Outreau : le procès de Daniel Legrand fils devient celui des enfants violés 2 juin 2015 | Auteur Jacques Thomet

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Un malaise palpable a gagné les assises de Rennes où le procès de Daniel Legrand fils devient en filigrane celui des enfants violés, aux yeux des connaisseurs du dossier.

Après ses frères Jonathan et Chérif, Dimitri Delay a accusé lundi le fils Daniel Legrand de l’avoir violé à Outreau quand ils étaient mineurs, mais le déroulement des audiences fait la part belle aux adultes acquittés à Paris en appel en 2005 après le premier procès de Saint-Omer en 2004.

5 des 13 accusés acquittés de l’époque ont été invités à témoigner lundi. Ils ont tous entonné le même refrain : je ne connaissais pas le fils Legrand, il ne s’est rien passé chez Thierry et Myriam Delay (deux des quatre condamnés à Outreau), et je n’ai violé personne.

Karine Duchochois a conclu que les enfants avaient menti, et les autres, David Brunet, Thierry Dausque, Sandrine et Franck Lavier l’ont laissé entendre en disqualifiant leurs procès, comme si 12 mineurs n’avaient pas été reconnus comme victimes de sodomies et indemnisés en 2005. D’autres adultes acquittés viendront témoigner les prochains jours, dont l’huissier de justice Alain Marécaux, l’abbé Dominique Wiel et Roselyne Godard « la boulangère ».

L’apogée du malaise ambiant a été atteinte avec le témoignage sans précédent de l’avocat général aux assises de Paris en 2005, Yves Jannier. Les avocats de la partie civile, Lef Forster et Patrice Reviron, se sont insurgés contre l’invitation faite à ce magistrat, aujourd’hui procureur à Pontoise et avocat général à Versailles, par… le propre avocat général de Rennes, Stéphane Cantero, donc normalement en charge de l’accusation au nom du ministère public.

« N’est-ce pas une irrégularité de procédure que de vous convoquer ? », s’est interrogé Me Forster. Un duel à fleurets mouchetés s’est alors emparé du prétoire. Me Reviron a marqué sa surprise : « jamais je n’ai vu un avocat général d’une affaire jugée venir témoigner devant des assises (où comparaît à nouveau l’un des accusés acquittés) ».

Sans aucune gêne, Yves Jannier a assuré que « ces gens étaient innocents », que le père de Daniel Legrand (l’un des acquittés) « n’avait rien à faire dans cet endroit-là » (les assises), et que pour parvenir à cette conclusion, il s’était livré à un « exercice acrobatique pour demander l’acquittement des accusés. » Personne n’a compris son bricolage de type aérobique.

Quand la partie civile a mis le doigt sur les incohérences de ses déductions argumentées, il s’est contenté de botter en touche,  avec des réponses lapidaires : « je n’en sais rien… je n’en dirai pas un mot… je ne me souviens pas » Le sommet de son amnésie à l’heure de justifier sa conclusion sur « l’innocence » des accusés a été atteint à propos d’une phrase prononcée par lui en audience à Paris. L’avocat de la défense Frank Berton l’a alors interpellé à propos « du livre du pseudo journaliste Thomet » et de ma citation d’une intervention de M. Jannier en audience quand il avait demandé à un enfant violé s’il ne l’avait pas été par un extra-terrestre. « Je m’en fiche de Thomet, je n’ai pas lu les livres, je n’ai pas le temps ». (Je rappelle que dans mon livre « Retour à Outreau », je cite Yves Jannier comme auteur de cette phrase, mais avec le mot « Martiens », rapporté par un témoin présent aux assises). Le magistrat a alors assuré « ne pas en avoir le souvenir », mais sans démentir ce que j’ai écrit noir sur blanc.

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Le procès de Daniel Legrand au terme de la deuxième semaine par Jacques Cuvillier

logovjlundi 1er juin 2015
Au terme de la deuxième semaine du procès Daniel Legrand, les personnes qui, à Rennes, suivent avec attention les audiences du procès sont d’abord frappées par le comportement des journalistes et la manière dont ils recherchent leurs cibles. Les articles et reportages sont à l’avenant. À les suivre, tout semble déjà plié. Apparemment, ils le savent.
Les temps forts du procès – très importants pour la partie civile – ont été concentrés dans les premiers jours d’audience, quels effets en restera-t-il à la fin après le défilé des témoignages qui laissent au second plan les victimes dont le temps de parole semble bien réduit comparé à ce qui est réservé aux témoins de la défense ?
Je livre ci-dessous les points qui ont retenu mon attention et qui viennent compléter tout ce que le lecteur peut lire dans une presse qui ne dit pas tout. Mais aussi sur les sites qui restituent intégralement la prise de notes [1]

Mardi 26 mai

Mardi matin, l’on espérait entendre Dimitri. Mais il n’était « pas en état », il semble qu’il soit à ce moment revenu à on sentiment premier qui est de ne pas prendre part à « cette mascarade » pour ce qui est du cas des victimes.
C’est la psychologue Hélène Romano, Docteur en psycho-pathologie clinique et auteure de plusieurs ouvrages connus, très au fait de l’état des recherches sur la mémoire traumatique qui vient à la barre et expose quelques notions sur ce qui fait que le cerveau organise la mémoire pour en quelque sorte panser les blessures. Ces notions ne peuvent être ignorées lorsque l’on écoute et que l’on tente de comprendre la manière dont une victime de faits traumatisants expose ses souvenirs. À l’inverse, un récit construit et convaincant de la part de l’enfant aurait été plus probablement un signe de mythomanie.
L’Avocat Général introduit la théorie des « faux souvenirs », terme plus usité dans les prétoires que dans les cabinets de psychologie. Pour la psychologue, même si ce qui subsiste des souvenirs peut parfois amener à certaines confusion : « s’il y a plusieurs agresseurs, le nom qui revient est celui qui a le plus marqué » « l’agresseur féminin peut être rappelé comme un homme » le mot « faux » est impropre.
Puis l’audience prend une tournure inattendue, mais à laquelle les soutiens de la partie civile s’attendaient : du banc des avocats de la défense, les attaques ad hominem à l’encontre de ceux qui soutiennent les victimes, invectives à des personnes se trouvant dans la salle d’audience, comme si le procès n’était pas celui de Daniel Legrand mais le leur. Pour la première fois depuis le début du procès, le ton est monté.
Après la déposition de Laurence Graton, le ton monte encore. Cette personne, bien que peu fortunée a permis à Chérif Delay d’obtenir un billet d’avion pour son retour d’Algérie, l’a hébergé bénévolement à son domicile. Ses frères ont aussi été hébergés chez elle à diverses occasions. Ayant consacré quelque deux années de sa vie à la fratrie, elle est connue pour avoir exprimé sur son blog sa connaissance de l’affaire – non sans une certaine révolte compte tenu des souffrances dont elle était témoin. Elle assure avoir pu détourner Chérif de ses projets de vengeance à l’égard de plusieurs des acquittés.
L’après-midi, Homayra Sellier – Présidente de l’association « Innocence en Danger » était entendue.
Après s’être présentée et avoir donné quelques éléments sur son organisation, elle dénonce la « jurisprudence Outreau » qui pousse selon elle à ce que l’on ne croit plus les enfants victimes.
Elle évoque la situation pitoyable des enfants Delay lorsqu’elle les a rencontrés :
« Il a fallu leur trouver un toit, et ce sont des amis qui hébergent et aident ces enfants »
« le calvaire de ces enfants pendant toutes ces années est quelque chose qui ne peut se raconter »
« je n’ai aucun intérêt autre que d’aider ces enfants à retrouver leur dignité. Ces garçons ont fait preuve d’une immense résilience et d’un immense courage ».
Elle relève que les médias ont jusqu’à une date récente laissé complètement de côté le sort de ces victimes.
Sur le fait que l’on accuse son organisation d’avoir enclenché ce procès, (mais quel pouvoir a une quelconque association en la matière ? ) elle indique avoir simplement posé une question au procureur de Douai et avoir appris ensuite que ce volet serait audiencé. Répondant au Président, elle dit tout ignorer des démarches de FO Magistrats.
L’avocat général en vient au film de Serge Garde « Outreau, l’autre vérité »
H. Sellier confirme que IED sur la base de dons, a bien financé à 70 % la réalisation de ce film.
Je ne détaille pas ici les échanges qui ont eu lieu sur la réalisation de ce film qui dérange. Tout ce qui a été dit à ce propos est non seulement outrancier, mais tout simplement hors sujet. Une fois encore, c’est le procès des parties civiles qui reprend, ce qui démontre en vraie grandeur le phénomène dénoncé par ceux qui, parce qu’ils en font état, sont désignés comme « activistes » ou par d’autres épithètes. Si l’on s’acharne sur ceux qui ont livré au public des aspects authentiques mais méconnus de l’affaire, que dire de « Présumé coupable », un film de fiction celui-là, mais présenté comme une histoire vraie (dans quel dessein ?) lorsqu’il est passé sur France 3, et doit-on faire le procès de tous ceux qui ont écrit – et écrivent encore – des inepties sur l’affaire d’Outreau sans rien connaître du dossier ?
Frank Devulder, enquêteur, expose la façon dont les enfants Dimitri et Jonathan, dans deux voitures différentes, ont reconnu en Belgique les n° 87 et 81 de l’avenue Menenstraat à Zonebeeke Geluveld. Les enquêtes côté belge qui ont fait l’objet semble-t-il de deux commissions rogatoires et portant sur des aller-venues n’ont rien donné. Il faut dire que l’enquête dans sa seconde partie n’a pas été encouragée par les enquêteurs français qui, dans une conversation consignée côté belge (au grand dam des enquêteurs français qui ne l’avait pas prévu), ont pratiquement fait savoir qu’il n’y avait plus rien à chercher : « tout a été inventé ».
Me Reviron, sur la base de cette enquête et des déclarations des enfants et de Myriam Badaoui met en exergue les éléments précis et concordants. Un homme jeune propriétaire des lieux, présence d’un matelas… etc.
Par ailleurs, le dossier dans un P.V. d’audition du 13 novembre 2001 indique bien un bâtiment « loué à Daniel Legrand ». On pourra s’étonner de ne rien entendre d’une investigation qui aurait pu être menée sur la transaction.
L’audition de Thierry Delay se révèle à priori fort décevante du fait d’une mémoire défaillante. On voit apparaître une ligne de défense simple et efficace si toutefois la Cour veut bien se contenter de peu : en dehors de ce qui est formellement acté, notamment les viols des enfants Delay par leurs parents, on constate une mémoire à géométrie variable qui permet d’éviter les questions embarrassantes, et une phrase que l’on entendra dans la suite des dépositions un nombre incalculable de fois : « J’ai menti », « elle a menti », « c’est des mensonges »
Le caméscope, les cassettes adaptées à ce caméscope jamais retrouvées, l’usage du crédit de 25000 euros, la réfection des balcons de l’appartement Delay par l’entreprise de Daniel Legrand, la cour restera sur sa faim. Sur cette dernière question, a-t-on fait parler les archives de l’entreprise et du syndic de l’immeuble ?
Me Reviron attire l’attention sur les enveloppes de deux lettres écrites par Thierry Delay et la manière curieuse dont ont été rédigées les adresses, au trace-lettres (normographe) et avec un stylo différent de celui utilisé par Thierry Delay. Réponse de Thierry Delay : « Les lettres, c’est moi tout seul ».
Il ment pas…
Une réponse à Me Forster – avocat de Chérif – vient mettre un peu de surprise (enfin ) dans ce tableau :
Me Forster : « Tout ce que dit Dimitri est-il faux ? »
T. Delay : « pense pas… Il ment pas… »
Talents cachés
Surprise (et un peu d’amusement) quand Me Delarue donne lecture d’une lettre fort bien tournée, visiblement rédigée par une personne coutumière de la correspondance. C’est une lettre censée être écrite par T. Delay à Myriam Badaoui…
Projection des enregistrements vidéo des auditions de Jonathan et de Chérif
Cette projection a révélé la spontanéité et la précision avec laquelle les jeunes enfants décrivent les faits dans le détail. Ces visionnages qui n’avaient pas été prévus ont été demandés par Me Reviron. Ils se révèlent très importants car ils permettent une approche réelle de ces déclarations – avec tout le pouvoir de conviction qui s’en dégage – ce qui ne peut se comparer à la lecture de passages des cotes du dossier. On entend notamment chérif déclarer à l’officier qui l’interroge « c’est Dimitri qui connaît leurs noms » . Malheureusement, la cassette de Dimitri ne sera pas visionnée, à l’étonnement des observateurs présents.

Mercredi 27 mai

L’audition de Myriam Badaoui était un moment très attendu dans ce procès à en juger par le nombre et l’activité des gens de la presse.
L’arrivée sous protection de l’intéressée (tiens tiens, l’arrivée sous protection du juge Burgaud à Saint-Omer avait provoqué des sarcasmes) son accoutrement surprenant avec une capuche et un voile, les larmes et les reniflements, tout donnait un côté dramatique à la prestation.
On efface tout ou presque
La ligne de défense semble comme coulée dans un moule en granit. « J’avais très peur » (de Thierry Delay) « j’étais sous emprise » « j’ai menti » « je ne veux plus mentir », « j’ai dit n’importe quoi » « ça ne me dit rien »
Burgaud, le joker
Pour tout ce qu’il y a d’embarrassant, c’est le juge Burgaud qui semble résoudre le problème : « plus je disais, plus le juge était content ». À l’écouter parler, on pouvait fort bien imaginer un tête à tête un peu trouble entre un juge et une mythomane propulsée dans ses délires par une personne qui lui donne une l’importance inespérée. Qu’une réponse pose problème, c’est le juge qui l’a suggérée, bien sûr, ou qui lui a fait comprendre que la réponse donnée n’était toujours pas la bonne : « il tapait du poing sur la table ». Sauf que les auditions n’étaient pas en tête à tête. Il y avait aussi le greffier P. Duval, un conseil, Me Deham puis Me Pouille, et Fabrice Burgaud prenait soin de faire noter éventuellement toute entrée ou sortie d’avocat dans son cabinet. Des pressions aient-t-elles pu s’exercer sur sa cliente sans que l’avocat, l’avocate s’en saisisse ?
Une déclaration spontanée était d’ailleurs totalement imprévisibles par le juge, lorsque Myriam Badaoui a repéré dans le couloir une femme, Mme Danger, et qu’elle a désignée comme faisant partie du réseau, et il s’est avéré que cette femme était bien impliquée dans une affaire de nature comparable.
Les silences plus éloquents que les paroles
Il est vraiment curieux de voir que malgré tout ce qui a été entendu des victimes, malgré le visionnage des enregistrements des auditions des enfants, leurs déclarations sont prises avec des pincettes, alors que quand une criminelle – qui déclare avoir énormément menti – se prononce sur la non-implication de Daniel Legrand, la cause semble entendue et les médias en font immédiatement état. Daniel Legrand serait donc déjà – à lire certains titres – « entièrement disculpé ». Elle l’a dit, c’est que c’est vrai.
L’audition a pourtant connu des silences qui ont dû lui sembler longs, tant dans les échanges avec le Président que lors des questions des avocats qui sont revenus sur les points délicats. Myriam Badaoui est à la peine à propos de la Belgique où elle n’est « jamais été ». Mais les déclarations précises de l’époque ne vont pas en ce sens et le président finit par lui signifier que ses « n’importe quoi » montrent quand-même « une certaine cohérence » .
Le Président révèle que l’on a jamais demandé à Dimitri qui était Daniel Legrand dont il parle.
S’adressant à Myriam Badaoui : « Daniel Legrand, c’est vous qui en parlez la première. D’où cela sort ? » et après une description abondamment détaillée tirée des cotes du dossier :« Des phrases construites, des situations, cela ne s’invente pas… »
Moment embarrassé quand, après avoir laissé entendre que cela ne peut venir que du juge, on atteint la limite de ce qui peut être cru.
Sur le meurtre de « la » petite fille La déclaration de Myriam Badaoui s’inscrit totalement dans la ligne de défense connue : « Daniel Legrand m’a tendu un piège ». Or dans les détails de l’interrogatoire figurent des éléments qui ne sont pas dans la lettre de Daniel Legrand. On assiste alors à un nouvel embarras qui se traduit par une déclaration affirmant que cette description s’inspirait de ce qui lui avait été dit.
La déposition d’Aurélie Grenon et celle de Thierry Dausque ne réservent pas de surprises particulières. La stratégie est la même : « je l’ai accusé à tort, » « je regrette d’avoir menti ». « tout est faux » On peut se demander à ce stade si l’audition de tous les témoins prévus peut encore apporter quelque chose.

Jeudi 28 mai

Dans l’audition de Fraçois-Xavier Masson, de la P.J. de Lille, il a été beaucoup question de la piste belge et du meurtre de la fillette. Le schéma souvent entendu qui suggère que l’affaire d’Outreau impliquerait un noyau de quatre personnes auquel des noms seraient ajoutés suite à des affabulations n’est pas l’hypothèse de travail des enquêteurs. Ceux-ci ont fait porter leurs efforts sur huit personnes dénoncées par les enfants et par au moins trois adultes.
A l’inverse du témoignage de l’OPJ J.Y. Boulard, Le policier évoque un dossier dont des éléments « sonnent tout à fait vrai ». Mais comme déjà entendu à l’audience, l’enquête aurait perdu en activité début 2002 à la suite de doutes « A ce moment-là, on ne croit plus à la piste belge, au réseau pédophile et au meurtre ». Note : on peut sans doute faire le lien avec cette conversation téléphonique consignée en conclusion du dossier belge entre un enquêteur belge et l’OPJ J.Y. Boulard qui aurait dit « que tout était inventé ».
On doit aussi regretter que Dimitri n’ait jamais eu à s’expliquer sur le « Dany en Belgique »] dont il avait parlé, ou que l’affaire Rudy L ait été classée alors que les Legrand père et fils étaient mis en cause : « on a peut-être eu tort, mais on n’a pas pris ça vraiment au sérieux ».
La question est aussi de savoir si le meurtre a vraiment été pris au sérieux malgré une enquête officiellement close en 2005. Selon le policier, les deux garçons Delay qui en parlaient ne décrivaient pas le même enfant. (Si meurtre il y a eu, faut-il en conclure qu’ils ne parlent pas du même ?) Toujours est-il que le policier convient avec Me Reviron qui évoque une note d’Interpol faisant état de deux fillettes nées en 1996 et enlevées en Belgique, que ce n’est pas l’absence de cadavre qui établit l’absence de meurtre.

Les dépositions des experts

Marie-Christine Gryson, expert installée en libéral, expose ce qu’est réellement une expertise psychologique, ce qui semble très important pour ceux qui auraient tendance à confondre ces travaux d’analyse avec ceux d’un examen psychologique banal. L’analyse telle qu’elle en parle dans un résumé » comporte plusieurs parties interdépendantes par exemple quand on étudie la cohérence du récit, c’est, au niveau de la psychologie infantile, au niveau de la spécificité du récit de l’enfant, au niveau de la victimologie infantile, au niveau du dossier. L’expert expose en détail la façon dont ses travaux ont été conduits avec les enfants Delay. Il en est ressorti que les enfants ne cherchaient pas à dénoncer telle ou telle personne de manière systématique, mais lorsque des noms apparaissaient, c’était en émergence spontanée, ils revivaient les faits. L’expert fait état des preuves qui invalident les suspicions de partialité qui avaient été produites sur interpellation de Me Berton, avocat de la défense lors du procès de Saint-Omer et qui se sont révélées infondées voir le communiqué de presse qu’elle a fait passer à l’AFP mais qu’aucun média n’a publié, le Président lui fait savoir que la chose est quand-même versée au dossier.
Jean-Luc Viaux de son côté, se montre prudent, plus en retrait. Il semble en quelque sorte faire amende honorable en contredisant son expertise précédente. Il est remercié pour son humilité…

Vendredi 29 mai

Madame Bonaffé a expertisé les enfants en urgence durant le procès. S’écartant de sa seule mission d’expertise psychologique, elle intervient comme un témoin à décharge dans la mesure où elle dit que les enfants ne lui ont jamais parlé de Daniel Legrand « il y avait quand même une palette assez large de noms cités et Monsieur Legrand n’est jamais apparu » Par contre, elle évoque des faits de proxénétisme lorsqu’elle révèle que Dimitri lui a parlé de l’argent que sa mère recevait quand quelqu’un le violait. Elle révèle aussi que Dimitri et Jonathan ont parlé d’autres personnes que leurs parents et que Dylan a même désigné « de manière précise », l’un des acquittés.
Au sujet des victimes, elle s’en prend à ceux qui les soutiennent et qu’elle ne connaît pas. Ne faisant pas état de tout ce qu’ils leur ont apporté, elle leur reprocherait plutôt de gêner leur évolution.
Madame Bonaffé aussi bien que Mr Viaux n’écartent pas la possibilité de « contaminations », ce qui porterait atteinte à la validité de déclaration des enfants. Je garde toutefois à l’esprit que lors de l’instruction, dans les dates successives des auditions, les déclarations des enfants viennent en premier.
Lors des précédents procès, les experts qui avaient travaillé chacun de leur côté avaient déposé sous serment des conclusions qui allaient dans le même sens. Ils n’ont pas fait d’autres expertises qui permettraient de modifier les conclusions qui se dégagent des premiers travaux. Aujourd’hui, seule Madame Gryson assume courageusement la position à laquelle ses travaux l’avaient conduite.
Daniel Legrand confronté à ses aveux
L’audition de l’accusé ne surprend pas dans sa démarche, à laquelle on pouvait s’attendre au vu de toutes les déclarations entendues dans les médias. Elle surprend toutefois par l’audace de sa ligne de défense ( : sa conduite s’expliquerait par le fait que des co-détenus lui auraient conseillé de s’accuser pour « aller dans le sens de la justice » . Inutile de préciser que cette démarche oblige à un certain nombre de concessions sur ce qui découle des interrogatoires. Peu de journalistes ayant accès au dossier se sont exprimés sur la cohérence – que le Président a d’ailleurs relevé lors de l’audition de Myriam Badaoui – entre les « n’importe quoi » dont certains sont fort précis et détaillés. Mais l’oralité des débats qui ne permet que des citations relativement courtes des cotes du dossier fait-elle bien apparaître toutes les contradictions ?
A moins que j’aie loupé quelque chose, je n’ai pas entendu parler des révélations faites par Daniel Legrand au psychologue Michel Emirzé.
Ainsi, Myriam Badaoui a dû deviner qu’il y avait un Legrand Père quadragénaire et un fils du même nom sans les connaître « ni d’Eve ni d’Adam » . Daniel Legrand dit simplement « j’ai pas compris comment elle a pu dire ça » Elle a dû aussi deviner que le fils portait « une longue mèche ». Il ne faut pas insister non plus sur les reconnaissances des enfants sur photo telles qu’elles sont consignées dans le dossier.
Un moment de gêne quand, après cette déclaration : « J ’ai fait la lettre pour l’accabler pour qu’elle retourne en prison, parce qu’elle était coupable », le Président demande : « comment saviez-vous que A. Grenon était coupable ? » Daniel Legrand évoque l’influence des médias, mais qu’en avaient déjà dit les médias à la date de cette déclaration ?
En fait, malgré sa limitation dans le temps pour raisons médicales, l’écoute de Daniel Legrand n’aura pas été sans intérêt. On peut regretter que sa condition de victime, entendue à plusieurs reprises à la barre, et qui aurait pu être actée à sa décharge n’a pas du tout été abordée. Ses avocats estiment peut-être ne pas en avoir besoin.
Le Dr Frédéric Leclerc Médecin de famille des Delay, c’est pour la partie civile un témoin important car il a été mis en cause par plusieurs enfants. Malgré les visites à leur domicile, tous les mois, il n’a pas repéré la vitrine avec les cassettes pornographiques. il n’a jamais soupçonné d’abus sexuels chez les enfants Delay, ni de signes de maltraitance. On sait pourtant que Jonathan a été hospitalisé de nombreuses fois avant ses 1 an. Le Dr Leclerc qui a reconnu accéder à des sites pornographiques a été interrogé sur des images pédopornographiques qu’il était soupçonné détenir. Mais son ordinateur n’a pas été saisi, il n’y a pas eu d’enquête.L’Avocat général, qui aurait pu l’interroger sur le manque de signalements lui demande dans une attitude curieuse s’il était « le médecin d’un réseau pédophile » et s’il était « protégé par la police ».

Dernières informations : On se demande en cette fin de semaine si Dimitri Delay sera entendu. S’il ne l’était pas, on aurait un procès dans lequel l’une des parties civiles ne s’exprimerait pas. L’ordonnancement de l’agenda a regroupé les temps forts des victimes en tout début de procès, alors que celles-ci n’ont pas le sentiment que les derniers témoins cités par la défense interviendront en leur faveur ! Les trois témoins qui seront appelés à la barre tout en fin de parcours sont les experts Pizard, Pourpoint et Van Gysen. Seront-ils les « Bensoussan » de ce procès ?
Conclusion Ce procès était attendu non dans l’espoir de mettre une personne de plus en prison, mais d’assainir ce qui subsiste des procès précédents, ce spectre toxique qui empoisonne les affaires où des victimes d’abus sexuels de toute nature essayent de se faire entendre. Les conclusions qui seront tirées, et la façon dont elles l’auront été seront examinées dans les années qui viennent avec une distance et une objectivité croissante. De leur sagesse et leur bien fondé dépendra la confiance que la justice parviendra à restaurer de la part des victimes de crimes sexuels. Après décantation des passions, nul doute que les rôles respectifs de tous les protagonistes, police, justice, médias, associations, pouvoir politique et groupes d’influence… seront mis en lumière. Espérons qu’elles ne susciteront pas dans l’avenir cette question sans réponse : « comment ont-ils pu …? »
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