Publié le 11/05/2015
par Sheerazad Chekaik-Chala
Une nouvelle audience s’ouvre le 19 mai dans l’affaire dite d’Outreau, plus de dix ans après les deux précédents procès. Depuis, beaucoup ont tourné la page de ce « fiasco judiciaire ». Reportage à la Tour du Renard, là où tout a commencé.
La page est tournée », assurent plusieurs Outrelois à propos de l’affaire dite d’Outreau. Et l’ouverture d’un nouveau procès le 19 mai, à Rennes ? Josette Marlot lève les yeux au ciel. Aujourd’hui adjointe au maire, elle se souvient d’avoir, dix ans plus tôt, joué un rôle de « garde-fou » à la Tour du Renard. Elle y vivait depuis trente-quatre ans et présidait déjà Arc-en-Ciel, la seule association installée dans le quartier, havre de paix pour parents et enfants qui s’y retrouvent pour boire un verre au bar sans alcool, faire un jeu de société ou partager un repas. « On est tombé de haut, raconte l’élue au sujet des premières accusations. Jamais, on aurait imaginé ça. On se disait : À qui le prochain ? »
« Un dernier round »
L’histoire enfle puis se dégonfle jusqu’à devenir « un fiasco judiciaire », dans lequel douze enfants sont reconnus victimes de sévices sexuels et treize adultes accusés sont innocentés. L’État présente ses excuses à ceux que la machine judiciaire a broyé. Jeudi, l’émission Envoyé spécial a consacré un portrait à Daniel Legrand, qui retrouvera de nouveau le banc des accusés. Le trentenaire au visage bouffi et au regard chargé d’incompréhension qualifie ce procès de « dernier round », espérant qu’après « ce sera la fin ».
En bas des tours outreloises, les rares passants ne s’étalent pas sur l’actualité. Le nouveau procès d’Outreau ? « Ça ne m’intéresse pas », lance un homme qui poursuit son chemin d’un pas pressé. « Les gens le savent mais n’en parlent pas trop », confie une maman en surveillant ses deux enfants dans une aire de jeux. Dix ans après les deux procès médiatiques de 2004 et 2005, les après-midis sont redevenus paisibles à la Tour du Renard. À l’époque, « il y avait des journalistes tous les jours, pendant plusieurs mois », raconte un voisin de l’immeuble Les Merles, théâtre de cette tragédie. « Je crains qu’on soit de nouveau envahi par les caméras », commente Josette Marlot. Car ce « fiasco judiciaire » du début des années 2000, c’est aussi la chronique d’un quartier et d’une ville étiquetés à vie. Comment faire oublier ? « C’est impossible », estime Laurent Renault, ancien journaliste à La Voix du Nord qui signe quelques-uns des premiers articles de l’affaire dès avril 2001.
« C’est parti en vrille »
Pendant plusieurs semaines, « ce n’est qu’un fait divers supplémentaire », se remémore Josette Marlot, l’adjointe au maire. Jusqu’à ce que des « notables » soient accusés de pédophilie. « Là, c’est parti en vrille », analyse Laurent Renault. La France entière se passionne pour l’affaire d’Outreau. Depuis, « on est mondialement connu et ce n’est pas pour mon association », regrette Josette Marlot.
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Outreau – La victime oubliée – par Flore Olive
Dos au mur, ce jeune homme de 20 ans va de nouveau affronter son passé. Quatorze ans plus tôt, avec ses frères, le garçon dénonçait les actes pédophiles de dizaines d’adultes, dont ses parents, Myriam Badaoui et Thierry Delay. Entre 2004 et 2005, au procès de Saint-Omer puis en appel à Paris, 13 des 17 accusés sont acquittés. « Un désastre judiciaire sans précédent », déclare alors le président Jacques Chirac. Jonathan fait partie des douze enfants reconnus comme victimes, autant de vies cassées. Depuis, il a connu les foyers et la rue. Mais sa plus grande blessure, c’est qu’on ait pu douter de sa parole d’enfant. Il s’est porté partie civile dans le procès qui s’ouvrira le 19 mai à Rennes et qui jugera cette fois Daniel Legrand – disculpé en 2005 – pour des viols commis avant sa majorité.
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A presque 21 ans, avec ses joues rondes, Jonathan porte encore sur le visage les stigmates de ses jeunes années. De cette enfance fracassée, qu’une vie entière ne suffira peut-être pas à réparer, il n’a que peu de bons souvenirs. Quelques parenthèses enchantées où lui et ses frères, Chérif, Dimitri et Dylan, jouaient en bas des immeubles, loin des quatre murs entre lesquels se déroulait leur calvaire. Parfois, leurs parents les couvrent de cadeaux, mais les enfants savent qu’ils sont « achetés avec l’argent donné par les autres pour nous abuser », raconte Jonathan. A moins de 1 an, Jonathan a déjà été hospitalisé dix-sept fois. Suivi par les services sociaux, il est placé une première fois dans une famille d’accueil à 2 ans, durant quelques mois. A 6 ans, il est seul dans l’appartement avec son père, Thierry Delay, qui a envoyé l’un de ses frères lui chercher de l’alcool. L’enfant revient sans la bouteille demandée et croise sa mère, Myriam, qui anticipe la fureur de son mari et le retient au pied des escaliers. Thierry Delay s’en aperçoit. Pour la pousser à bout, il s’empare de Jonathan, le suspend au balcon du cinquième étage, de l’autre côté du garde-fou, et l’abandonne là. « Je n’avais que la force de mes petits bras pour tenir, se souvient-il. Ma mère a couru pour venir me remonter. Les policiers sont arrivés et c’est là qu’elle a demandé à ce qu’on soit placés définitivement. Pour une fois, elle a agi. »
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Jonathan Delay, dans un village de l’Essone où il vit, le 30 avril 2015. © Vincent Capman