Outreau : l’intégralité de la déposition de Chérif Delay

1410205722_logo-vdn-web-test-3Publié le 22/05/2015
De notre envoyé spécial à Rennes, Eric Dussart

Chérif Delay est arrivé en milieu d’après-midi, jeudi, dans la salle des assises d’Ille-et-Vilaine. Entouré de deux gendarmes : il est détenu à Rennes, pour des faits de violence, et soigné en service de psychiatrie. Il s’est assis sur les bancs de la partie civile, juste devant son frère Jonathan. Les deux hommes se sont serré la main. Chérif dans son survêtement aux couleurs de l’Olympique de Marseille, son jeune frère en costume bleu clair.

La déposition du deuxième fils de Myriam Badaoui (on sait qu’il y en aura une troisième, avec Dimitri, mardi matin) était évidemment très attendue. Elle a été l’un des temps fort de la première semaine de ce procès, plongeant parfois la salle d’assises dans un profond malaise. Ce jeune homme est dans une grande souffrance, c’est évident. Au fil de ses réponses, ses propos ont paru de plus en plus fragiles. C’est pourtant sur ses accusations, entre autres, que devra se prononcer la cour d’assises.
Le président Philippe Dary s’est adressé à lui avec beaucoup de sérénité. Après lui avoir demandé son identité (« Chérif Delay, né le 18 février 1990 »), M. Dary l’a laissé s’exprimer spontanément, d’abord, avant de lui poser des questions.
Chérif Delay « Je vais vous parler par rapport aux souvenirs que j’ai encore, mais certains sont lointains. Je vais répondre aux questions. Je vais le faire sans aucun problème, M. le président. Je me souviens de choses très lointaines. Je me souviens d’une mère qui n’a pas voulu m’accepter, et qui a fini par prendre ses responsabilités. Elle s’est remariée avec un homme… un homme que je ne veux pas nommer, parce que je ne sais pas qui il est.
Je voulais un père et je ne l’ai pas eu. Jusqu’à M. Darque. (L’époux de son assistante maternelle NDLR)
Les faits ont commencé quand j’avais cinq ans, à Noël. Je me souviens que mon beau-père voulait ouvrir les cadeaux avant tout. Les ouvrir tout de suite. Moi, je rêvais comme tout le monde dans cette salle, je suppose, de dessins animés, et j’ai eu une cassette porno. Je ne savais pas ce que c’était. Mais j’ai eu ça. J’ai tout de suite dit que je n’aimais pas. Que je ne trouvais pas beau ce que je voyais. Mais tout de suite, quand le film a été fini, il est venu et m’a fait les mêmes choses, dans les mêmes positions.
(A cet instant, Chérif Delay détaille des sévices cruels. La noirceur terrifiante de l’inceste. De la part de son père, puis de sa mère.)
Ensuite, je suis parti dans des familles d’accueil. J’allais chez mes parents le week-end, et pour les vacances. Je n’ai pas voulu ces flashes, j’ai voulu esquiver ces situations qui me faisaient tellement mal.
Je me souviens d’une personne qui est venue avec une enveloppe marron. Je regardais par le trou de la serrure. A partir de là, j’ai vu défiler des gens chez moi. Mon beau-père s’en prenait à moi, à coups de ceinture. J’étais exclu de la fratrie, à cette époque. Je n’étais pas son fils, je n’avais pas le droit de l’appeler papa. J’ai dû manger ses excréments. Parce que je n’avais pas la même couleur que lui, pour lui, j’étais une merde. C’est ce qu’il disait.
Cette personne qui est là (Daniel Legrand ndlr), je la reconnais en tant que victime, lors d’une agression, chez moi. Il y avait Thierry Dausque, son père Daniel Legrand, Monsieur Wiel. Je dis Monsieur parce que je fais preuve de respect, mais je pourrais dire des grossièretés.
C’est un ressenti, aujourd’hui, qui me pourrait la vie. J’ai beaucoup de flashes qui se mélangent, à cause de l’ancienneté des faits. Ensuite, je suis allé dans des foyers, ça s’est très mal passé. A 18 ans, je me suis retrouvé SDF, je suis tombé dans l’alcool, la drogue. J’ai du mal à passer ces procès, mais ici, ce n’est pas la même ambiance que les autres procès. Je regarde depuis tout à l’heure, je vois que tout le monde fait ce qu’il veut, tout le monde dit ce qu’il veut et je vous en remercie, ça fait du bien. »
Le président « Vous avez évoqué des choses qui ont commencé en 1995. Vous avez aussi évoqué une enveloppe marron… »
Chérif Delay « C’est une image que j’ai. »
Le président « …un défilé de personnes… »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Vous parlez de vos parents et vous donnez d’autres nom. Thierry Dausque ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Vous évoquez essentiellement des abus que vous subissez au sein de votre famille. Au cours de l’enquête, on vous présente des photos et vous reconnaissez certaines personnes. Un certain Jean-Marc ; C’est qui ? »
Chérif Delay « C’est une personne qui squattait beaucoup vers le hall d’entrée de mon immeuble. On avait peur de lui. Il faisait des bruits bizarres. Des bruits chelous. »
Le président « Il parlait ? »
Chérif Delay « Non, il criait. Il grognait. »
Le président « Il a commis des faits identiques à ceux que vous avez décrits ? »
Chérif Delay « Pas tout à fait. Lui, c’était de peur, de crainte. »
Le président « Votre père l’aurait obligé ? »
Chérif Delay « Je ne sais plus. Je me souviens surtout de lui parce qu’il faisait peur. »
Le président « Vous avez aussi évoqué des noms d’enfants ; Vous vous souvenez ? »
Chérif Delay « Oui, mais je ne vais pas les citer ici. Moi, je me bats tous les jours avec ça… »
Le président « Thomas, Kelly, ça vous dit quelque chose ? »
Chérif Delay « Non, je ne me souviens pas. »
Le président « Dans le rôle de votre mère, d’autres choses vous ont marquées ? »
Chérif Delay « Bien sûr. Elle n’a pas tenu son rôle de mère. S’amuser avec un godemichet et me le mettre, ce n’est pas normal… »
Le président « Vous avez parlé d’un caméscope. »
Chérif Delay « Oui, je m’en souviens très bien. »
Le président « Dylan, selon vous, n’a pas forcément subi les mêmes choses ? »
Chérif Delay « Non. En tout cas, pas quand j’étais là, le week-end. »
Le président « Il a été dit que c’est parce qu’il avait de trop petites fesses. Est-ce ce que votre père… »
Chérif Delay « Beau-père. »
Le président « Oui. Enfin, il vous a reconnu, c’est votre père… »
Chérif Delay « Non. »
Le président « Eh bien, c’est d’accord. Dylan, donc… »
Chérif Delay « Lui, c’était juste quelques caresses… »
Le président « En 2001, on vous montre quelques planches photos… »
Chérif Delay « Oui. C’est un premier choc. J’en ai vu ! D’abord ma mère en photo et mon beau-père. »

Le président lui montre des photographies : « C’est bien cela ? »
Chérif Delay « Oui, M. le président. »
Le président « Vous avez dit que votre père a fait des manières aux enfants. A vous, à Dimitri, à Jonathan, et aussi à Emelyne… »
Chérif Delay « C’est la fille… Si je ne me trompe pas, c’est la fille de Thierry Delay. »
Le président « Vous la voyiez, à cette époque ? »
Chérif Delay « Oui, pendant les vacances. »
Le président « Vous l’avez vue être abusée par votre père ? »
Chérif Delay « Je ne me souviens plus.
M. le président, si je peux me permettre, aujourd’hui, je ne me souviens plus mais ça ne veut pas dire que ça ne s’est pas passé. »
Le président « Bien sûr. Vous avez donc parlé de Couvelard, Jean-Marc, de Dausque, mais aussi de Delplanque, de Frank Lavier, de Sandrine Lavier, d’une Aurélie, vous en avez le souvenir ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « C’était la compagne de Delplanque ? »
Chérif Delay « Je peux voir les photos, s’il vous plait ? »

On lui passe de nouveau un album.
Chérif Delay « Oui, je la reconnais. »
Le président « Y avait-il d’autres enfants ? »
Chérif Delay « Oui, je me souviens d’une en particulier. Aurore. »
Le président « Beaumont. »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Vous aviez dit d’autres noms. »
Chérif Delay « Par rapport à l’ancienneté, je ne peux plus donner de noms. »

Le président « S’agissant de l’accusé, ici dans le box, vous l’avez vu en tant que victime ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Qu’a-t-il subi ? »
Chérif Delay « Par rapport à mon beau-père, exactement comme moi. Des sodomies, des fellations… »
Le président « Votre beau-père était-il seul ? »
Chérif Delay « Non. Il y avait Dominique Wiel, Thierry Dausque… Il y avait d’autres personnes… »
Le président « Son père était là ? »
Chérif Delay « Oui, M. le président. »
Le président « Vous en êtes certain ? Comment pouvez-vous être certain qu’il s’agissait de son père ? »
Chérif Delay « Parce qu’il l’appelait papa, M. le président ! »
Le président « Quelle était son attitude ? Il regardait passivement ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Il ne participait pas ? »
Chérif Delay « Je ne suis pas sûr. »
Le président « La première fois que vous avez été entendu par le juge d’instruction, il vous a été demandé : « Daniel Legrand père et fils, ils t’ont fait du mal ? » Vous vous souvenez ? »
Chérif Delay « Non. »
Le président « Vous avez dit Daniel Legrand est un grand ami de mon père. Une fois, il est venu. Il était saoul, il m’a frappé, il ne m’a pas fait de manières. »
Chérif Delay « Je ne me souviens plus. »
Le président « Vous avez aussi parlé de cassettes porno. Avec la boulangère, Mourmand, Delplanque, Lavier, Wiel, Martel. Et s’agissant de Wiel, on vous a demandé s’il vous avait fait du mal, vous avez répondu non… »
Chérif Delay « Je me souviens de lui parce que ma mère voulait que je sois chrétien, par rapport à mon père. »
Le président « Vous avez l’image de Daniel Legrand victime d’une agression, de la part de votre père. Et aussi de Daniel Legrand auteur d’une agression avec d’autres. Vous citez Dausque, Wiel, votre père… »
Chérif Delay « Beau-père ! »
Le président « Oui, pardon, c’est vrai que… Dans une sorte de réflexe pavlovien, je le dis comme ça, mais vous avez raison…
A l’époque du juge d’instruction, vous sembliez en confiance, vous parliez librement. Vous ne mettez en cause ni Dominique Wiel, ni Daniel Legrand. On vous parle du fils et vous ne répondez pas, et le juge ne vous relance pas. »
Chérif Delay « Moi, je vous parle de mes souvenirs. »
Le président « Vous avez donc deux souvenirs. Une quand il est victime des faits, et une quand il commet une agression. Cette scène s’est passée comment ? C’est un flash ou vous voyez une scène ? »
Chérif Delay « C’est une scène ! C’est dans l’entrée, chez moi. Devant, il y a ma chambre, avec des lits, des dessins et tout. Je suis attaché. Je vois des adultes se toucher entre eux et dans mon souvenir, il y a aussi Dimitri, au moins. Et ils viennent et ils commencent une partouze. »
Le président « Y a-t-il d’autres mineurs ? »
Chérif Delay « Non. Je ne vois que Dimitri et moi. »
Le président « Ils vont abuser de Dimitri et de vous ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Y a-t-il des femmes ? »
Chérif Delay « Dans cette scène-là, non. Ma mère est venue pour regarder et elle a fermé la porte. »
Le président « C’était dans votre chambre ? »
Chérif Delay « Oui, en face de la porte d’entrée. »
Le président « Vous comprenez qu’on peut s’interroger sur vos souvenirs, aujourd’hui. Ces images, comment arrivent-elles dans votre esprit, alors qu’en ces termes-là, vous n’en avez jamais parlé. Notamment de Daniel Legrand père, dont vous disiez qu’il était un ami de votre père mais vous n’avez jamais parlé du fils. Et là, aujourd’hui, vous en parlez pour la première fois. »
Chérif Delay « Je vous explique mes souvenirs. »
Le président « Bien sûr, bien sûr… Mais vous comprenez ? Ce n’est pas anodin. »
Chérif Delay « Oui, bien sûr. »
Le président « Vous étiez petit, au moment de l’enquête. Vous aviez dix-douze ans… »
Chérif Delay « Douze ans. »
Le président « Vous avez été réentendu, après. Vous parlez d’une Karine, Duchochois, vous parlez d’un réseau, vous dites que vous allez en Belgique. Mais pour des caresses, des attouchements, de la part de la boulangère, d’une Madame Lepers… On ne vous a jamais montré de photos de Daniel legrand père et fils ? »
Chérif Delay « Non. »
Le président « Mais vous les avez vus, à Saint-Omer, au procès de Paris… »
Chérif Delay « J’étais à la barre, comme ici. J’ai cité des noms. »
Le président « On ne vous a pas demandé de vous tourner vers les accusés ? »
Chérif Delay « Si. »
Le président « A Saint-Omer ? Au premier procès ? Vous les avez regardés ? Ils étaient dix-sept accusés. Vous les avez reconnus ? »
Chérif Delay « Certains. »
Le président « Vous avez reconnu Daniel Legrand père et fils ? »
Chérif Delay « Dans mon souvenir, non. Je ne les ai pas reconnus. J’étais complètement déstabilisé. Je fais remarquer que j’étais à l’hôpital. J’étais venu avec un psychologue. Je vous rappelle que j’étais dans le box. »
Le président « Vous dites que vous en avez reconnu certains. Lesquels ? »
Chérif Delay « Ben, les quatre qui ont été condamnés. Mon beau-père, ma mère. Delpalnque, Aurélie Grenon… »
Le président « Qui d’autre ? »
Chérif Delay « Le taxi. On l’appelait le taxi… »
Le président « D’autres ? »
Chérif Delay « Je pense que oui. Il y avait le prêtre, Dominique Wiel. Je l’ai reconnu. Et je… Je ne sais pas… »
Le président « Vous n’avez pas reconnu Daniel Legrand père et fils ? Vous ne les avez pas évoqués, à Saint-Omer. »
Chérif Delay « Je ne pense pas. »
Le président « Et à Paris ? »
Chérif Delay « Dans mon souvenir, on était dans une salle. Tous les enfants, on attendait. Des avocats sont venus, nous ont parlé. Ils ont dit que ça allait bien se passer. La salle était immense. »
Le président « Oui, c’est une grande salle d’assises. Et il y avait moins d’accusés. »
Chérif Delay « Je ne les ai pas regardés. »
Le président « On ne vous l’a pas demandé ? »
Chérif Delay « Si, mais je ne les ai pas regardés. On m’a montré des photos. »
Le président « Vous avez reconnu Daniel Legrand fils ? »
Chérif Delay « Dans mon souvenir, non. »
Le président « Comment avez-vous vécu l’après-cour d’assises de Paris ? En 2005-2006, l’après-Outreau… »
Chérif Delay « J’étais très éloigné de tout ça. »
Le président « Vous avez essayé d’oublier ? »
Chérif Delay « J’étais dans un moment de déni. Pendant un moment, je me disais qu’il ne s’était rien passé, puisque… »
Le président « Pourtant, il y a bien eu quatre condamnations. Vous avez été reconnus comme victime. »
Chérif Delay « Vous me demandez comment je l’ai vécu… »
Le président « Oui, oui. Ne prenez pas mal ce que je dis. Ensuite, vous êtes allé en famille d’accueil. »
Chérif Delay « Oui, jusque douze ans. Puis je suis allé à l’hôpital, puis en foyers, en Belgique. »

Le président « Quels sont les événements marquants de votre vie, aujourd’hui ? »
Chérif Delay « J’ai pas envie. Je sais que c’est un devoir d’expliquer l’après-Outreau, mais j’en ai complètement ras-le-bol. J’en peux plus. Je suis fatigué de tout ça. J’ai été insulté, diffamé, pendant la période des foyers, sans que je puisse répondre. Je ne peux pas inventer… Je n’ai que des souvenirs.
Je suis resté très longtemps en foyers, puis j’ai fini SDF à dix-huit ans. J’ai picolé, j’ai fumé, je suis devenu violent. J’ai provoqué la police. J’ai été incarcéré pendant sept mois, les souvenirs sont là. A Sequedin.
Puis je suis parti trois ans en Afrique. Vous me demandez les événements marquants… Ce sont ces trois années-là qui ont marqué ma vie. J’avais quitté ce pays. Quitté le statut de menteur. J’en pouvais plus. Je suis allé jusqu’à mélanger les choses. Aujourd’hui, je vis dans une haine… Dans l’idée de me venger mais je ne le fais pas. J’ai décidé de tourner la page.
Je ne comprends pas qu’on ait pu juger comme ça cette affaire. Comme je l’ai vécue… Je ne comprends pas. Je suis encore aujourd’hui en prison. Je suis incarcéré parce que je suis violent. J’ai l’impression de reproduire certaines choses de mon passé.
J’ai un projet d’album. J’ai écrit un livre, aussi. J’ai cru que ça m’aiderait à tourner la page, ça n’a fait que tourner la mayonnaise. Aujourd’hui, il y a tellement de choses que je voudrais exprimer, mais je ne le ferai pas. Sinon, je sortirais de mes gonds…
Quand je pense à mon beau-père, à ma mère… A toutes ces personnes qui ont marqué ma vie. Quand j’ai vu tous ces acquittés avec les ministres… J’ai dit « Comment c’est possible ? » Voilà comment je vis… »
Le président « Je voudrais revenir sur quelque chose. Les agressions sur Dimitri et vous, c’était quand vous aviez quel âge ? »
Chérif Delay « Dans mon souvenir, c’est en rapport avec la coupe du monde. On voyait des matches. La coupe du monde 1998. »
Le président « Vous l’associez à cette année-là ? »
Chérif Delay « Oui. »

Le président « Une dernière question : récemment, vous avez déposé plainte, vous en avez le souvenir ? Vous vous accusiez de certains faits ? Vous vous souvenez de ça ? »
Chérif Delay « C’était en… »
Le président « En 2013. Vous en avez le souvenir ou pas ? »
Chérif Delay « J’ai porté plainte ? »
Le président « Oui. Vous avez dénoncé des faits. »
Chérif Delay « Euh… »
Le président « Nous avons un procès-verbal de la DIPJ de Lille. Le PV de synthèse d’une enquête daté du 7 janvier 2013, sur la recherche de toute personne disparue en 1998 sur la commune d’Outreau. Ce pv dit qu’il n’y a eu aucune disparition non élucidée et rappelle des faits dénoncés par Chérif Delay, qui serait l’auteur d’un meurtre, sur une petite fille âgée de huit ans. Il l’aurait tuée à coups de bêche. Des adultes vous auraient masturbé, Delay, Dausque, Wiel… Tout cela s’est clôturé par un non-lieu. Les faits n’étaient pas avérés. Vous vous souvenez de ça ? »
Chérif Delay « Vaguement, M. le président… »
Le président « Et que vous avez voulu retirer votre plainte, vous vous en souvenez ? »
Chérif Delay « Non. »
Le président « C’est récent, pourtant. 2013. »
Chérif Delay « … »
Le président « Non ? Vous n’avez aucun souvenir plus précis de ça ? »
Chérif Delay « De l’accusation que je me suis donné, oui… Mais de la déposition, non… »
Le président « Il y a un autre PV, qui cite le couple chez lequel vous viviez à l’époque. Les policiers sont allés vous interroger là-bas. Il y a aussi une expertise qui dit que vous avez des tendances suicidaires, que vous prenez un traitement, que vous représentez un réel danger, pour vous et pour les autres.
Vous avez voulu retirer votre plainte, expliquant que vous ne pensiez pas que cela prendrait une telle ampleur, que vous ne vouliez pas d’un Outreau 2. Vous n’en avez pas de souvenir ? »
Chérif Delay « Si. »
Le président « Qu’est-ce que vous pouvez dire de ça ? »
Chérif Delay « Si je voulais enlever ma déposition c’est que c’était nécessaire. Parce qu’il y avait du rajout. »
Le président « De votre part ? »
Chérif Delay « Oui. Parce que je mélangeais… Je ne sais pas si on peut comprendre… les cauchemars et les images… les souvenirs.
C’est de la psychiatrie. Après ça, je suis reparti en psy, et je me rends compte qu’il y a la réalité et les cauchemars…
Le président « Et qu’est-ce qui est la réalité ? Et les cauchemars ? »
Chérif Delay « C’est qu’en 2012, j’aurais pu dire devant vous j’ai tué cette fille. Peut-être qu’elle a existé, peut-être non. Pour les médecins, c’est non… »

L’une des assesseures pose à son tour quelques questions : « Ce mélange des choses, c’est un diagnostic de vous ou des médecins ? »
Chérif Delay« Des médecins. »
L’assesseure « Et vous, qu’en pensez-vous ? »
Chérif Delay « Si je ne dis pas comme eux, je vais être hospitalisé… »
L’assesseure « Daniel Legrand n’a été victime qu’une fois ? »
Chérif Delay « Non, plusieurs fois. »
L’assesseure « Et agresseur ? »
Chérif Delay « Une fois. Pendant la partouze. »
L’assesseure « Il a commis des faits de viol ou d’attouchements ? »
Chérif Delay « Des caresses, des attouchements. »
L’assesseure « Pas de pénétration ? »
Chérif Delay « Non. »
L’assesseure « Est-ce que ça pouvait être un autre couple père-fils. Qu’est-ce qui vous fait dire que ce sont eux ? »
Chérif Delay « Non, son visage m’est familier. Ce visage. »

Le président « Son visage d’aujourd’hui ? »
Chérif Delay « Oui, ce visage-là. »
Le président « Pourtant, il a beaucoup changé. Il a vieilli. »
Chérif Delay « Mais vous me demandez… Comment je peux vous expliquer ?.. »
Le président « Mais il n’y a rien à expliquer. D’autres sont venus avec leur fils ? »
Chérif Delay « Oui. Dausque. »
Le président « Dans votre souvenir, vous êtes allé en Belgique, avec les policiers ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Et vous avez le souvenir de Daniel Legrand père et fils, en Belgique ? »
Chérif Delay « Non. En Belgique, non. »

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Outreau – Procès de Rennes – Jeudi 21 mai 2015 – Audition de Chérif Delay – Tweets de la salle d’audience

Il est 19 heures

L’audience reprend. On va entendre Cherif, aîné des enfants Delay et 2e à s’exprimer.

L’audience reprend. Chérif Delay, 25 ans, barbe apparente, jogging Adidas blanc et bleu, s’avance à la barre

Cherif Delay, 25 ans, s’avance à la barre en survêtement blanc aux bandes bleues.

Cherif Delay : « je voudrais dire devant vous ma difficulté à parler. Par rapport au stress et à des souvenirs qui sont lointains »

Cherif Delay : « ma mère s’est remariée à un homme que je ne veux pas citer aujourd’hui parce que je ne sais pas c’est qui. »

Rappelons que Chérif est le fils aîné de Myriam Badaoui mais pas de Thierry Delay qui l’a adopté par la suite.

A la barre, Chérif Delay revient sur le début des sévices, il reçoit une cassette porno à Noël. Il a alors 6 ans.

Chérif : « les faits ont commencé quand j’avais 5 ans, je rêvais comme touts le monde de dessins animés, de jeu et j’ai eu des cassettes porno »

Chérif Delay : « quand le film a été fini, il m’a forcé à faire exactement les mêmes positions. A quatre pattes, attaché. »

Chérif : « Après, mon beau-père m’a forcé à faire tout ce qui se passait dans le film et j’ai été forcé de coucher avec ma propre mère »

Chérif en larmes à la barre dénonce Thierry Delay : « J’ai été forcé à prendre son sexe dans la bouche. J’ai recraché, j’ai vomi »

Chérif Delay : « j’étais exclu de la fratrie à cette époque. Parce que j’avais pas la même couleur. J’étais un bougnoule »

Sur les faits : « J’ai beaucoup de flashs, de mélanges par rapport à l’ancienneté des faits. »

Chérif Delay au sujet de Daniel Legrand : « cette personne qui est là aujourd’hui je la reconnais. »

« J’ai du mal à avaler comment se sont passés ces procès, aujourd’hui c’est plus la même ambiance, tout le monde ne fait pas ce qu’il veut »

« Là j’ai droit à la parole, je vous en remercie car ça me fait du bien. »

Le président interroge Chérif Delay sur ses auditions où il désigne la fille aînée de Thierry Delay Emeline comme victime.

Emeline, elle, a toujours affirmé qu’elle n’avait pas été victime. Elle n’a pas non plus été reconnue comme telle par les experts

Chérif sur Daniel Legrand : « cette personne, qui est présente aujourd’hui, je la reconnais mais en tant que victime »

Chérif Delay affirme reconnaître Daniel Legrand fils « en tant que victime » : il a été victime de mon beau-père, comme nous.

« De qui » l’interroge le président ? « De mon beau-père », répond Chérif. Il cite aussi un des acquittés

Président : vous dites aussi que son père était là. Qu’est-ce qui vous permet d’être certain ?
– Chérif Delay : il l’appelait Papa

Chérif dit que le père de Daniel Legrand était là car l’accusé l’appelait « papa ».

Le président relit une déposition de Chérif : « Daniel Legrand c’est un grand ami de mon père, il venait le soir pour discuter »

Suite de la déposition de Chérif : « une fois il était saoul, il m’a frappé. Il ne m’a pas fait de manières. »

Le président revient sur les dépositions de Chérif Delay où il met en cause ni Daniel Legrand, ni l’abbé Wiel.

Cherif Delay raconte une partouze dans sa chambre à laquelle il est obligé de participer. Daniel Legrand fils est là aussi dit-il.

Chérif évoque « une scène » dans sa chambre, une « partouze » avec des adultes hommes, avec lui, Dimitri et Daniel Legrand comme mineurs abusés

Président : « vous comprenez qu’on puisse s’étonner que vous racontiez cette scène alors que vous ne l’avez jamais fait avant ? »

Le président s’étonne : « Vous n’avez jamais évoqué ni mis en cause Daniel Legrand fils avant, ni en agresseur ni en victime. »

Président : « au 1er procès, avez-vous reconnu Daniel Legrand père et fils ? » Chérif Delay : « Non, j’étais déstabilisé ».

Chérif reconnaît ne pas avoir reconnu Daniel Legrand père ou fils au procès de Saint-Omer en 2004.

– Chérif : J’étais complètent déstabilisé
– Le président : Par quoi ?
– Par l’environnement du procès

– Président : « et au procès en appel à Paris ? »
– Cherif Delay : « je ne les ai pas regardés »

Au procès à Paris en 2005, Chérif n’a pas non plus reconnu Daniel Legrand père et fils, sur photo cette fois-ci.

Chérif Delay : Après les procès « j’étais dans le déni. Pendant un moment, je refusais de dire qu’il s’était passé quelque chose »

Chérif Delay : « Après , j’étais fatigué d’être traité de menteur. J’ai été en foyer, j’ai fini SDF le jour de mes 18 ans … »

Chérif : « j’en ai ras le bol, j’en peux plus, je suis fatigué de tout ça, d’être insulté de menteur sans que je puisse expliquer »

Chérif Delay : « j’ai commencé à picoler, à fumer, à provoquer la police, à devenir très violent. J’ai vécu l’incarcération. »

Après , « j’ai été en foyer, j’ai fini SDF j’ai commencé à picoler, à provoquer la police, à devenir violent, je suis allé en prison »

Chérif Delay : « j’ai envie de me venger régler mes comptes mais je ne le ferai pas. J’ai décidé d’accepter que j’ai besoin de soins »

« Après je suis sorti et parti en Afrique pendant 3 ans. Ce sont ces trois ans là qui ont marqué ma vie, être parti de ce pays, de tout ça »

« Vous ne vouliez plus ni du statut de victime, ni de statu de menteur », résume le président.
– Chérif acquiesce

Chérif : « Aujourd’hui, je suis encore en prison comme vous le voyez, j’ai des hauts et des bas »

Chérif Delay : « je suis devenu violent avec ma compagne. C’est pour cela que je suis incarcéré aujourd’hui. »

« Je suis devenu violent avec ma compagne, c’est pour ça que je suis incarcéré, j’ai l’impression de reproduire certaines choses de mon passé »

Chérif Delay: « avec mon ex-compagne c’était pareil. J’ai l’impression de reproduire mon passé, la violence. »

« Est-ce qu’aujourd’hui je peux dire que je suis debout ? (cf le titre de son livre). Non. » Chérif pleure à la barre.

Chérif : « Il y a tellement de choses que j’ai envie d’exprimer mais je ne le fais pas sinon je vais monter sur mes gonds »

Le président revient sur la plainte déposée par Chérif Delay en 2013 pour s’accuser du meurtre d’une petite fille en 1998.

Chérif Delay (8 ans à l’époque) aurait alors aidé son beau-père à la tuer avec une bêche, dit-il aux policiers.

Aujourd’hui, Chérif Delay ne se souvient plus de cette déposition de 2013.

Plus tard, Chérif Delay affirme aux enquêteurs qu’il veut enlever sa déposition. Le président l’invite à s’expliquer.

Sur le meurtre de la fillette (non-lieu en 2007), Chérif dit que ses médecins lui ont expliqué qu’il avait pu mélanger cauchemars et réalité

Chérif Delay à la barre : « si j’ai enlevé ma déposition c’est que c’était nécessaire. J’ai mélangé mes cauchemars avec la réalité »

Chérif Delay explique avoir vu Daniel Legrand dans des flashes : plusieurs fois en tant que victime et une fois comme agresseur

Chérif affirme avoir vu Daniel Legrand plusieurs fois comme victime et une seule fois comme auteur d' »attouchements sexuels »

Me Cormier (parties civiles) : « qu’est ce qui vous permet de faire la part des choses entre des souvenirs réels et l’imaginaire ? »

Chérif Delay : « pour moi c’est réel mais c’est tellement gros que ce n’est pas possible. »

Daniel Legrand écoute calmement dans le box

– Me Cormier : Comment êtes vous certain pour Legrand ?
– Chérif : Quand on est victime de quelque chose on s’en rappellera toute sa vie

Chérif Delay est en larmes à la barre. Son avocat Me Forster tente de le réconforter. « Je suis sous traitement » explique Chérif

Chérif Delay éclate en gros sanglots : « ça fait 10 ans que j’attends d’être considéré comme victime »

Chérif : « ça fait 10 ans bordel de merde ! 10 ans que j’attends ! » sanglote-t-il.

Chérif : « Je souhaite à personne la vie que j’ai eu »

– Me Forster (parties civiles) : « est-ce que tu accuserais quelqu’un qui n’a rien fait ? »
– Chérif Delay : « pourquoi ? »

A la barre, Chérif Delay réitère ses accusations contre Thierry Dausque, le taxi Martel, la boulangère et Daniel Legrand.

Après en avoir dédouané certains, de nouveau Chérif accuse tout le monde ou presque.

Me Monneris (parties civiles) : tu connais l’incarcération ? Chérif Delay : c’est ma maison, c’est là où je me sens le mieux

Sur son incarcération et la prison : « C’est ma maison malheureusement, c’est là où je me sens le mieux. C’est l’enfer mais c’est chez moi. »

Chérif a été condamné par le tribunal correctionnel en 2011 à 6 mois avec sursis pour avoir adressé des menaces de mort aux Lavier

Me Delarue (défense) relit une déposition de Chérif Delay où il accuse avec beaucoup de précisions une infirmière.

Chérif Delay ne se souvient pas de l’infirmière aujourd’hui. A la barre, il dit ne pas savoir si cela a réellement existé ou pas.

Selon Chérif Delay, Daniel Legrand a été violé mais pas par son propre père qui était pourtant là.

Chérif Delay explique qu’ensuite Daniel Legrand a lui-même violé une fois « après la rentrée après la coupe du monde » [de 1998]

Me Vigier à Chérif Delay : « votre souffrance elle transpire, monsieur. »

Me Vigier : « je ne suis pas d’accord avec vous mais je ne conteste pas votre souffrance. »

Fatigue, tension. Les esprits s’échauffent et les avocats des deux parties commencent à s’invectiver.

L’audience est suspendue jusqu’à demain matin 9 heures.