Georges Vigarello : Histoire du viol 16e-20e siècle

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Le témoignage d’une victime d’inceste publié sous forme de livre en 1992, Viol d’inceste, auteur obligatoirement anonyme1, n’est pas le premier du genre. Il est le premier en revanche à revendiquer une démarche exclusivement psychologique, insistant comme jamais sur le dommage intérieur provoqué par l’agresseur : « Je ne porte pas plainte contre mon père2… », mais « il était devenu un tueur… toute ma personnalité d’adulte est déterminée par le viol3 ». D’où cette démarche quasi thérapeutique, cette décision de se libérer en révélant : « Je n’écrirai qu’au sujet de mon vécu4. » D’où encore ce double déplacement du regard sur le viol en général et sur l’inceste en particulier : la gravité de l’acte mesurée à la « santé psychologique et mentale 5» de la victime ; la parole prise par cette victime ensuite, censée dire publiquement ce qu’elle a subi, contribuant à une sensibilisation largement renouvelée de l’opinion.

Rien ne serait plus contestable que de limiter la conversion du regard récent sur le viol à ces deux déplacements. Bien des renouvellements sont à suivre, dont celui de l’image de l’agresseur par exemple. Mais l’importance attribuée à la souffrance psychique comme l’importance prise par l’initiative des victimes ou de leurs proches sont déterminantes, révélant de nouveaux effets de la violence et de nouveaux rapports entre les acteurs. Ce qui peut, au bout du compte, transformer le sens des brutalités dénoncées.

notes de la cinquième partie le débat des mœurs

1. Viol d’inceste, auteur obligatoirement anonyme, Paris, Eulna Carvalo, 1992.
2. Ibid., p. 20.
3. Ibid., p. 25 et 26.
4. Ibid., p. 20.
5. Ibid., p. 11.

Je préfère le terme de survivante à celui de victime
La victime est « souffrante du fait de quelqu’un » elle est passive , la survivante « survie à quelqu’un d’autre », « elle a échappé à la mort dans une circonstance grave », de part le fait de vivre encore elle est active. La culture des incestées, vue de l’intérieur se définit par la survivance et vue de l’extérieure par la victimisation. C’est ce qu’aime bien notre actuelle société : des victimes sur lesquelles on peut s’attendrir un instant mais qui n’ont qu’un intérêt précaire pour se faire plaisir dans l’aide ponctuelle et déculpabilisante que l’on peut leur apporter.
Une survivante est une preuve qui fait peur, elle veille et je note que le livre de l’Auteure anonyme – qui pour moi servait de veille – n’est que celui d’un victime passagère que l’on ne retrouvera pas :
1. Viol d’inceste, auteur obligatoirement anonyme, Paris, Eulna Carvalo, 1992.
Viol par inceste, auteure obligatoirement anonyme, Paris, Eulina Carvalho, 1993.
J’ai googelisé quelques références pour faire mon blog et je suis tombée dessus par hasard, ayant fait une faute à auteur.


1 – Viols par inceste – Page 20
Il s’est tu lors de toutes mes interventions dans les journaux, à la télévision et après, bien que place lui ait été laissée pour qu’il me poursuive en diffamation, s’il le jugeait nécessaire. Je considère ce silence comme un aveu de
sa part. Il est fier, orgueilleux et sait bien que le silence le protégera. Il ne doit pas se dévoiler lui-même. De cette façon, il ne m’attaque pas, alors je n’ai pas besoin de me défendre. Il me faudra surtout soutenir le fait que je ne porte pas plainte contre mon père. Un procès, à mes yeux, représente la loi du talion. Je suis une adulte, je ne risque plus rien, le procès ne représenterait alors que piètre vengeance.

C’est sans doute ici, le lieu d’expliquer que je n’ai pas porté plainte contre mon père, non parce qu’il me manipulait dans « le dommage intérieur provoqué par l’agresseur », mais parce que mon entourage, tout un chacun, les structures sociales inexistantes, les avocats menteurs pour une défense inappropriée, n’étaient en rien prêts à un procès. J’ai assisté à quantité de procès se terminant en diffamation aux dépends de la jeune femme ; j’ai assistée impuissante au suicide de certaines d’entre elles. Un procès raté et inéquitable est un viol supplémentaire, celui dont on ne se relève pas.
Notre société crie vengeance, elle veut se protéger d’agresseurs, de personnes associales qu’elle a pourtant aidées à être, mais ne protège en aucun cas les incestées ni ne les aide à se relever. Cependant, en matière de viol par inceste, nous ne sommes pas dans un jeu vidéo où les agresseurs doivent être neutralisés et les victimes résilientes. Notre société actuelle nous veut ainsi mais le viol est plus vieux que toutes les sociétés.


Voir le billet porter plainte et les commentaires

2 – Viols par inceste – Page 25

Le sentiment de ma propre responsabilité dans l’acte, le poids de ma culpabilité ne se sont pas installés ce jour-là. En frottant ma peau que je voulais étriller pour la changer, je savais qu’il n’était plus mon père ni moi, sa fille, qu’il était devenu un tueur et moi, sa victime. Je savais que je n’y étais pour rien, que, s’il m’avait tuée, nous n’aurions pas eu à partager le fardeau des responsabilités et des conséquences, mais comme je n’étais pas morte, il a fait de moi sa complice.

3 – Viols par inceste – Page 26
Toute ma personnalité d’adulte est déterminée par le viol, ma façon de vivre, de l’éviter, de le concevoir. Il y a dans ma gorge fureur et silence, c’est pourquoi il m’est toujours très difficile de parler des viols ; les mots s’embrouillent, reviennent plusieurs fois et se dérobent. Ces actes sont enfouis au plus profond de moi-même. Rien n’est oublié, tout est enterré pour me laisser vivre. Le viol et ses conséquences sont une grande pieuvre menaçante. La vie s’écoule tranquillement et, tout à coup, une grande tentacule de cet animal resurgit et essaie de m’étouffer. Il me faut tuer cette bête afin qu’elle ne me menace plus. Tout est clair dans ma tête, mais ne se formule pas nettement. J’espère que mon écriture sera plus lisible que ma diction n’est audible.

4 – Viols par inceste – Page 20
Je n’écrirai donc qu’au sujet de mon vécu : de viols par inceste. Je ne parlerai pas d’abus sexuels. Ils existent, mais ne peuvent être comparés à la souffrance qu’inflige le viol. Je veux arrêter cette démarche qui amalgame le tout et nivelle les abus sexuels aux viols par peur de les oublier. J’aurai toujours, comme base de réflexion, que de nombreux viols se sont répétés sur une durée de quinze années environ. J’affirme que le viol complet, la répétition et la durée ne peuvent ni ne doivent être considérés de la même façon qu’une démonstration exhibitionniste, qu’un abus sexuel ou qu’un seul viol. Les abus sexuels autant que les viols expriment le manque de respect aux femmes considérées alors comme un objet dont les hommes se servent ou prétendent se servir. De ce point de vue, la différence entre les uns et les autres s’estompe. C’est au niveau de la répétition et de la durée de l’acte, de la violence subie et donc de leurs conséquences, qu’ils ne peuvent pas être comparés. Les viols par inceste, en plus répétés, sont les plus graves de toutes les agressions d’ordre sexuel.

5 – Viols par inceste – Page 11
Requête en changement de nom

Que cela a mis en risque sa santé physique et psychologique, le suicide ayant été, pendant et jusqu’à il y a très peu de temps, la seule issue envisagée ;

Qu’elle a besoin, pour l’équilibre de sa santé physique et mentale, de rompre définitivement avec cet homme ;

Cette requête en changement de nom n’a jamais abouti étant donné que je n’ai pas porté plainte et que mon père n’a pas été reconnu coupable.

A History of Rape: Sexual Violence in France from the Sixteenth to the Twentieth Century.
By Georges Vigarello
Translated by Jean Birrell.
Cambridge: Polity Press. 2001

The testimony of a victim of incest published in book form in 1992, Viol d’inceste, auteur obligatoirement anonyme, was not the first of its genre, but it was the first to proclaim an exclusively psychological approach, insisting in a new way on the inner damage caused by the aggressor: ‘I made no complaint against my father…’ but ‘he had become a killer… my whole adult personnality was determined by the rape.’ This explains the quasi-therapeutic act, the décision to seek release by telling all: ‘I will vrite only about what I have experienced.’ It also explains the twofold change in ways of seing rape in général and incest in paricular: the gravity of the act measured in terms of the victim’s ‘psychological and mental health’; the victim speaking out, expected to tell the world what s

he has suffered, contributing to a général transformation of sensibilities.

HISTORIA DE LA VIOLACION
de
VIGARELLO, GEORGES

CATE DR A 1999
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14.0×21.0 cm 393 pags
Lengua: CASTELLANO
Encuadernación: Tapa blanda
ISBN: 9
788437617664
Nº Edición:1ª
Año de edic
ión:1999
Plaza edición: MADRID

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Autres billets sur Viols par inceste de Auteure obligatoirement anonyme
1/ Requête en changement de nom
2/ Définition des viols par inceste
3/ La mémoire des viols
4/ L’Emprise dans le viol par inceste
5/ « En France la mémoire passe plutôt pour une faiblesse, une maladie du cerveau » Georges Mateï
6/ « Pourquoi pleure-t-elle tout le temps ? »
7/ Les conséquences des viols par inceste dans l’échec scolaire
8 /La mémoire et l’intelligence après plus de 10 ans de viols par inceste
9/ La dissociation lors des viols par inceste
10/ La culpabilité qui s’amplifie de viols en viols devient partie intégrante de la personnalité d’un-e incesté-e
11/ Même si ce n’était arrivé qu’une fois, cette culpabilité existerait
12/ L’autoculpabilité entraine des situations d‘évitement

13/ Revictimisation
14/ Le procès
15/ Dans le viols par inceste, l’emprise par le regard
16/ Les deux vies d’une dissociée
17/ L’importance du tuteur de résilience
18/ Viol/mort ; amour/vie – attirance/répulsion
19/ Hypervigilance

Le cancer sans crier gare

Le cancer s’était installé en elle sans crier gare. Étonnant, elle n’en ressentait aucune douleur et savait que lorsqu’elle en pâtirait, il serait trop tard. Un étrange compagnon qu’elle connaissait sans le nommer depuis un moment déjà. Était-il le voyeur de sa souffrance ? Était-il là pour préparer décemment son départ ? pour l’aider à vivre le dénouement de sa vie en toute conscience ? l’aiderait-il à grandir toute seule sans lui en donner vraiment le temps ? Camille devait apprendre à se résigner, sans évoluer en adulte désenchantée.
.…/…
Car elle avait l’angoisse de tout ce qui peut mourir, Camille était vieille ; paradoxalement, elle n’avait pas peur du cancer, car elle se sentait plus jeune : libérée du combat intérieur qui lui mangeait son énergie, de la confusion et de la détresse. Tout en remerciant la vie de ne plus avoir à l’organiser, sans ce poids lourd qui pesait sur ses épaules avant ses vingt-six ans, elle acceptait la mort. Georg l’en avait déchargé et elle en riait même parfois.
…./…
Le cancer lui donnait une ultime liberté, celle que lui envieraient nombre de personnes entre vie et mort. Concrétisant la connaissance de la possibilité de sa mort elle entrait en affaire avec cette dernière en apprenant qu’elle ne serait pas obligée de vivre jusqu’à un temps indéterminé. En refusant d’ingérer ses médicaments, elle prenait la liberté d’écourter sa vie. Après tout, si elle ne se soignait pas, elle mourrait à quarante-cinq ans. Bon, elle n’avait pas pu. La pression éthique et sociale avait été assez forte pour mettre en avant les enfants et elle voulait revoir Georg. L’ambiance d’intolérance grandissante au réel lui demandait d’être discrète sur sa décision d’acceptation avec le corps médical remarquable de compétence. Approchant l’Humain marqué par la finitude, elle ne voulait pas passer à côté de sa mort Elle commençait à avoir du respect pour elle-même et se donnait à réfléchir sur ses futures conditions de vie. L’impression que lui avait faite, comme à tout un chacun, elle en était consciente, 1984 de Georg ORWELL, émergeait, alors qu’elle vivait de cette manière depuis dix, quinze ans. Les années avançaient, elle s’essoufflait, angoissée par ce manque de bonheur et d’espoir pour le futur.

Extraits d’un tapuscrit en cours : Interdits ordinaires.