°°/ Dissociation, mémoire traumatique et violences sexuelles : des conséquences graves sur la santé à soigner par Muriel Salmona

Le

Docteur Muriel Salmona, m’a permis de reproduire sur mon blog cet article que j’apprécie de lire et relire :

Les violences sexuelles sont à l’origine de graves conséquences sur la santé mentale et physique directement liées à l’installation de troubles psychotraumatiques sévères qui, s’ils ne sont pas pris en charge spécifiquement, peuvent se chroniciser et durer de nombreuses années, voire toute une vie.

Ces troubles psychotraumatiques sont très fréquents lors de violences sexuelles, avec 80 % de risque de les développer en cas de viol (alors que lors de traumatismes en général il n’y a que 24 % de risques). Ce sont des conséquences normales des violences. Ils sont pathognomoniques, c’est-à-dire qu’ils sont spécifiques et qu’ils sont une preuve médicale du traumatisme.

Ces troubles psychotraumatiques sont méconnus presque jamais identifiés, ni diagnostiqués (les médecins, les psychiatres ne sont pas formés), les victimes sont abandonnées sans traitement spécialisé. Tout se passe comme si on laissait un polytraumatisé après un accident se réparer tout seul sans soin, au pire il pourrait en mourir, se retrouver le plus souvent avec de lourdes séquelles et de lourds handicaps, et au mieux s’en sortir à peu près, mais après quelles souffrances ! C’est ce qui se passe pour les victimes de violences sexuelles alors qu’elles sont polytraumatisées psychiquement et neurologiquement on les laisse sans soin, alors qu’il existe des soins efficaces. C’est inhumain. Et comble de l’injustice, on leur reproche sans cesse leurs symptômes et leurs handicaps.

Ces troubles psychotraumatiques sont générés par des situations de peur et de stress extrêmes provoquées par les violences. Ces violences sexuelles sont tellement terrorisantes, sidérantes, incompréhensibles, incohérentes et impensables qu’elles vont pétrifier le psychisme — le mettre en panne — de telle sorte qu’il ne pourra plus jouer son rôle de modérateur de la réponse émotionnelle déclenchée par l’amygdale cérébrale qui joue un rôle d’alarme en commandant la sécrétion d’adrénaline et de cortisol (hormones de stress). La réponse émotionnelle monte alors en puissance sans rien pour l’arrêter et atteint un stade de stress dépassé qui représente un risque vital cardio-vasculaire (adrénaline) et neurologique (cortisol) par « survoltage » et impose la mise en place par le cerveau de mécanismes de sauvegarde neurobiologiques exceptionnels sous la forme d’une disjonction. C’est un court-circuit qui isole l’amygdale cérébrale et qui permet d’éteindre la réponse émotionnelle. Cette disjonction se fait à l’aide de la libération par le cerveau de neuromédiateurs qui sont des drogues dures endogènes morphine-like et kétamine-like.

La disjonction entraîne une anesthésie émotionnelle et physique alors que les violences continuent et elle donne une sensation d’irréalité, de déconnexion, de corps mort, de n’être plus dans la situation, mais de la vivre de l’extérieur en spectateur, c’est ce qu’on appelle la dissociation. La dissociation peut parfois s’installer de manière permanente donnant l’impression de devenir une automate, d’être dévitalisée, déconnectée, anesthésiée, confuse, une morte-vivante.

La disjonction est aussi à l’origine de troubles de la mémoire (amnésie) et d’une mémoire traumatique, la mémoire émotionnelle des violences va rester piégée dans l’amygdale, isolée elle ne pourra pas être traitée par l’hippocampe (structure cérébrale qui est un logiciel de traitement et d’encodage de la mémoire consciente et des apprentissages). Cette mémoire traumatique va alors rester en l’état, surchargée d’effroi, de détresse, de douleur et exploser ensuite à distance des violences de manière incontrôlable au moindre lien ou stimulus qui rappellent les violences (situations, lieux, odeurs, sensations, émotions, stress, etc.). Elle fait revivre à l’identique, de façon intolérable les violences avec les mêmes émotions, les mêmes sensations, le même stress dépassé lors des réminiscences ou lors de cauchemars. Elle envahit totalement la conscience et provoque une détresse, une souffrance extrême et à nouveau un survoltage et une disjonction.

La vie devient un enfer avec une sensation d’insécurité, de peur et de guerre permanente. Il faut être dans une vigilance de chaque instant pour éviter les situations qui risquent de faire exploser cette mémoire traumatique. Des conduites d’évitement et de contrôles de l’environnement se mettent alors en place. Toute situation de stress est à éviter, il est impossible de relâcher sa vigilance, dormir devient extrêmement difficile.

La vie devient un terrain miné par cette mémoire traumatique qui est tout le temps susceptible d’exploser en se rechargeant encore plus à chaque fois, et en créant au bout d’un certain nombre d’explosions une accoutumance aux drogues dures endogènes disjonctantes. À cause de cette accoutumance, l’état de stress dépassé avec survoltage ne peut plus être calmé par la disjonction, la souffrance devient intolérable, avec une impression de mort imminente. Pour y échapper il n’y a plus comme solution que de recourir au suicide ou à des conduites dissociantes, c’est-à-dire à des conduites qui augmentent brutalement le niveau de stress pour arriver coûte que coûte à sécréter suffisamment de drogues dures endogènes (pour disjoncter malgré l’accoutumance), ou qui renforcent l’effet des drogues endogènes grâce à une consommation de drogues exogènes (alcool, drogues, psychotropes à hautes doses).

Ces conduites dissociantes sont des conduites à risques et de mises en danger : sur la route ou dans le sport, mises en danger sexuelles, jeux dangereux, consommation de produits stupéfiants, violences contre soi-même comme des auto-mutilations, violences contre autrui (l’autre servant alors de fusible grâce à l’imposition d’un rapport de force pour disjoncter). Rapidement ces conduites dissociantes deviennent de véritables addictions. Ces conduites dissociantes sont incompréhensibles et paraissent paradoxales à tout le monde (à la victime, à ses proches, aux professionnels) et sont à l’origine chez la victime de sentiments de culpabilité et d’une grande solitude. Elles représentent un risque très importants pour sa santé (accidents, maladies secondaires aux conduites addictives).

La prise en charge est essentielle, elle consiste à :

1 – faire cesser les violences, mettre à l’abri et en sécurité, faire appel à la loi

2 – donner des informations et expliquer les mécanismes psychologiques et neurobiologiques psychotraumatiques pour que les victimes comprennent ce qui leur arrivent, pour qu’elles puissent se déculpabiliser et avoir une boîte à outils pour mieux se comprendre, mieux se protéger et mieux se soigner (cf la plaquette d’information « si vous subissez des violences »)

3 – orienter vers des centres de soins spécialisés avec des médecins formés à la psychotraumatologie

4 – soigner : soulager la souffrance psychique en priorité, aider à éviter les conduites dissociantes, identifier la mémoire traumatique qui prend la forme de véritables mines qu’il s’agit de localiser, puis patiemment de désamorcer et de déminer, en rétablissant des connexions neurologiques, en faisant des liens et en réintroduisant des représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique. Il s’agit de « réparer » l’effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l’irreprésentabilité des violences. Effraction responsable d’une panne psychique qui rend le cerveau incapable de contrôler la réponse émotionnelle ce qui est à l’origine du stress dépassé, du survoltage, de la disjonction, puis de l’installation d’une dissociation et d’une mémoire traumatique. Cela se fait en « revisitant » le vécu des violences, accompagné pas à pas par un « démineur professionnel » avec une sécurité psychique offerte par la psychothérapie et si nécessaire par un traitement médicamenteux, pour que ce vécu puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, sur chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le comportement de l’agresseur. Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l’hippocampe de refonctionner et ainsi de reprendre le contrôle des réactions de l’amygdale cérébrale et d’encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable. Le but, c’est de ne jamais renoncer à tout comprendre, ni à redonner du sens, tout symptôme, tout cauchemar, tout comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est fondamentalement, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être disséqué pour le relier à son origine, pour l’éclairer par des liens qui permettent de le mettre en perspective avec les violences subies. Par exemple une odeur qui donne un malaise et envie de vomir se rapporte à une odeur de l’agresseur, une douleur qui fait paniquer se rapporte à une douleur ressentie lors de l’agression, un bruit qui paraît intolérable et angoissant est un bruit entendu lors des violences comme un bruit de pluie s’il pleuvait, un bruit de chaudière si le viol a été commis tout à côté d’une chaudière, une heure de la journée peut être systématiquement angoissante ou peut entraîner une prise d’alcool, des conduites boulimiques, des raptus suicidaires, des auto-mutilations s’il s’agit de l’heure de l’agression, une sensation d’irritation, de chatouillement ou d’échauffement au niveau des organes génitaux survenant de façon totalement inadaptée dans certaines situations peut se rapporter aux attouchements subis, des “fantasmes sexuels” violents, très dérangeants dont on ne veut pas, mais qui s’imposent dans notre tête ne sont que des réminiscences traumatiques des viols ou des agressions sexuelles subies…

Rapidement, ce travail se fait quasi automatiquement et permet de sécuriser le terrain psychique, car lors de l’allumage de la mémoire traumatique le cortex pourra aussitôt contrôler la réponse émotionnelle et apaiser la détresse sans avoir recours à une disjonction spontanée ou provoquée par des conduites dissociantes à risque. La victime devient experte en « déminage » et poursuit le travail toute seule, les conduites dissociantes ne sont plus nécessaires et la mémoire traumatique se décharge de plus en plus, la sensation de danger permanent s’apaise et petit à petit il devient possible de se retrouver et d’arrêter de survivre pour vivre enfin.

Les violences en général et les violences sexuelles en particulier ont donc de très graves conséquences et sont une atteinte à l’intégrité physique et psychique des victimes. Si les victimes ne sont pas soignées, leur vie est fracassée.

Les violences sont à l’origine de nouvelles violences dans un processus sans fin du fait de la mémoire traumatique et des conduites dissociantes violentes contre soi-même ou contre autrui. Les conduites dissociantes contre autrui sont choisies par un petit nombre de victimes qui vont se ranger du côté des agresseurs, du côté des dominants et s’autoriser à se dissocier et s’anesthésier en transformant une personne en fusible pour disjoncter sans risque par la violence extrême et insensée qu’ils lui font subir. La victime est toujours innocente face aux violences, elle est piégée dans un scénario qui ne la concerne pas, à jouer de force le rôle de victime. Ces conduites violentes ne sont possibles que dans un cadre inégalitaire qui permet de fabriquer des victimes toutes désignées et de les instrumentaliser le plus souvent en toute impunité.

Les violences sexuelles ne sont pas une fatalité, elles n’ont rien à voir avec la sexualité et le désir sexuel, elles ne sont que des violences terriblement efficaces (les plus efficaces avec la torture) pour détruire, dégrader et soumettre l’autre. Il est possible de lutter contre elles en protégeant les droits, la sécurité et l’accès aux soins de ceux qui en sont le plus les victimes : les enfants et les femmes, en œuvrant pour qu’ils bénéficient d’une réelle égalité, et en ne laissant pas impunies ces infractions pénales.

octobre 2009

Dr Muriel Salmona

Psychiatre, psychotraumatologue

responsable de l’Antenne 92 de l’Institut de Victimologie

drmsalmona@gmail.com

memoiretraumatique.org

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RFI – État des lieux de la situation des droits de l’enfant dans le monde

11 mars 2010 – Colloque « Viols et aggressions sexuelles : comprendre pour agir » Extrait intervention de Muriel Salmona
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Ce qui se passe dans notre cerveau quand on est confronté à une grande peur – par Vincent Corbo

9/ Saint-Omer – Mercredi 2 juin 2004 – Le procès bascule le jour des rétractations provisoires 
de Myriam Badaoui

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Alors, comment comprendre l’attitude de cette mère, qui, rappelons-le, a elle-même subi la souffrance 
de l’inceste ? Abandonnée par sa mère à l’âge de trois ans, victime d’un père alcoolique qui lui a fait subir des attouchements dès six ans et l’a violée à huit, elle est ensuite mariée à un cousin à quatorze ans !
Si l’on en croit l’avocate de Myriam Badaoui, Me Pouille, ou du moins ce qu’elle a déclaré à la commission d’enquête parlementaire, celle-ci est revenue sur ses accusations parce qu’elle en 
avait assez que ses enfants soient maltraités à la barre, dès lors qu’ils mettaient en cause les accusés autres que les deux couples. Et lorsque l’un d’entre eux – un enfant de moins de dix ans – a dû déposer, sept heures durant, elle a fini par craquer.

Par ailleurs cette accusée subissait régulièrement des assauts d’agressivité de la part des autres prévenus et de certains de leurs avocats. Citons Me Pouille, durant sa plaidoirie, pour 
éclairer encore davantage sa rétractation provisoire 1 :
Me Pouille a regretté le lynchage, la lapidation, le harcèlement constant dont Mme Delaya été victime selon elle au procès. 
Tendue et visiblement fatiguée, Me Pouille s’est dite blessée par l’hostilité de ses confrères de la défense et même la « haine ambiante régnant dans la salle d’audience depuis le début du procès ». « J’ai reçu les coups un à un », a-t-elle dénoncé. « J’ai vu cette frénésie collective, cette volonté de 
vouloir abattre à tout prix Myriam »…
À côté d’elle, son mari Thierry Delay, coupable de viols barbares avec des ossements humains et peut-être davantage, est, lui, respecté, comme celui qui possède un code d’honneur. 

1. Propos recueillis sur http://eternal//.free.fractualité7.htm/

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1/ Outreau – La vérité abusée
2/ Outreau, la vérité abusée. 12 enfants reconnus victimes
3/ Outreau : Les lettres de Kevin Delay au juge Burgaud
4/ 24 février 2011 – La parole de l’enfant après la mystification d’Outreau
5/ Outreau : la télédépendance de l’opinion – « télécratie 4 » – « procès- téléréalité »
6/ Des troubles du comportement
7/ Saint-Omer – juin 2004 : Les enfants présumés victimes sont placés dans le box des accusés !
8/ Saint-Omer – Selon M. Monier, une telle configuration des lieux a eu un effet négatif sur le procès, personne n’étant à sa place
9/ Saint-Omer – Mercredi 2 juin 2004 – Le procès bascule le jour des rétractations provisoires 
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10/ La victime envahie par le souvenir traumatique ne marque aucune pause « pour réfléchir »
11/ le test du Rorschach expliqué
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15/ Un éclairage sur les rétractations et les contaminations
16/ Outreau : presse & justice – Florence Aubenas : je consulte le dossier d’instruction
17/ À propos des aveux de l’un des accusés acquittés d’Outreau
18/ Il s’avère que c’est l’ingestion d’un médicament – l’amobarbital –, qui peut induire sous hypnose la construction des faux 
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