Ces affaires de pédophilie qui empoisonnent la France

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mercredi 6 avril 2016
L’émission « C dans l’air » épinglait hier les institutions de l’Hexagone qui entravent les dénonciations, parmi lesquelles, l’Ordre des médecins
« Existe-t-il une omerta (en France) au sein de l’Église et de l’Éducation nationale sur les affaires d’abus et de crimes sexuels ? Comment mettre fin aux scandales de pédophilie ? », c’est par cette question que l’une des émissions phare de France Télévisions, « C dans l’air », lançait hier soir sa réflexion.

Facteur déclenchant de la discussion, comme l’explique le texte d’amorce du magazine quotidien sur sa page internet, l’affaire Romain F. : « les faits avaient choqué tout le pays et ébranlé l’an dernier l’Éducation nationale. Le directeur d’école de Villefontaine dans l’Isère, Romain F., 46 ans, avait été mis en examen et écroué pour des viols commis sur des élèves – la justice évoque plus de 60 victimes potentielles dans différents établissements scolaires où a officié l’enseignant. Incarcéré à la prison de Lyon-Corbas, il a été retrouvé mort ce mardi, pendu dans sa cellule. »

■ L’Éducation nationale

« C dans l’air » rappelle alors les cafouillages sans précédent entre les ministères de la Justice et ceux de l’Éducation nationale qui avait conduit l’Éducation nationale à maintenir en poste le prédateur. « Un loupé qui avait semé effroi et colère. La ministre Najat Vallaud-Belkacem et la garde des Sceaux d’alors Christiane Taubira avaient reconnu des carences dans le système et promis une loi. Alors que ce texte est en passe d’être adopté un an après, le traumatisme reste vivace dans les familles meurtries qui, au fil de l’enquête, ont découvert avec horreur des détails sordides, et attendaient beaucoup d’un procès. »
Et l’émission d’évoquer une autre affaire également, survenue dans la ville de Courbevoie cette fois, et qui connaissait, au début de l’année un rebondissement qui avait lui aussi suscité la polémique entre les institutions et les différentes autorités. Voici ce qu’en écrivait, alors, Le Parisien : « Du nouveau dans l’affaire de l’animateur soupçonné de pédophilie à Courbevoie. Ce lundi soir 4 janvier, lors du conseil municipal, l’opposition a interrogé la majorité sur les zones d’ombre qui résident depuis la mise en examen d’un animateur qui travaillait à l’école élémentaire Logie. Il aurait reconnu avoir agressé sexuellement une dizaine d’enfants, des garçons âgés de 5 à 8 ans. Mais, début décembre, une nouvelle information a noirci un peu plus le tableau : l’animateur de 26 ans avait déjà été suspendu en septembre 2013, après deux signalements de parents en décembre 2012 et en août 2013. Avant d’être réintégré dans une autre école quatre mois plus tard. « Pour quelle raison l’autorité judiciaire n’a pas été informée en août 2013, sachant qu’il y avait un précédent ? »

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Le storytelling de l’affaire d’Outreau

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5 avr. 2016
Brève analyse du storytelling d’Outreau, ou un récit aux visées profondément politiques.
En 2007, Christian Salmon (que chacun connait à Médiapart) publie Storytelling, la Machine à fabriques des Histoires et à formater les Esprits. Comme on le sait sans doute, c’est aux États-Unis que l’auteur découvre cette technique narrative, inspirée des travaux de la linguistique et de la narratologie contemporaines, et appliquée dans le domaine de la formation des militaires, dans celui de la publicité, de l’économie, de la politique. Il s’agit de créer une « contre-réalité », l’idée étant de « détourner l’attention des gens des enjeux essentiels en créant un monde de mythes et de symboles afin qu’ils ses sentent bien avec eux-mêmes et leur pays (…). Créer un univers virtuel, un royaume enchanté peuplé de héros et d’anti-héros, dans lequel le citoyen-acteur est invité à rentrer ». Autrement dit, un formidable moyen de contrôle social.

En 2009, Marie-Christine Gryson-Dejehansart publie à son tour, et à propos d’Outreau, un livre pionnier en la matière : Outreau, La vérité Abusée. Elle est la première à mettre le doigt où ça fait mal en opérant la connexion, notamment dans la seconde partie de son ouvrage « Le renforcement de la Storytellig » entre le travail de Salmon et l’histoire d’Outreau, telle qu’elle fut narrée à l’époque . On peut donc ajouter que, dans cette affaire, le citoyen-public sera invité à s’identifier, puis à communier, dans une sorte de catharsis sociale et politique, salutaire pour le statu-quo et la morale, à l’instar des tragédies antiques d’autrefois.

Pour résumer, Christian Salmon dira que le Pouvoir réside aujourd’hui dans la faculté de « raconter la bonne histoire au bon moment ». Sur l’affaire bien connue d’Outreau et de ses trois procès, deux histoires principales circulent. C’est ici à l’histoire principale, c’est-à-dire à la version « officielle » de l’histoire, que nous allons nous intéresser :

  1. Raconter « la bonne histoire au bon moment » : la bonne histoire est chose aisée, c’est le métier des écrivains et des scénaristes, même passables. Assurer la cohérence narrative est facile : trouver le lieu, l’époque, les circonstances, un scénario d’ensemble. Tout cela, la réalité la donne volontiers, et le tri sera opéré entre ce qui doit être retenu et ce qui doit être passé sous silence. Il faut évidemment des personnages, et là, il conviendra aussi sans doute de tordre quelque peu la réalité, c’est-à-dire la simplifier, pour que chacun comprenne bien. Il y aura donc, comme dans une fiction, le camps des personnages « positifs », puis celui des personnages « négatifs ». Tant pis si le réel est plus complexe, l’essentiel n’est pas là : ces personnages devront accéder au rang de « figures », de symboles, voire d’archétypes (cf.« le Juge et la Menteuse » émission télévisée Faites entrer l’accusé de Christophe Hondelatte). Mais « le bon moment », c’est aussi pouvoir construire un récit qui réponde à des attentes sociales, voire plus directement politiques. En l’occurrence, l’attente concernait à l’époque le fonctionnement et le rôle de la Justice française, attente contemporaine de l’affaire Dutroux et des scandales politico-financiers qui s’accumulaient dans l’Héxagone : crise de confiance populaire importante donc dans l’Institution (il est d’ailleurs vraisemblable que rien n’ait changé depuis).
  2. La mise en récit construit de l’affaire va donc permettre :
  • d’éviter la dangereuse prise de conscience d’une possible connexion entre l’affaire Dutroux et celle d’ Outreau (même si, dans un premier temps, le storytelling belge en fut différent dans la construction, c’est-à-dire totalement spontané dans le cas de l’affaire Dutroux, et en faveur des citoyens-investigateurs surveillant le fonctionnement des Institutions. Dans le cas d’Outreau, la construction narrative vient au contraire d’en haut et sert de verrouillage efficace et sans appel de toute possibilité d’expression démocratique sur le sujet.)
  • de répondre à une attente populaire pressante sur la Justice mal-aimée, généralement suspectée, considérée par beaucoup comme « injuste » ou « à deux vitesses » par une réponse politique adaptée aux circonstances et tâcher d’emporter la mise. Instrumentaliser, par la même occasion, la condition déplorable des détentions et le délabrement de nombre de prisons françaises en narrant, opportunément et par le menu, le « calvaire » des futurs acquittés. Tous les poncifs seront utilisés en la matière.
  • de fabriquer du consensus et de « faire communauté », effacer, par exemple, les rapports de classe et brouiller les analyses pertinentes en entretenant la plus grande confusion (L’Huissier Marécaux déclarant, à Rennes, à propos du Prolétaire Legrand : « Je suis présent à Rennes pour le soutenir parce que Daniel Legrand était mon compagnon d’infortune ».)

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