Outreau : « l’arbitraire » du ministère public dénoncé par les avocats des enfants violés au procès Legrand fils

Logo Un journalisme d'investigation4  juin 2015 | Auteur

Une virulente attaque a été lancée mercredi aux assises de Rennes contre le ministère public, accusé par les avocats de la partie civile « d’arbitraire, de destruction de l’État de droit », et d’être « sorti de la route » dans sa conduite du procès Daniel Legrand fils dans le dossier Outreau.

Ces gravissimes mises en cause de deux avocats généraux par les défenseurs des enfants violés, pendant leurs plaidoiries, n’auront pas manqué de frapper les jurés appelés à se prononcer vendredi sur une éventuelle condamnation de l’accusé dans leur délibéré.

La première victime de ce tir de barrage n’est autre que Jean-Jacques Zirnhelt, pour son témoignage à la barre la veille. Actuellement procureur de Pontoise et avocat général à Versailles, il a été procureur général près la cour d’appel de Douai en 2004 à 2011.

C’est à ce titre qu’il avait hérité de l’ordonnance de renvoi de Daniel Legrand fils devant les assises des mineurs, décrétée en 2003, pour les crimes de viols présumés commis par lui contre des enfants quand il était lui-même mineur. L’accusé avait été acquitté en 2005 avec 12 autres adultes aux assises de Paris dans la même affaire d’Outreau pour de présumés crimes de viol quand il avait déjà la majorité légale.

Dans son intervention, M. Zirnhelt a révélé avoir annoncé en 2006, dans une réunion avec les avocats de la défense aux procès d’Outreau, en l’absence de leurs collègues de la partie civile, qu’il « n’avait pas l’intention d’audiencer ce procès » aux assises des mineurs.

« Compte tenu des épreuves subies par les enfants qui avaient vu leurs parents condamnés, et du fait qu’en appel à Paris ils n’avaient pas parlé, j’ai pensé que ce ne serait pas bon pour eux qu’ils reviennent devant une cour d’assises », a-t-il précisé avant d’assurer que « jamais il n’avait pris une telle décision (dans sa carrière) ». Parmi les avocats présents à cet accord secret, dénoncé à Rennes par la partie civile, figuraient Eric Dupond-Moretti, Frank Berton et Hubert Delarue, à nouveau sur le banc de la défense à Rennes.

Le procureur a affirmé avoir communiqué son « intention » à sa hiérarchie, et n’avoir pas le souvenir d’une réaction de celle-ci. Il a aussi confessé « ne pas en avoir informé son successeur à Douai, Olivier de Baynast, pour la raison que « ce n’était pas un dossier d’actualité »

Dans sa plaidoirie, Yves Moneris, avocat de la partie civile, a qualifié ce refus d’audiencer le procès Legrand fils d’être « tout sauf légal », et d’une volonté de « faire un enterrement de première classe de ce procès » avec la décision de M. Zirnhelt de « n’avoir rien dit à son successeur ». Convoqué comme témoin à Rennes, Olivier de Baynast a refusé de s’y rendre, pour des raisons non expliquées.

La mise au congélateur de ce dossier a déclenché l’ire de Lev Forster, autre avocat des enfants violés. « C’est l’arbitraire, la destruction de l’État de droit », s’est-il écrié.

L’autre cible, dans la vindicte des avocats de la partie civile, aura été l’avocat général Stéphane Cantero, représentant du ministère public à Rennes. Son obstination permanente à intervenir à décharge, depuis le début du procès, s’est encore concrétisée mercredi avec son invitation à témoigner par visioconférence depuis Montréal, faite au psychologue Hubert Van Gijseghem.

Le président des assises, Philippe Dary, a déclenché une nouvelle levée de boucliers dans la partie civile en révélant que ce psychologue canadien avait reçu un mail de l’avocat général Cantero lui expliquant les raisons de cette invitation.

« Monsieur le procureur, vous êtes sorti de la route », s’est insurgé Me Moneris. « Moi, je n’ai pas le droit de parler à un témoin quand je le cite ». Son collègue Lev Forster a également moqué cette initiative de M. Cantero : « si on doit faire venir un spécialiste en lui disant ce qu’il a à dire… », a-t-il ironisé, avant de tourner en ridicule les théories du psychologue canadien,

Selon ce dernier, « la parole d’un enfant victime ne doit pas être recueillie dans un endroit confortable, mais au contraire dans un lieu qui inspire le respect et l’autorité. Le mineur doit donc se rendre immédiatement à la police, seul, et ne pas être accompagné ». Cette méthode a été brocardée par Lev Forster : « vous imaginez un enfant qui vient de se faire violer se rendre par ses propres moyens au poste de police ? »

Ces deux premières plaidoiries de la partie civile, qui se poursuivront demain, ont longuement commenté le cas de Daniel Legrand fils et démontré que l’accusation tenait contre lui, notamment à partir de ses aveux et des dénonciations incontestables des enfants.

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Outreau : le taxi Martel, l’un des acquittés, a été convaincu de mensonge au procès Legrand fils

Logo Un journalisme d'investigation2 juin 2015 | Auteur

Un coup de théâtre a mis fin mardi à l’audience délétère du procès Daniel Legrand fils, avec un ministère public oeuvrant à décharge, grâce à la preuve apportée par la partie civile sur un mensonge du taxi Pierre Martel, l’un des 13 acquittés, à propos de l’accusé.
Comme tous les autres acquittés qui ont défilé comme témoins depuis lundi aux assises de Rennes, Pierre Martel a déclaré qu’il ne connaissait pas le fils Legrand avant l’affaire d’Outreau, déclenchée en janvier 2001.
Mis sur le grill par les avocats de la partie civile, qui représentent 3 des 12 enfants victimes de viols à l’époque et reconnus comme tels au procès de Paris 2005, M. Martel a reconnu avoir signé une déposition en 2002 devant 4 policiers, où il affirmait qu’il connaissait le fils Delay et l’avait pris dans son taxi, « pas plus de trois fois ». Le fils Legrand avait affirmé, lui, n’avoir jamais pris de taxi et ne pas connaître ce chauffeur.
Tout à coup, Pierre Martel a assuré mardi à la barre qu’il avait paraphé à l’époque ce texte « sans le lire, sans qu’on l’y force », mais qu’en fait il n’avait pas alors avoué ce qui était écrit, au terme d’une confrontation avec l’homme aujourd’hui dans le box des accusés.
Son revirement a déclenché un hourvari entre les avocats des deux parties. Me Lev Forster, pour la partie civile, a alors menacé de demander une confrontation entre Martel et les quatre policiers pour tirer au clair cette contradiction.
Devant la menace de Me Forster de faire acter cette contestation par le président de séance, le taxi Martel a finalement avoué avoir bien dit « oui, je le connaissais » aux policiers avant de signer sa déposition.
Cet incident n’aura rien d’un détail aux yeux des jurés appelés à se prononcer sur la culpabilité de Daniel Legrand fils samedi, au terme de trois semaines de procès. Il est accusé de viols sur des mineurs quand il était lui-même mineur entre 1997 et 1999.

Depuis le début des assises de Rennes, la défense a pris le parti de repeindre Outreau en rose pour les acquittés avant leur arrestation, de toucher la corde sensible de leur détention avant leur remise en liberté, de les amener à critiquer le juge Fabrice Burgaud, et d’impressionner le jury avec les larmes que tous ont fini par verser, à de rares exceptions près.
Ont donc témoigné entre lundi et mardi, dans l’ordre :
• David Brunet,
• Sandrine Lavier,
• Karine Duchochois,
• Thierry Dausque,
• Franck Lavier,
• Roselyne Godard,
• Alain Marécaux,
• Odile Polvèche (ex-Marécaux),
• Dominique Wiel,
• Pierre Martel.
C’est cette même défense qui a décidé de tous les convoquer, alors qu’ils ont tous affirmé ne pas connaître Daniel Legrand fils, pour refaire le procès d’Outreau à leur profit et lever les derniers doutes, s’il en restait, sur leur innocence. Les jurés auront pu se demander, comme la partie civile le leur faisait remarquer, pourquoi ils étaient venus devant eux clamer l’innocence d’un accusé qu’ils n’avaient jamais rencontré, à l’exception donc du taxi Martel. Aucun d’entre eux, sauf Franck Lavier, n’avait vu quelque chose d’anormal se passer chez Myriam Badaoui et Thierry Delay, selon leurs déclarations à la barre, alors que le couple a été condamné à de lourdes peines de prison pour viols de mineurs.
Cette stratégie, loin d’être contrée par le ministère public en charge de l’accusation, a obtenu l’appui implicite de l’avocat général Stéphane Cantero, habile à ne pas relever les contradictions entre les déclarations des acquittés à Rennes et les aveux de certains d’entre eux à l’époque.