Outreau : le taxi Martel, l’un des acquittés, a été convaincu de mensonge au procès Legrand fils

Logo Un journalisme d'investigation2 juin 2015 | Auteur

Un coup de théâtre a mis fin mardi à l’audience délétère du procès Daniel Legrand fils, avec un ministère public oeuvrant à décharge, grâce à la preuve apportée par la partie civile sur un mensonge du taxi Pierre Martel, l’un des 13 acquittés, à propos de l’accusé.
Comme tous les autres acquittés qui ont défilé comme témoins depuis lundi aux assises de Rennes, Pierre Martel a déclaré qu’il ne connaissait pas le fils Legrand avant l’affaire d’Outreau, déclenchée en janvier 2001.
Mis sur le grill par les avocats de la partie civile, qui représentent 3 des 12 enfants victimes de viols à l’époque et reconnus comme tels au procès de Paris 2005, M. Martel a reconnu avoir signé une déposition en 2002 devant 4 policiers, où il affirmait qu’il connaissait le fils Delay et l’avait pris dans son taxi, « pas plus de trois fois ». Le fils Legrand avait affirmé, lui, n’avoir jamais pris de taxi et ne pas connaître ce chauffeur.
Tout à coup, Pierre Martel a assuré mardi à la barre qu’il avait paraphé à l’époque ce texte « sans le lire, sans qu’on l’y force », mais qu’en fait il n’avait pas alors avoué ce qui était écrit, au terme d’une confrontation avec l’homme aujourd’hui dans le box des accusés.
Son revirement a déclenché un hourvari entre les avocats des deux parties. Me Lev Forster, pour la partie civile, a alors menacé de demander une confrontation entre Martel et les quatre policiers pour tirer au clair cette contradiction.
Devant la menace de Me Forster de faire acter cette contestation par le président de séance, le taxi Martel a finalement avoué avoir bien dit « oui, je le connaissais » aux policiers avant de signer sa déposition.
Cet incident n’aura rien d’un détail aux yeux des jurés appelés à se prononcer sur la culpabilité de Daniel Legrand fils samedi, au terme de trois semaines de procès. Il est accusé de viols sur des mineurs quand il était lui-même mineur entre 1997 et 1999.

Depuis le début des assises de Rennes, la défense a pris le parti de repeindre Outreau en rose pour les acquittés avant leur arrestation, de toucher la corde sensible de leur détention avant leur remise en liberté, de les amener à critiquer le juge Fabrice Burgaud, et d’impressionner le jury avec les larmes que tous ont fini par verser, à de rares exceptions près.
Ont donc témoigné entre lundi et mardi, dans l’ordre :
• David Brunet,
• Sandrine Lavier,
• Karine Duchochois,
• Thierry Dausque,
• Franck Lavier,
• Roselyne Godard,
• Alain Marécaux,
• Odile Polvèche (ex-Marécaux),
• Dominique Wiel,
• Pierre Martel.
C’est cette même défense qui a décidé de tous les convoquer, alors qu’ils ont tous affirmé ne pas connaître Daniel Legrand fils, pour refaire le procès d’Outreau à leur profit et lever les derniers doutes, s’il en restait, sur leur innocence. Les jurés auront pu se demander, comme la partie civile le leur faisait remarquer, pourquoi ils étaient venus devant eux clamer l’innocence d’un accusé qu’ils n’avaient jamais rencontré, à l’exception donc du taxi Martel. Aucun d’entre eux, sauf Franck Lavier, n’avait vu quelque chose d’anormal se passer chez Myriam Badaoui et Thierry Delay, selon leurs déclarations à la barre, alors que le couple a été condamné à de lourdes peines de prison pour viols de mineurs.
Cette stratégie, loin d’être contrée par le ministère public en charge de l’accusation, a obtenu l’appui implicite de l’avocat général Stéphane Cantero, habile à ne pas relever les contradictions entre les déclarations des acquittés à Rennes et les aveux de certains d’entre eux à l’époque.

Outreau : le procès de Daniel Legrand fils devient celui des enfants violés 2 juin 2015 | Auteur Jacques Thomet

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Un malaise palpable a gagné les assises de Rennes où le procès de Daniel Legrand fils devient en filigrane celui des enfants violés, aux yeux des connaisseurs du dossier.

Après ses frères Jonathan et Chérif, Dimitri Delay a accusé lundi le fils Daniel Legrand de l’avoir violé à Outreau quand ils étaient mineurs, mais le déroulement des audiences fait la part belle aux adultes acquittés à Paris en appel en 2005 après le premier procès de Saint-Omer en 2004.

5 des 13 accusés acquittés de l’époque ont été invités à témoigner lundi. Ils ont tous entonné le même refrain : je ne connaissais pas le fils Legrand, il ne s’est rien passé chez Thierry et Myriam Delay (deux des quatre condamnés à Outreau), et je n’ai violé personne.

Karine Duchochois a conclu que les enfants avaient menti, et les autres, David Brunet, Thierry Dausque, Sandrine et Franck Lavier l’ont laissé entendre en disqualifiant leurs procès, comme si 12 mineurs n’avaient pas été reconnus comme victimes de sodomies et indemnisés en 2005. D’autres adultes acquittés viendront témoigner les prochains jours, dont l’huissier de justice Alain Marécaux, l’abbé Dominique Wiel et Roselyne Godard « la boulangère ».

L’apogée du malaise ambiant a été atteinte avec le témoignage sans précédent de l’avocat général aux assises de Paris en 2005, Yves Jannier. Les avocats de la partie civile, Lef Forster et Patrice Reviron, se sont insurgés contre l’invitation faite à ce magistrat, aujourd’hui procureur à Pontoise et avocat général à Versailles, par… le propre avocat général de Rennes, Stéphane Cantero, donc normalement en charge de l’accusation au nom du ministère public.

« N’est-ce pas une irrégularité de procédure que de vous convoquer ? », s’est interrogé Me Forster. Un duel à fleurets mouchetés s’est alors emparé du prétoire. Me Reviron a marqué sa surprise : « jamais je n’ai vu un avocat général d’une affaire jugée venir témoigner devant des assises (où comparaît à nouveau l’un des accusés acquittés) ».

Sans aucune gêne, Yves Jannier a assuré que « ces gens étaient innocents », que le père de Daniel Legrand (l’un des acquittés) « n’avait rien à faire dans cet endroit-là » (les assises), et que pour parvenir à cette conclusion, il s’était livré à un « exercice acrobatique pour demander l’acquittement des accusés. » Personne n’a compris son bricolage de type aérobique.

Quand la partie civile a mis le doigt sur les incohérences de ses déductions argumentées, il s’est contenté de botter en touche,  avec des réponses lapidaires : « je n’en sais rien… je n’en dirai pas un mot… je ne me souviens pas » Le sommet de son amnésie à l’heure de justifier sa conclusion sur « l’innocence » des accusés a été atteint à propos d’une phrase prononcée par lui en audience à Paris. L’avocat de la défense Frank Berton l’a alors interpellé à propos « du livre du pseudo journaliste Thomet » et de ma citation d’une intervention de M. Jannier en audience quand il avait demandé à un enfant violé s’il ne l’avait pas été par un extra-terrestre. « Je m’en fiche de Thomet, je n’ai pas lu les livres, je n’ai pas le temps ». (Je rappelle que dans mon livre « Retour à Outreau », je cite Yves Jannier comme auteur de cette phrase, mais avec le mot « Martiens », rapporté par un témoin présent aux assises). Le magistrat a alors assuré « ne pas en avoir le souvenir », mais sans démentir ce que j’ai écrit noir sur blanc.

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