « menace de mort » Mais il s’agit en réalité d’un cri de douleur qui ne justifie sans doute pas pour Chérif une ultime épreuve.
1 Voir mon blog : Les médias peuvent-ils altérer le fonctionnement de la justice ?
2 Éditions Hugo et Cie
3 Ils ont d’ailleurs été indemnisés à ce titre même s’il s’agit d’un montant bien moindre que pour les acquittés
4 Éditions Cherche Midi
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• 14 mai 2011 à 19:35 sur FR3 – Chérif Delay agressé par Laurent Lavier lors d’une signature de son livre « Je suis debout »
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